L’écologie punitive passe-t-elle par la loi ? Faut-il s’habituer à vivre dans le noir ? Qu’est devenu le Système D à la française ?
C’est au départ un message scotché sur le montant de l’ascenseur de l’immeuble des années ‘80 en banlieue nord de Paris où habite mon copain Slats Grobnik, un plombier polonais même si lui préfère dire qu’il est Allemand. « Ça le fait mieux », dit-il. Bref, sur l’ascenseur, la note est ainsi libellée.
Problème de lumière
Suite à une loi pour la protection de l’environnement, ces ampoules ne sont plus fabriquées.
Un devis a été adressé à… (le syndic) pour remplacer l’ensemble des luminaires
Cela a le mérite d’être succinct mais n’est-ce pas au syndic de demander un devis ? Bref…
Ces ampoules, design sans doute, éclairent des couloirs aveugles et, si elles ne sont pas d’origine, elles datent au moins de la dernière rénovation des intérieurs, il y a un moment déjà. En tout cas, vaillantes, elles datent, ce qui vaut tous les bilans carbone. « Une première ampoule est tombée en rade, puis une deuxième », m’explique Slats Grobnik.
Un an plus tard, relève-t-il tandis que nous attendons l’ascenseur, la note est toujours là, le scotch grisé comme du bois pourri, tandis que dans l’immeuble les ampoules s’éteignent tranquillement les unes après les autres au fil du temps long. « Aujourd’hui 45 sur 180 sont HS », décompte Slats avec tout le sérieux que commande le sujet.
La preuve, il a fait les comptes, étage par étage ! Il a même noté sur un carnet les étages déjà touchés par l’épidémie, ceux gravement atteints et ceux encore indemnes. « Je serais sociologue, je ferais une étude sur les réactions des habitants selon le niveau de lumière dans les étages quand ils m’ont vu avec mon carnet », dit-il. « Ha bon », dis-je. « Oui, tu sais, la nuit tous les chats sont gris… », dit-il.
Un ange a préféré prendre les escaliers.
Tandis que se ferment les portes de l’ascenseur : « Pourquoi ce délai ? Il y aurait donc une loi qui interdit le remplacement de ces lampes sauf à les remplacer toutes d’un coup ? » me demande Slats comme si j’étais député de la nation. « Peut-être celles-ci étaient-elles importées d’on ne sait où, fabriquées par des enfants de moins de six ans… », osais-je. « Très bien mais, en attendant, tandis que les couloirs s’assombrissent au fil du temps, n’y aurait-il donc rien à faire ? », s’interroge gravement mon copain plombier polonais.
L’immeuble R+6, avec trois entrées, précise-t-il, compte environ 180 logements, dix par étage, et autant d’ampoules dans les parties communes qui ne voient jamais le soleil. Il y a dans la résidence, d’évidence, constamment des travaux à réaliser : travaux de maintenance, préparation d’un logement après un déménagement, une fuite d’eau sur un balcon ici, une manivelle cassée de volet roulant là. « Les ouvriers et artisans de cette maintenance sont tous adhérent au syndicat Benetton United Colors mais ils sont d’une remarquable compétence », remarque Slats Grobnik, connaisseur.
Pour autant, je comprends que malgré la note encourageante qui le nargue chaque fois qu’il prend l’ascenseur, rien ne se passe concernant les ampoules de son couloir, dont trois sur dix ont déjà rendu l’âme puis-je constater en arrivant à l’étage. Alors il s’inquiète l’ami polonais. Faut-il, à en croire la note encourageante, attendre que les ampoules soient toutes cramées pour qu’il se passe quelque chose ? Ou attendre aux calendes grecques une nouvelle remise aux normes de tous les espaces intérieurs de circulation et d’un coup d’un seul remplacer tous les luminaires avec les derniers modèles en date autorisés par la loi ?
« En attendant que tout change, rien ne change », soupire l’ami, paraphrasant le philosophe, comme nous arrivons chez lui.
« N’y a-t-il donc pas pour le syndic, en attendant, moyen de remplacer les ampoules sans toucher à celles qui brillent encore : il en reste beaucoup – 135 – certaines sans doute parties pour être centenaires ? Parce que, sous les ampoules éteintes, les douilles sont toujours-là et n’importe quel compagnon va savoir installer rapidement un éclairage rassurant pour les résidents », insiste-t-il. Le plombier polonais est un homme simple.
En effet, me dis-je, ce serait l’occasion, au fil de circuits courts de récupération, de créer ici un nouvel univers lumineux provisoire, avec de la diversité dans les luminaires afin d’égayer des couloirs tirés au cordeau et sombres par nature. Ce n’est pas la compétence qui manque, ce n’est même pas une question de prix, c’est une question d’imagination.
« Sauf si bien sûr il s’agit pour le syndic d’un marché d’importance », poursuit Slats Grobnik. « Comme celui du remplacement des interphones qui marchaient parfaitement bien par des interphones qui ne fonctionnent pas bien du tout. Multiplié par 180 ! Ces travaux sont bien entendu facturés aux résidents », dit-il ingénument, comme si cela allait de soi.
« C’est ainsi que les hommes vivent », dis-je, plus fataliste que désespéré. « C’est vrai quoi, il faut replacer cet épisode dans un contexte plus large. Si cela se passe là où tu habites, dis-je à Slats, ce n’est pas de l’injustice, tu n’es pas maudit, des milliers d’immeubles dans le pays sont sans doute concernés, en même temps, par ce type d’inaction… »
Un ange a voulu passer et, dans le noir, s’est cogné contre la porte des voisins.
Problème de lumière ? Oui, vraiment, car en attendant le grand remplacement, installer un luminaire de dépannage sur une douille existante, Slats s’en occuperait bien lui-même et s’arrangerait avec les voisins, au noir, s’il n’avait pas peur de la Stasi.
Pour autant, je lui fais remarquer que son idée devient tout de suite plus compliquée pour la directrice des achats du syndic si elle doit commander une fois tous les deux ou trois mois auprès d’une filière de matériaux de récupération une dizaine ou une centaine de luminaires disparates à deux francs six sous à dispatcher aléatoirement dans tous ses immeubles par les membres du syndicat Benetton United.
Certes, l’ampoule d’origine qui viendrait à mourir de sa belle mort serait peut-être plus rapidement remplacée lors du prochain passage d’un artisan syndiqué. Si, en plus, la directrice des achats du syndic avait du goût, avec leur univers artificiel renouvelé au rythme des défaillances, les résidents auraient sans angoisse le temps d’attendre les ampoules du futur et la rénovation complète du couloir… Mais cela fait beaucoup de si !
« Je n’ose même pas penser aux luminaires des copropriétés dégradées », conclut Slats Grobnik, hochant la tête tristement, m’invitant à m’essuyer les pieds avant d’entrer. Sur son paillasson, inscrit en noir : Witamy.
« T’inquiète », lui dis-je, « tout cela va bientôt changer puisque bientôt les copropriétés se piloteront comme des Formules 1 ! ».
Christophe Leray