Christian de Portzamparc et l’EPAURIF (Établissement Public d’Aménagement Universitaire de la Région Île-de-France) ont remis les clefs en décembre 2021 du Campus Nation de l’Université Sorbonne Nouvelle qui accueillera à terme, sur 35 000 m², à l’est de Paris (XII), environ 6 500 étudiants par jour (18 000 inscrits) en arts, théâtre, cinéma, lettres, langues et sciences humaines et sociales. Communiqué.
Pourquoi de nouveaux bâtiments ?
La Sorbonne Nouvelle, issue de l’ancienne faculté́ des lettres de Paris, était implantée depuis sa création en 1970 dans une quinzaine de lieux. Elle bénéficie, depuis 2013 et l’abandon du site de Censier, de la création d’un campus intra-muros de 35 000 m² dans le XIIᵉ arrondissement.
L’objectif était de rationaliser la vie universitaire, d’optimiser son patrimoine immobilier, de poursuivre son développement et de contribuer à la restructuration de ce quartier du sud-est parisien situe à proximité de la place de la Nation. L’université a donc fait le choix d’augmenter les surfaces utiles et de regrouper les activités et les espaces de documentation.
Sorbonne Nouvelle a développé depuis 1970 des formations innovantes en arts, lettres, langues, sciences humaines et sociales, et entend bien rester à la pointe des humanités modernes. Elle est désormais constituée principalement de deux grands pôles, celui du Quartier Latin et celui de la Nation. Ce dernier, largement ouvert sur la ville, regroupe 90% des effectifs et des espaces.
Le site du pôle universitaire
Sorbonne Nouvelle, dans Paris intra-muros, en rupture avec les campus à l’extérieur des villes a saisi l’opportunité́ foncière offerte par un site du ministère de l’Agriculture qui libérait une parcelle de 11 345 m², assez contraignante et de forme irrégulière. Les sept bâtiments de l’institut technologique FCBA ont été démolis, a l’exception d’un ancien séminaire datant du XIXe siècle situe dans l’enceinte du site.
Un ensemble disparate de bâtiments religieux protégés au titre des monuments historique forme un écrin cloisonné pour le complexe universitaire : l’ancien couvent, le cimetière de Picpus, la chapelle Notre Dame de la Paix et le séminaire, ainsi qu’à l’angle de l’avenue de Saint-Mandé et de la rue Picpus, la tour de l’ONF entourée d’un jardin, et l’ensemble de logement du 14 avenue Saint-Mandé.
Les bâtiments universitaires sont au centre d’une nouvelle dynamique pour l’arrondissement, leur implantation contribue à la métamorphose en cours du quartier Nation-Picpus.
Le programme
Le fil rouge du programme est que ce lieu d’enseignement conjugue le travail individuel, la vie collective et le nombre d’étudiants. Le programme, pour une surface de 26 000 m² utiles, se caractérise – outre 146 salles de cours d’une capacité 120 à 10 places, des bureaux pour l’administration, cinq laboratoires de langues – par une vaste bibliothèque sur trois niveaux, trois amphithéâtres de 120, 350 et 500 places, un théâtre, une salle de cinéma, un restaurant, des studios d’enregistrement, un plateau télé.
Il était demande que l’image portée par le projet affirme la présence de l’Université́ dans la ville, son ouverture sur la société́, sa mission de valorisation du savoir. Ainsi l’université est-elle ouverte sur la ville, perméable au quartier, avec certains de ses espaces – bibliothèque, lieux de spectacles – partiellement ouverts au public qui bénéficieront d’accès spécifiques. Dans cet esprit, la bibliothèque, joue un rôle emblématique, de même que les spectacles montés par les étudiants de la filière théâtre.
L’université compte déjà 18 000 inscrits et elle peut accueillir simultanément 9 500 personnes dont 6 500 étudiants.
Les espaces paysagers sont un élément fort du programme en raison du classement du site en secteur de « mise en valeur du végétal ».
Insertion urbaine composition architecturale
La nouvelle construction occupe une surface hors œuvre brute de 39 414 m² ou 35 000 m² de surface de plancher. Transcendant les contraintes de ce site très étroit, Christian de Portzamparc a joué de géométries triangulaires et curvilignes, qui lui ont permis d’intégrer les bâtiments tout en modelant un paysage de cours-jardins.
Le plan d’ensemble
Issue des choix architecturaux, la volumétrie générale est fragmentée en trois entités principales : la bibliothèque, le bâtiment du restaurant, des salles de cours et de l’administration, et le bâtiment des amphithéâtres, salles de spectacles, studios, etc. avec ses taches colorées bleu, jaune, vert amande sur la façade.
