L’architecture est d’utilité publique par la loi de 1973. L’architecture n’est pas une discipline, une prestation de service comme les autres…. Elle se doit d’avoir un regard large, bien sûr, pour répondre à une commande mais aussi pour vérifier que la réponse est conforme à l’intérêt public. Cela est d’autant plus vrai dans le domaine hospitalier. Tribune.
L’architecture est une discipline complexe qui oscille entre intérêts privés et intérêts publics. Le droit d’auteur reconnu à l’architecte vient conférer à ce dernier un statut d’intellectuel de la chose bâtie qui devrait, qui doit, lui permettre de prendre de la distance par rapport aux contingences et d’exercer son obligation de conseil en tant que sachant. C’est donc à ce titre que je vais aborder un aspect de l’architecture des hôpitaux publics ou privés, un domaine qui est dans une impasse conceptuelle, impasse qui participe à la crise actuelle du système de santé et constitue une problématique sociétale majeure.
Préambule
L’architecture de la santé a toujours été liée à son époque, ses évolutions, ses progrès scientifiques. On peut considérer que l’architecture hospitalière a vu la première généralisation d’un modèle spatial à partir de 1830, jusqu’en 1930, sous la forme de l’hôpital pavillonnaire : forme architecturale répondant à l’approche hygiéniste, aériste, de l’époque. Il faudra attendre quasi la deuxième guerre mondiale pour qu’apparaisse un nouveau modèle : l’hôpital-bloc.
Les progrès technologiques, la croissance démographique, la demande sociétale, l’économie florissante des trente glorieuses feront que l’architecture de la santé sera celle d’un fonctionnalisme exacerbé. Machine à soigner, tout reposera sur la technologie, celle de la construction, de l’hygiène, des flux, de l’efficacité.
La priorité du monde hospitalier deviendra rapidement une volonté d’efficacité économique avec des temps d’hospitalisation toujours plus courts, une mécanisation des process avec toujours moins de personnel.
Le cadre spatial évolue peu dans la deuxième partie du XXe siècle sauf quelques rares et talentueuses tentatives de modifier ce dernier. Réintroduire une dimension humaine, un maillage avec la ville, seront leurs crédos. Le début du XXIe siècle est sur la même logique, l’apparition des Agences Régionales de Santé (A.R.S.) avec la volonté politique de contrôler les dépenses de santé va produire un modèle implicite dominant déshumanisé, modèle implicite des règles comptables, non voulu, subi finalement par l’ensemble de l’écosystème de la santé.
Les pandémies, la crise climatique, économique, sociale des personnels de santé, remettent fondamentalement en cause ce modèle, pourquoi et comment seront l’objet de notre réflexion.
A. Pourquoi le modèle spatial de l’hôpital est-il obsolète ?
D’où partons-nous ?
Depuis la création des A.R.S., le 1er avril 2010, ces dernières ont imposé, dans un souci de rationalisation et d’efficacité du système, un modèle qui s’est généralisé et génère une efficacité économique en présentant un ratio SU/SDP excellent (SU : surface utile, SDP : surface de plancher).
Ce modèle, un quadrilatère percé de patios s’est imposé comme une machine à soigner sur l’ensemble du territoire. Modèle autoritaire d’une technostructure loin des réalités territoriales, nous retrouvons la politique des modèles issue de la reconstruction d’après-guerre, modèle rassurant pour une administration et servi complaisamment par une ingénierie sans état d’âme.
En outre, le fait est que la construction de ces équipements publics a abandonné toute idée d’un rapprochement avec le privé, comme ce fut le cas au début des années 2000, et que ces constructions ne font l’objet d’aucune étude de marché sérieuse entre investissements et retour sur investissements quels qu’ils soient.
Pourquoi ce modèle est-il obsolète ?
