Marie, diplômée en 2019 est en contrat CIFRE – Conventions Industrielles de Formation par la Recherche – qui subventionne toute entreprise qui embauche un doctorant pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public. Les travaux aboutissent à la soutenance d’une thèse en trois ans. Verbatim.
[De l’enseignement]
Je crois qu’avoir eu de très bons enseignants donne envie d’enseigner. Quand on a reçu, on a envie de donner ; il y a tout ce qu’on a envie de transmettre à nouveau et aussi de transmettre tout ce que l’on n’a pas reçu, au regard des grands enjeux de ce siècle et des années à venir.
Quelques années d’école ne suffisent pas pour savoir si on va être architecte constructeur ou pas. Je crois énormément aux profils hybrides, que l’on ne se destine pas forcément à être constructeur ou pas, chercheur ou pas, une évolution qui correspond à l’évolution de la société, les fameux nouveaux métiers de l’architecture. Le rôle de l’école d’architecture n’est pas d’orienter les étudiants à choisir directement leur spécialité professionnelle…
Il est donc important de ne pas dissocier la pratique et la théorie au moment où des agences d’architecture aspirent aussi à avoir des pôles recherches. J’entends régulièrement « ah si j’avais un peu de temps pour développer telle idée », ce qui est rarement possible pour l’architecte. Devenir enseignant offre une opportunité, une fois par semaine, de nourrir une pensée théorique en dehors des activités de production. Ces temps de réflexions partagés avec des étudiants nourrissent la pratique de l’architecte.
[Devenir architecte du XXIe siècle]
Pour moi la question de l’école a tout à voir avec le fait qu’aujourd’hui nous allons beaucoup travailler en réseau, les uns avec les autres. Heureusement, l’école forme différents profils appelés à exercer différents métiers. Parce qu’évidemment des liens très forts sont créés au sein d’une promotion et d’un atelier. Quand sur des projets la solution nous échappe, notre premier réflexe est de s’envoyer un message entre nous en fonction de qui a bossé sur quoi ou acquis telle ou telle compétence. Evidemment que nous allons vers une spécialisation des sujets, qui fait que l’accès à la commande devient compliqué, mais l’intelligence collective créée entre nous offre un recours.
Toute la question est de comprendre ce que permet l’école et quelles clés nous donnent les enseignants pour qu’ensuite chacun parvienne à faire son bout de chemin ? Avec la pédagogie, nous recevons également l’héritage d’un rêve commun, de ce que peut être le métier d’architecte, de ce qu’il pourrait être. Un rêve que nous souhaitons construire ensemble grâce à la richesse de la diversité des parcours.
[De la commande]
Je ne crains pas l’accès à la commande. La question est plutôt : « quelle commande ? ». Mon analyse est qu’aujourd’hui, pour accéder à la commande quand on démarre, il faut avoir un vrai discours qu’il faut justifier, voire sur-justifier, auprès d’acteurs qui ne parlent pas forcément notre langage.
La légitimité acquise en faisant de la recherche est intéressante pour le monde de l’architecture. Quand une agence se rapproche de la recherche, c’est la démonstration que les architectes ont des connaissances démontrables, transmissibles. Qui plus est, choisir un parcours de doctorat Cifre ne signifie pas forcément choisir de faire de la recherche toute sa vie, loin de là. Mais cela permet d’accéder à un réseau de spécialistes qui permettent de construire des projets et de choisir sa commande de manière assez marquée.
Pour porter un réel discours, il faut comprendre tout ce qui s’est fait avant, avoir ce temps supplémentaire au-delà des cinq années d’architecture, qui sont passées très vite, pour très bien comprendre le type de commande qu’on va cibler et l’aborder de manière éclairée.
Mélissa est diplômée en 2019. Elle est actuellement en formation HMONP à l’ENSA Paris Val de Seine et travaille dans une agence d’architecture parisienne.
[Être architecte au XXIe siècle]
Pour ma part, bizarrement, je suis plutôt pleine d’espoir. J’ai le sentiment qu’avec mon parcours en tant qu’étudiante, dans les enseignements que j’ai choisi de suivre, au-delà d’une certaine agilité à concevoir le projet, j’ai plutôt acquis de l’assurance.
J’ai aussi compris qu’il est important d’activer son réseau et qu’il faut avoir conscience de ses limites, de ses défauts et de ses atouts. En allant un peu toquer à la porte des personnes côtoyées pendant les études ou à celle de professionnels rencontrés à l’occasion de divers événements, j’ai constaté que l’accès à la commande intervient toujours à un moment ou un autre. Après en effet, quel type de commande, c’est un vrai sujet.
Je dirai que mes inquiétudes sont liées à l’une des principales désillusions du début de ma vie professionnelle, c’est-à-dire que, finalement, la maîtrise réelle sur la construction de la ville est très politique et quasi inaccessible à l’architecte. Ce fut l’une de mes premières constatations, de découvrir que notre intervention dans le processus de construction de la ville ne vient que très tard. C’est plutôt dans cette limitation de la responsabilité de l’architecte que je ressens de la frustration, source d’ailleurs de l’envie de mener des combats.
Propos recueillis par Christophe Leray (avec A.L.)
*Les prénoms n’ont pas été modifiés.
Retrouver les interventions …
– d’Estelle : « J’ai fait mes études en me disant que j’allais être architecte »
– de Raphaël : « Le champ disciplinaire de l’architecte passe par la fabrique du projet »
– de Margaux : « En Autriche les études durent 10 ans : on travaille en même temps qu’on apprend »
– de Dimitri : « Enseignant, chercheur, praticien : j’ai envie d’être les trois ! »