Le plan masse présente une géométrie souple, organique. Les trois ouvertures sur l’îlot font pénétrer la lumière sur les façades ondulantes, percées de fenêtres trapézoïdales de la bibliothèque. En retrait des limites des constructions voisines, les deux bâtiments forment un creux dans lequel le volume triangulaire de la bibliothèque et le jardin trouvent leur place. Perceptible de l’avenue de Saint-Mandé́, cette disposition stimule la curiosité́ des riverains et des piétons, par une série d’appels, un séquençage rythmé.
Les failles toute hauteur, créées entre les entités programmatiques, offrent des percées visuelles vers l’intérieur de l’îlot, qui ouvrent le pôle universitaire sur la ville et donnent aux passants des vues sur le jardin de l’ONF.
Les trois bâtiments
À la pointe de l’îlot, la bibliothèque occupe un espace triangulaire et signale la présence de l’université, depuis l’avenue de Saint-Mandé́. Sa partie nord apparaît comme une étrave, un signal, tandis que le bâtiment des salles de cours assure la continuité́ du front bâti sur la voie publique, qui répond à la Tour de l’ONF dans un rapport complémentaire. En bordure de l’avenue de Saint-Mandé́, ce bâtiment reprend pour partie l’écriture des façades de la bibliothèque – fenêtres de forme trapézoïdales – pour progressivement affirmer son propre langage, avec une grande baie vitrée qui exprime son identité́, renforçant ainsi la cohérence de l’ensemble du projet.
Perpendiculairement à ce bâtiment, le long de la limite sud de la parcelle, s’insère le bâtiment qui accueille au rez-de-chaussée le restaurant universitaire ouvert sur le jardin, avec dans les étages les salles d’enseignement et les bureaux de l’administration. Le retrait progressif des façades respecte le prospect du couvent et crée une architecture de restanques dont les terrasses plantées font référence aux jardins suspendus qui jouxtaient la bibliothèque emblématique de Babylone.
La séquence tour ONF, bibliothèque et bâtiment d’enseignement fait la transition entre l’architecture des années ‘60 et l’architecture des logements contemporains voisins, sans pour autant rompre le dialogue entre les différentes parties du projet.
La fragmentation du bâti permet d’intégrer l’ancien séminaire dont la façade – protégée au PLU et restaurée – fait partie de la composition d’ensemble. Restructuré a l’intérieur, le séminaire abrite la Maison des étudiants. Les échappées visuelles vers la ville, donnent de la lumière a tous les espaces, salles de cours, comme bibliothèque ou restaurant.
Une partie des surfaces éclairées naturellement par le bas-jardin et le théâtre extérieur est installée en sous-sol afin de réduire l’impact émergent des volumes. Au sud, les façades ont fait l’objet d’une attention particulière pour protéger efficacement les espaces intérieurs de la chaleur.
Des brise-soleil en lignes horizontales protègent les locaux contre le rayonnement, constituant un « filtre » optique qui empêche de voir tous les intérieurs des bureaux et contribue à préserver l’intimité dans le couvent, le cimetière, la chapelle.
Insertion en discrétion
Le bâtiment A qui fait face au bâtiment D rectangulaire de l’ancien séminaire rénové affiche une volumétrie en gradins. La hauteur de sa façade en premier plan (à 16,40 m) est basée sur celle de l’ancien séminaire (14,70 m) permettant des rapports d’échelles délicats. Au-dessus, les niveaux sont étages.
La façade sud rompt avec la linéarité́ existante du mur d’enclos des jardins de Picpus et tire parti du gabarit du PLU pour composer une façade animée de saillies et de redans avec une première hauteur de 8,60 m, face à un mur de 7 m. Tout est mis en œuvre pour minimiser l’impact visuel de l’université́ depuis les jardins attenants. En jouant sur la perspective, le bâtiment est là sans être vu. Le même principe est retenu pour la façade du bâtiment situé à l’est qui prend ses distances avec l’immeuble de logements.
Le retrait des limites parcellaires à l’est et au sud (entre 7 et 12 m), supérieur aux exigences du PLU, permet la création d’une voie technique de desserte et d’accessibilité́ pour les véhicules de secours (pompiers). Les courbes dans la géométrie du bâtiment longeant l’avenue de Saint-Mandé́ impulsent une fluidité́, un dynamisme continu.
Les façades homogènes qui se retournent sur l’intérieur du site confirment cette dynamique. On se sent attiré, enveloppé dans une relation cénesthésique, et les courbes font aussi écho à la tour circulaire de l’ONF à l’angle.
Jardins et paysages
Le programme accorde une grande importance au paysage, en raison du classement du site en secteur de « mise en valeur du végétal ». De plus le PLU impose de conserver des surfaces libres et des espaces en pleine terre.