– Parce que cette forme géométrique du quadrilatère percé de patios s’impose aux contextes quelle que soit la situation géographique, le climat, les orientations, les vents dominants, etc. Essence même des paramètres du développement durable et des règles ancestrales de l’adaptation d’un bâtiment à son contexte géographique. Parce que cette forme géométrique ne permet aucun maillage – liaison avec l’urbanisme, la ville. Ce manque de porosité crée une distance pour l’utilisateur, peu raccord avec les politiques publiques prônant l’inclusion.
– Parce que cette forme géométrique indéformable ne permet aucune évolution, adaptation, alors que par destination, ces espaces doivent être adaptables aux besoins, nouvelles évolutions de techniques médicales.
– Parce que cette forme géométrique est déshumanisante, sans structure spatiale, hiérarchie, signification architecturale, anonyme. On pense bien sûr aux patients et à leur famille, désorientés, stressés. Pour certains n’ayant jamais fréquenté des équipements d’une telle échelle, ils se retrouvent dans ces « machines » à soigner.
– Parce que cette forme géométrique n’est pas adaptée aux pandémies qui nécessitent une dissociation des flux personnels/patients/visiteurs et une accessibilité autonome pour chaque grand pôle depuis l’extérieur.
L’obsolescence du modèle provient également de la crise climatique. Gouffre énergétique, constructif et d’usages médicaux, cet archétype spatial ne peut répondre à l’élévation des températures et en particulier aux canicules.
Enfin, la frugalité et la sobriété sont l’antithèse du modèle. Eléments techniques surdimensionnés, solution non pérenne et coûteuse en gestion, tels les vélums de faux plafond surdimensionnés occasionnant un surdimensionnement des façades.
L’emploi systématique de sous-sols, galeries, alors que ces dernières devraient être limitées à la stricte fonctionnalité et non pas aux habitudes de l’ingénierie, etc…
Nous le voyons, nous sommes au bout d’un système obsolète, système qui continuera à reproduire, a minima pour les dix ans à venir, des équipements inadaptés à la situation, laquelle ne pourra que se dégrader, augmentant encore le déficit entre nécessité et réalité.
B. Un nouveau modèle est-il possible ?
Il faut poser la question même du modèle, c’est-à-dire d’une imposition verticale de l’Etat vers les territoires, alors que Madame La Première ministre déclarait récemment « que la transition écologique sera locale ou ne sera pas », il est difficile de proroger l’idée même du modèle.
En revanche, s’il ne doit plus y avoir de forme prédéterminée, il doit y avoir des réponses aux questions suivantes :
– comment se diriger vers une approche holistique de l’architecture de la santé, c’est-à-dire une approche où l’architecture prend comme fondement la personne dans sa globalité et pas seulement comme un corps à soigner ? Cette dimension physique, mentale, émotionnelle, familiale, sociale, culturelle, spirituelle, concerne le patient, les accompagnants mais aussi, bien sûr, les personnels qui vivent au quotidien les espaces de l’architecture de la santé ;
– comment anticiper fonctionnellement les éventuelles pandémies ?
– comment l’architecture de la santé doit inventer un nouveau modèle énergétique ? La crise du pétrole et du gaz due à la guerre en Ukraine, et le constat que les pays producteurs ont atteint leur production maximale par rapport aux ressources naturelles, pose aussi la question de la sobriété, réflexion impérative à entreprendre sans délai car, sinon, les faits nous l’imposeront. La sobriété doit jouer sur deux facteurs, l’un immobilier, l’autre énergétique ;
– les constructions à venir devront mettre en œuvre des solutions passives, c’est-à-dire tendant vers le besoin énergétique le plus limité possible. Pour cela, il faudra intégrer deux notions, le confort d’hiver et d’été, qui passent par l’inertie de l’enveloppe et son intelligence à gérer les apports ou pertes calorifiques.
L’organisation spatiale devra s’adapter aux contextes géographiques, aux orientations, aux conditions climatiques locales.
Le volet immobilier doit aussi s’interroger sur la nature des matériaux employés, biosourcés, éthiques, issus du réemploi en favorisant ce dernier et pose aussi une question majeure, celle du patrimoine immobilier existant, comment le faire évoluer vers la sobriété ?
