« Comment renouveler la pratique des grandes salles de concert habituellement identifiées comme des programmes urbains à caractère essentiellement technique ?« , s’interrogeait Bernard Tschumi (BTuA) en découvrant le site du Zénith de Limoges, une forêt domaniale. La réponse réside dans « une double enveloppe translucide et boisée » autour d’une salle de concert sans aucun poteau.
« Le point de départ de ce projet est la qualité inédite du site pour un équipement public : un écrin de forêt du Limousin et une prairie fleurie pour accueillir 6000 spectateurs et les plus grandes tournées nationales et internationales, » explique Bernard Tschumi. Il avait déjà réalisé, en béton et acier, le Zénith de Rouen. Pour celui de Limoges, le programme était le même, quasiment à la virgule près. L’architecte franco-suisse aime à répéter que l’architecture est la « matérialisation d’un concept« . Mais que se passe-t-il quand le concept est le même mais le contexte totalement différent ? De ce questionnement, l’architecte a conçu une réponse « jubilatoire et compliquée. »
Ce Zénith est, selon lui, une structure « hybride. » « Béton, bois et acier sont subtilement associés pour donner à l’enceinte la plus grande fluidité et offrir des espaces lumineux à l’acoustique modulée, » dit-il. Cela est possible en partie grâce à une charpente métallique qui rayonne sans appuis autour de la scène et permet ainsi de loger les spectateurs autour de la scène dont le cadre maximum d’ouverture peut aller jusqu’à 80 mètres. Pour expliquer cette jubilation, il faut repartir à Rouen. Tschumi raconte : « Le zénith de Rouen avait une portée considérable (90 m) et nous avions allégé le poids de la structure qui reposait sur trois mâts qui reprenaient une partie de cette structure dans son milieu. Le chantier démarre, on lève les mâts, on monte le tout quand, au moment d’enlever les échafaudages, on s’aperçoit que la structure tient toute seule. »
« C’est à travers l’incertitude qu’on arrive à faire du travail intéressant, » disait-il lors d’un entretien précédent (lire à ce sujet notre article ‘Bernard Tschumi, ou comment articuler les contours d’un siècle émergeant‘). Et il découvrait alors, sans l’avoir véritablement cherché, cette structure en apesanteur ou presque. Limoges fut l’occasion de poursuivre cette logique jusqu’au bout. « Un calcul un peu plus fin et nous avons pu concevoir cette structure sans ni poteau ni suspente, » dit-il et ainsi atteindre l’ambition de départ d’une « salle enveloppante presque circulaire permettant aux spectateurs de s’installer sur les côtés. »
En effet, la salle de concert pour le Zénith de Limoges s’inscrit, pour BTuA, dans le cadre de recherches plus larges sur les grandes enveloppes architecturales. Et Bernard Tschumi tient ici à rendre hommage au travail de son associée Véronique Descharrières et de leur équipe parisienne (qui a travaillé sur ce projet conjointement avec celle de New York) qui ont su traiter cette structure dans le détail afin de lui ôter tout caractère industriel.
Si « créer une salle entièrement ouverte sur un paysage magnifique tout en encourageant le rayonnement culturel et économique de la Communauté d’Agglomération Limoges Métropole, » comme on dit en lingua architecturale diplomatique, était bien l’enjeu de ce projet, il reste que pour cet urbain affirmé qui partage son temps entre Paris et New York, se retrouver en pleine forêt s’est dans un premier temps révélé « angoissant« . « La ville impose des contraintes qui font réagir. Le Zénith de Rouen n’était pas tout à fait en ville (mais sur le terrain d’un aérodrome désaffecté le long d’une voie rapide. NdR) mais là, à Limoges, nous étions au coeur d’une forêt domaniale avec des arbres bicentenaires, » dit-il. Dit autrement, la nouvelle problématique était d’installer un objet au milieu de nulle part mais dans un contexte marqué. Bernard Tschumi revient d’ailleurs sur cette notion ‘d’arbre bicentenaire’ comme on fait rouler un caramel en bouche et précise que non seulement aucun arbre ne fut abattu – la parcelle était une clairière – mais beaucoup furent plantés.
Toujours est-il que si à Rouen il avait cherché, avec le métal et le béton, à se « protéger » autant qu’à protéger la quiétude des habitations voisines, il découvrait qu’à Limoges, dans ce contexte, seule une protection acoustique était nécessaire. Il sut immédiatement ou presque également que dans ce site sylvestre, le métal ne « fonctionnait » pas. A Limoges, l’enveloppe extérieure est donc faite d’arcs de bois et de grandes plaques de polycarbonate translucide tandis que l’enveloppe intérieure est recouverte de bois. « La double enveloppe de notre bâtiment répond idéalement à l’ouverture vers la forêt qui rythme l’arrivée du public, puis à l’obscurité et la concentration des spectateurs dans la salle de concert. Le mariage inattendu d’une enveloppe translucide cintrée avec une double résille de bois confère mystère et surprise dans l’espace d’accueil des spectateurs. Le volume de la salle, entièrement revêtu de bois de la région, s’impose au coeur de la forêt. Sa forme d’amphithéâtre concentrique se distingue par le concept d’une double enveloppe qualitative. La résille de pins en Douglas offre un très bon traitement acoustique de la salle, mais donne aussi une grande chaleur aux espaces intérieurs. Dans le foyer, la sous-face des gradins traduit la dimension spectaculaire de l’équipement. Dans la salle, les gradins, parois et plafonds se confondent pour envelopper le public dans une ambiance dynamique et chaleureuse, » explique-t-il.