En dépit de la densité du programme, l’architecte a façonné des canyons de verdure, des failles qui laissent entrevoir un double cœur d’îlot planté. Son parti architectural a permis de dégager un grand jardin et un amphithéâtre extérieur, l’Odéon.
C’est ainsi qu’a surgi un paysage articulé autour de pelouses, de prairies, d’arbre de hautes tiges, qui accompagnent les dénivelés du terrain.
Au total, avec les toitures végétalisées, le projet offre environ 4 268 m² de « nature en ville » – 2 039 m² en pleine terre et 2 229 m² sur dalle – contribuant à créer une ambiance de campus urbain. Les espaces en pleine terre sont répartis entre les abords et le cœur de l’îlot. Les espaces libres sont végétalisés au maximum, tout comme les toitures. Le nivellement des jardins intérieurs forme un amphithéâtre en creux, l’ensemble dessine des vallons, des clairières et donne l’impression d’une amplitude « géographique ».
Architecture et vie universitaire
Alors que le Conservatoire de Musique fête ses 30 ans, le programme universitaire de Sorbonne Nouvelle a permis à Christian de Portzamparc de mettre en œuvre des lignes fortes, la quintessence de sa pensée, issue d’années d’expérience et de construction dans la ville – ouverture de l’îlot, générosité des espaces communs, maîtrise de la lumière naturelle et des entre-deux, densité, lien avec la ville.…
« Dans les villes il y a le passé immense, le présent toujours en activité et le devenir où l’on souhaite des transformations. Mon activité d’architecte et d’urbaniste a toujours été de travailler sur des morceaux de ville pour les changer.
La pandémie nous a révélé qu’on a besoin d’espace, de verdure, de voir le ciel, de marcher, de se rencontrer… Dès nos premières études sur Sorbonne Nouvelle, notre réflexion a porté beaucoup sur cette histoire d’ouverture, avec ce que j’ai appelé les « îlots ouverts » : faire entrer le soleil, la lumière, tout en préservant une sorte d’intimité. Il y va d’une nécessaire harmonie.
L’harmonie a deux définitions pour moi : d’abord, quelque chose de difficile à définir qui tient au sens des proportions, au goût pour les contrastes, le grand, le petit, l’arrivée de la lumière tout un ensemble avec des règles… Mais l’harmonie, c’est aussi qu’il n’y ait pas d’inégalités ni de violence. L’espace commun de la ville, même quand il n’a pas été trop prévu à l’avance redevient l’espace de la sociabilité et des rapports entre les gens. C’est très important. Ce besoin de ville, je l’associe au fait que j’ai toujours travaillé à réhabiliter la rue et prendre soin des circulations ».
Christian de Portzamparc in « La Grande Table » (France Culture, juin 2020) – Penser l’après : « Il faut savoir inclure dans les villes la diversité du monde »
Hall d’accueil et cloître
Au pied de la bibliothèque, un parvis protégé́ sous la pointe nord donne accès au hall de l’université́, et permet aussi un accès direct à la bibliothèque.
Sur l’avenue de Saint-Mandé́, le hall d’accueil transparent au plafond perce d’oculi, ouvre sur la cour-jardin, la perspective de la tour de l’escalier au sud, et le cloître, interprétation contemporaine d’un thème de vie collective, concentrée sur l’étude et destinée à favoriser l’échange entre tous.
Sitôt franchie l’entrée du hall, on devine l’intérieur de l’îlot et l’organisation des bâtiments autour du cloître qui se déploie en boucle. Un cheminement évident et lumineux, abrité pour partie, absorbe les flux, guide et donne accès à l’ensemble des fonctions du site : salles de travaux diriges et de cours, amphithéâtres et théâtres, restaurant universitaire, bibliothèque, cafétéria.
Ce cloître est le lieu de la rencontre et de l’échange entre étudiants, enseignants, personnel administratif, visiteurs et public extérieure à l’université́. Il constitue l’élément fondateur autour duquel sont aménagés les salles de cours et les bureaux dans les bâtiments linéaires qui longent l’avenue de Saint-Mandé́ et les limites est et sud de la parcelle.
Liens entre les bâtiments
Implanté le long de l’avenue de Saint-Mandé́, le bâtiment d’enseignement et d’administration se retourne à angle droit, dessinant un L.
Perpendiculairement, le long de la limite sud de la parcelle, le bâtiment qui accueille au rez-de-chaussée le restaurant universitaire, s’ouvre sur le jardin par de larges baies vitrées.
Au sous-sol de ce bâtiment et de la bibliothèque, un généreux cheminement éclairé par la cour-jardin, donne accès aux amphithéâtres, aux salles de spectacle, au cinéma.
A l’articulation des deux bâtiments, un imposant escalier elliptique marque la faille, tel un belvédère sur le cloître. Il dessert tous les niveaux, et innerve via des passerelles vitrées, les locaux d’enseignements et d’administration.
