Déficit abyssal, caisses vides, crise récurrente de l’hôpital, manque de personnels tous azimuts, urgences saturées, déserts médicaux loin des grandes villes, priorités à rediscuter autour du plan climat avec, in fine, la recherche d’une économie hélas frugale malgré elle pour parvenir quand même à limiter le bilan carbone.
Autant d’évènements qui amènent à remettre en question nos visions architecturales des meilleurs futurs techniques et sociétaux possibles, en particulier celles des hôpitaux dont, paradoxalement, il est beaucoup attendu, y compris comme remèdes pour la paix sociale et ainsi, qui sait, remédier à la crise !
D’autant qu’après la guerre d’école très française entre les anciens et les modernes depuis 1968 (cf. le mouvement postmoderne des décennies 70’s et 80’s ; puis, après un retour au néoplasticisme corbuséen, les expérimentations en rupture de forme, d’abord high-tech, elles-mêmes suspectes si insuffisamment mobilisatrices en énergies nouvelles) l’architecture a de plus en plus de mal à définir une nouvelle voie comprise par le grand public.
L’émergence des concours conception réalisation conçus en partenariat avec une entreprise du BTP, de façon qu’à l’issue de la compétition le projet ressorte avec un prix écrasé, conduit à une expérience différente et est de nature à remettre en question les invariants culturels appris dans nos écoles d’architecture, mais parfois pour le meilleur, « l’essentiel est plus ».
Il s’agit là de trouver au sein d’un process optimisé un assemblage d’éléments « minimum » définis par les dites entreprises, car les plus économiques pour répondre à leur fonction. Voiles percés, fenêtre avec allège de dimension réduite, matériaux du commerce les plus courants, bannir les mises en œuvre compliquées, façades lisses, volumes simples, surfaces minimums optimisées, compacité.
Bref, si le contexte de crise et l’urgence de l’hôpital ne nous laisse de toute façon pas le choix, il nous appartient de proposer un triple réenchantent, fonctionnel, architectural et urbain. L’architecture hospitalière dont le premier objectif est de soigner ne doit plus s’accommoder d’un langage banalisé et sans relief. Elle doit impérativement retrouver ses grandes ambitions, celles d’avant 1914, d’avant les années ‘20, ‘30 et enfin d’avant les trente glorieuses dont le modèle est reproduit ad nauseam sans ne plus parler d’architecture.
L’architecture hospitalière doit trouver de nouvelles inspirations et ressources conceptuelles. Révéler par un regard nouveau un site pour en dégager ses qualités, créer des évènements à partir d’éléments simples, tirer parti de l’existant, en contrepartie d’une certaine neutralité, offrir et mettre en scène des lieux de générosité.
Nous suggérons le croisement subtil de plusieurs pistes.
Tout d’abord puiser au maximum le meilleur de l’histoire des hôpitaux contemporains depuis un siècle.
Les journées d’études organisées à Saint-Lô (Manche) en octobre 2024 par Donato Severo (cf. Son option santé au sein de l’École Paris-Val de Seine) sont absolument nécessaires pour repartir sur les meilleures bases, y compris lors de réutilisations de l’existant !
Ensuite parallèlement à ce pessimisme architectural ambiant automnal innervé par les séismes BET puis énergétiques, n’oublions pas les autres domaines culturels qui ont su au contraire approfondir leurs modernités contraintes par des relectures minimalistes enrichissantes : la musique, « le jazz » la danse, la peinture, et les films entre 1980 et 2020 n’ont pas succombé aux excès des formalismes rétrogrades ni aux sinistroses de nos bâtiments !
Enfin, petite piqûre de rappel, ces chroniques sont issues chez nous d’une volonté de renverser la table programmatique des mégalithes hospitaliers issus directement de l’ère gaullienne. Revenons à des « marguerites »* souples entre des centres puissamment équipés en imageries d’exception et quelques salles d’opérations complexes, centres reliés à des périphériques plus petits plus ou moins distants, beaucoup moins coûteux et débarrassés des contraintes énumérées au début qui avilissent nos projets depuis trente ans.
Bref renforçons notre hypothèse initiale pour implanter ces petites perles médicales « simplifiées » comme ferments de revitalisation de certains centres commerciaux, pour les sortir du dilemme chalandise plus nouveau logements très moyens. Demain osons y rêver de la recherche avec des PME innovantes et des emplois locomotive.
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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*Lire Architectures hospitalières, ou la figure de la « marguerite » ?