S’il avait imaginé que par un jeu de variation sur la couleur des 4500 coques en bois, la salle puisse donner l’impression de crépiter avant même le début du spectacle, les sièges étant comme « autant de pixels répartis de manière aléatoire pour former une image dynamique à l’échelle immense de la salle, » c’est à l’issue du chantier qu’il a découvert l’étendue des effets de lumière du matériaux polycarbonate quand il est courbé. « Pendant la journée, il multiplie à l’infini, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, les effets du soleil et, la nuit, l’éclairage des fluos se répète mille fois, l’ensemble proposant ainsi une promenade nocturne poétique entre paysage et musique, » dit-il.
« Le concept de la double enveloppe ainsi que la circulation entre deux est avantageuse pour des raisons à la fois acoustiques et thermiques. Et, entre les deux enveloppes, sont localisées les circulations des visiteurs, » rappelle Bernard Tschumi. Deux rampes, l’une descendant vers la partie inférieure de l’auditorium et l’autre montant vers la partie supérieure, caractérisent le foyer. Également, deux escaliers à double-courbure en bois et béton, montent directement vers les dernières rangées de sièges.
Le traitement des matériaux est déterminé en grande partie par une volonté de conservation énergétique et de haute qualité environnementale, chère au maître d’ouvrage. Les plaques de polycarbonate semi-rigides de 2 cm d’épaisseur avec leurs multiples couches en alvéoles offrent une excellente isolation. Elles sont également sérigraphiées pour augmenter la protection solaire. La ventilation naturelle est intégrée dans le concept pour que la température du foyer reste toujours à un niveau tempéré.
L’acoustique enfin joue un rôle majeur dans le traitement de l’enveloppe intérieure. Sur la face côté auditorium de celle-ci, une grande absorption est exigée pour ce hall de 8000 spectateurs. Sur la face regardant le foyer de 1800 m², des matériaux en alternance absorbants et réfléchissants sont générateurs d’effets acoustiques pour donner une ambiance chaleureuse au lieu.
Restait à résoudre la conception du parking. En clair, comment mettre un parking dans une forêt domaniale sans balafrer le site ? Ici, Bernard Tschumi cite une boutade de Michel Desvigne, qui a conçu ce parking : « l’avenir n’est pas dans les parcs mais dans les parkings » puisque se construisent plus de parkings que de parcs. Ici, une pelouse renforcée par un mélange de terre et de pierres permet aux nombreux véhicules de venir se ranger dans une clairière arborée à la lisière de la forêt. Un éclairage évènementiel par un jeu de ballons lumineux renforce l’image poétique d’un bois dans la nuit. En effet, « selon les calculs, il aurait fallu planter 80 mâts type super-marché » pour éclairer le parking. Pas question, évidemment, surtout après être parvenu à n’en mettre aucun dans la salle. Avec ces ballons industriels qui commencent à trouver un usage architectural – ils furent notamment utilisés par Herzog et de Meuron lors de la construction de stade de foot de Munich – cinq mâts furent suffisants.
Christophe Leray
Fiche technique
Programme : Salle de spectacles de grande capacité pour 6000 spectateurs avec des jauges modulables de 600 à 8000 spectateurs. Foyer des spectateurs avec bars et une salle de réception. Locaux professionnels d’administration et de production des spectacles avec plusieurs loges, 2 caterings pour la restauration des équipes, une salle d’échauffement. Sur 4 ha, un parking pour 1500 véhicules entièrement engazonné et boisé.
Maître d’Ouvrage : Communauté d’Agglomération de Limoges
Maître d’Oeuvre : Bernard Tschumi urbanistes Architectes
Conception / Réalisation : Bernard Tschumi avec Véronique Descharrières
Projet : Jean Jacques Hubert, Antoine Santiard, Joël Rutten
Équipe : Anne Save de Beaurecueil, Chong-Zi Chen, Nicolas Cazali, Mathieu Göetz, Lara Herro, Robert Holton, Sarrah Khan, Joong Sub Kim , Alan Kusov, Dominic Leong, Michaela Metcalf, Alex Reid, Vincent Prunier et Sylviane Brossard.
Équipe de Maîtrise d’oeuvre
Architecte d’opération Associé : Atelier 4
Bureau d’études : Technip TPS avec Jaillet & Rouby et Naterrer Bois Consult
Scénographe : Scène
Acousticien : Cial
Paysage : Michel Desvigne avec Sol Paysage
Consultant façades Hugh Dutton Associés
Economiste Bureau : Michel Forgue
Ingénieur HQE : Michel Raoust
Typographie signalétique : Benoît Santiard
Date de l’inauguration 8 mars 2007
Coût travaux bâtiment : 15 millions € HT (soit 1 470 €/m²)
Coût travaux extérieurs : 2,5 millions €
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 18 avril 2007