La bibliothèque, signal dans la ville
Au cœur du cloître, au nord-ouest de l’îlot, est lovée la bibliothèque, identifiable dans le quartier de tous côtés (avenue de Saint-Mandé, rue de Picpus, intérieur de l’îlot) par sa singulière géométrie triangulaire adaptée aux limites irrégulières du terrain.
La bibliothèque, signature de l’université, permet de se repérer sur le site. Sa façade sinueuse, percée de fenêtres trapézoïdales, joue avec la tour cylindrique de l’ONF. Les trois façades sont traitées avec un enduit satiné blanc cassé.
Les espaces intérieurs
L’articulation et la distribution des locaux concourent à leur qualité́. Les aménagements intérieurs découlent d’une adéquation entre distribution, orientation et relation aux espaces extérieurs.
La lumière est partout. Ainsi le restaurant universitaire, éclairé par la lumière du nord, est orienté vers le jardin.
L’amphithéâtre de 500 places, implanté sous le volume du hall de la bibliothèque, est naturellement éclairé par un puits de lumière situé au-dessus de la scène.
Le foyer entre l’amphithéâtre et la salle de spectacle bénéficie de la lumière due au galbe du terrain.
La bibliothèque déploie sur quatre plateaux ses surfaces de travail en plan triangulaire, le cinquième plateau, non accessible au public, est celui des bureaux des bibliothécaires. Ses lignes douces de béton et de bois, forment un cocon protecteur. A partir de l’accès central sur les plateaux de lecture, le plan en étoile génère à l’intérieur une gradation de la lumière, entre les différents lieux de travail et de stockage. Les ouvertures de forme trapézoïdales favorisent la pénétration de la lumière au fond du local tout en limitant les pertes thermiques.
Les bâtiments des salles de cours disposent de plateaux d’environ 2 000 m². Ces plateaux « intelligents » de 18 m de large sur une trame régulière de 5,4 m permettent une grande flexibilité́.
D’une manière générale les locaux accessibles aux étudiants sont situés dans les niveaux inférieurs afin de privilégier l’utilisation des escaliers par le plus grand nombre. Les circulations sont larges, ponctués d’alcôves et de bancs en bois dimensionnés pour l’agrément et le confort. Des codes couleur par étage contribuent à se repérer.
Situés dans les niveaux les plus hauts, les espaces dédiés à l’administration bénéficient de vues dégagées, de lumière naturelle maîtrisée par des systèmes d’occultation pour un confort visuel optimum ainsi que de terrasses accessibles.
Les vues vers le Couvent de la Congrégation des Sacrés-cœurs et de l’Adoration et du jardin historique sont filtrées, pour préserver la tranquillité des lieux.
Les installations artistiques
Dans le cadre du 1% artistique, trois artistes ont été missionnés pour créer des œuvres d’art, Ivan Argote, Beatrice Casasesus, le Collectif 5/5.
Ivan Argote – artiste colombien contemporain sculpteur, vidéaste, photographe, adepte des performances – est intervenu dans le cloître et sur les marches de l’amphithéâtre extérieur dénommé l’Odéon. Dans le cloître des lignes de bronze deviennent des textes et habillent subtilement les poteaux avec la phrase “Ici et maintenant”. Sur chaque marche de l’Odéon, des mots en bas-relief sont imprimés afin de constituer un poème.
Beatrice Casasesus, peintre française a créé une œuvre pour le foyer des amphithéâtres. Elle a peint deux toiles monumentales à partir de panneaux assemblés et une succession de couches de couleurs en camaïeux qui se superposent. Le premier tableau intitulé Rouge-Or (4 m sur 9 m de largeur) est une métaphore du rideau du théâtre et symbolise une fenêtre ouverte sur le monde. Le second tableau Paradis bleu (3 m sur 11 m de largeur) fait référence à l’appellation en usage au 19e siècle pour indiquer les derniers étages des balcons des théâtres mais également au film de Marcel Carné Les enfants du Paradis. L’artiste est aussi intervenue sur le plafond du foyer et dans les espaces de travail informel par des compositions colorées.
Le collectif 5/5, est un collectif de “design global“ fondé en 1983. 5/5 a reparti dans le campus trois « kiosques » – tels des places publiques – ouverts à tous pour prendre un café́, travailler, échanger. Chaque kiosque incarne un service participatif qui contribue à la vie de la Sorbonne Nouvelle :
– le kiosque des mots pour partager des livres et des idées ;
– le kiosque des trésors pour mettre à la disposition de la communauté́ des objets ou un service ;
– le kiosque des affiches pour s’informer sur les événements scientifiques (conférences, rencontres), culturels (représentations, festivals…) ou associatifs en cours et à venir.