Enfin, un champ important s’ouvre pour passer à une approche ‘low-tech’, démarche visant à répondre aux besoins réels minimisant l’énergie requise, utilisant le moins possible de ressources/matériaux rares, n’infligeant pas des coûts cachés à la collectivité et mettant en œuvre une intelligence des réseaux. Cela supposera une révolution Copernicienne des ingénieries qui ne devront plus répéter les mêmes modèles, toujours plus dispendieux, mais mettre en œuvre une réelle sobriété par des solutions simples les moins dépendantes possibles des ressources non renouvelables, par des produits réparables et maintenables dans la durée facilitant aussi le recyclage, les circuits courts.
L’énergie nécessaire pour le fonctionnement des équipements hospitaliers est liée à l’immobilier de ces derniers mais pas seulement ; il faut interroger les pratiques médicales sur les questions notamment de l’hygiène. Dans les pays du nord de l’Europe, une réflexion est engagée sur l’emploi du bois, matériau fongicide, dans l’architecture hospitalière. En Inde, des blocs sans climatisation, après étude, n’ont révélé qu’une surmortalité à la marge.
Pour cette raison, la question de la ventilation naturelle, a minima, pour les lieux de vie, d’hébergement, doit être posée.
L’échelle de ces bâtiments doit permettre l’emploi d’énergies renouvelables pour tendre vers l’autoconsommation. La systématisation des panneaux photovoltaïques, le recyclage des thermies produites (eau chaude sanitaire, eau usée, système de refroidissement, machine diverses et variées, etc…).
Enfin, le numérique consomme 10 à 15 % de l’électricité mondiale. Il est permis d’imaginer que, dans un équipement de haute technicité comme l’hôpital, ce pourcentage est notablement supérieur et générera une dépendance. Il faudra donc s’interroger sur des équipements numériques sobres, permettant réemploi et recyclage.
Comme nous le voyons, ces questions ne peuvent générer une réponse unique, la notion de modèle est obsolète, il faut mettre en œuvre une intelligence collective pour trouver des réponses particulières adaptées à chaque situation.
A titre de conclusion, très provisoire….
L’hospitalier représente un marché très fermé pour une ingénierie qui l’est plus encore. Au-delà de la prestation de services, architectes, ingénieurs, bureau d’études, assistants à maîtrise d’ouvrage, ont une responsabilité morale comme acteurs de l’acte de bâtir. Ils doivent donc, ensemble, entreprendre un grand chantier pour reconcevoir l’architecture de la santé à l’aune des différentes crises que nous traversons.
En premier lieu, réintroduire une dimension humaine et dé-dramatisante de l’espace, en y introduisant matières naturelles, lumière du jour, présence végétale, vues sur l’extérieur. Les dernières études menées au nord de l’Europe démontrent le bienfait pour les patients, notamment ceux d’oncologie.
En deuxième lieu, raisonner une fonctionnalité sobre, durable, flexible, identifiable.
En troisième lieu, mettre en œuvre une sobriété constructive et énergétique.
L’ingénierie, au sens large du terme, a une responsabilité morale à l’égard de nos concitoyens, celle d’être leurs représentants, leurs intermédiaires vis-à-vis des maîtres de l’ouvrage, en n’oubliant pas que l’architecture a été déclarée d’utilité publique par loi.
Alors, il faut engager un grand débat. Les médias de la presse professionnelle doivent s’emparer du sujet.
Certes la complexité du sujet, sa technicité ne sont pas porteurs d’images d’espaces vides et culturels dont ils sont friands mais il en va également de leur crédibilité.
Enfin, les maîtrises d’ouvrage ne peuvent plus être captives de leur ingénierie, elles doivent se former pour exercer leurs responsabilités et ouvrir une concertation élargie avec les personnels et les représentants des patients.
Jean-Michel Jacquet
Architecte
Président du Think Tank « Droits de Cité »