
Rien n’est aussi déprimant que l’autocentrisme. C’est bien connu : plus l’on se rapproche du centre, plus vite on en fait le tour. C’est pourquoi je me suis temporairement éloigné de Paris pour parcourir les recoins de Saint-Jean-d’Angély, en Charente-Maritime.
J’accède à Saint-Jean-d’Angély en deux temps. Un premier trajet Paris-Saintes suivi de la navette, soumise à la succursale des chemins de fer locale, qui relie les bourgades entre elles. Comme une première puis une seconde étape d’un parcours initiatique menant vers la fin des certitudes parisiennes.

Saint-Jean-d’Angély est accessible mais discrète, accueillante mais sélective. (Quand je dis «sélective», cela n’a rien à voir avec son passé de spot d’aviation de Charente-Inférieure, subordonnée à la Nationalsozialistisches Fliegerkorps en 1940).
Une fois que l’on y a enfin accédé, la ville dévoile de bon cœur un décor qui œuvre à faire oublier une architecture passée, brillant par le malaise qu’elle installe au regard de l’Histoire.

Saint-Jean-d’Angély ne m’accordera tout au plus qu’une ou deux semaines d’attention. Rien de véritablement sérieux. Ses habitations, son bourg et ses monuments sont beaucoup trop intimes, et ses voies principales beaucoup trop confortables, pour comprendre qu’elle me montre la sortie aussitôt après m’avoir fait entrer chez elle. Comme l’appartement d’une conquête, parfait en tous points, dont la literie ne proposerait hélas qu’un seul oreiller. Bonjour, merci, au revoir.

Du coup, je m’attarde sur les détails. Dans un premier temps, je constate que le centre-ville ne diffère en rien de celui des petites communes de la campagne francilienne. Traitez-moi de Parisien mais, que ce soit à Saint-Jean-d’Angély en Charente-Maritime ou à Survilliers dans le Val d’Oise, le centre-ville me donne l’impression d’être un soldat parachuté d’outre-manche, venu reprendre le contrôle d’un clocher aux coordonnées stratégiques vitales, m’autorisant l’arrogance d’apporter aux autochtones le nec plus ultra en terme de gomme à mâcher et de blue-jeans.
Mais lorsque je plonge dans les détails, dans l’ADN, dans l’identité, tout s’éclaire, et mes délires cinématographiques grand public se transforment en film documentaire primé au festival d’Amsterdam.

Ici, je désapprends. Lorsque dans les quartiers branchés du 93, bidule me narre le passé de son loft, ancien entrepôt qui servait à stocker le foin, je n’ai en tête que les grosses typographies brillantes et épaisses que les artistes de Brooklyn nous ont léguées, à nous Parisiens. Alors qu’à Saint-Jean-d’Angély, lorsque je marche près d’un entrepôt situé en périphérie de la ville, près d’une usine de traitement des eaux, j’entends les sons de la révolution industrielle.

Des bruits d’ouvriers et de métaux jaillissent des fenêtres brisées de cet entrepôt qui tient à peine debout et ricochent aussitôt sur le panneau «à vendre» solidement fixé sur le portail d’une maison célinienne. Malaise d’être le témoin d’une scène familiale à laquelle je n’étais pas censé assister. Le cadavre de l’usine qui n’a toujours pas été enterré, la vieille maison qui se résigne à s’offrir au premier Parisien venu, pour survivre ; sachant qu’elle ne sera acquise qu’en troisième choix, une fois que le client aura l’assurance que les pavillons longeant le Port Fouras et les grands appartements de Saintes, Cognac et Surgères seront tous pris.

Saint-Jean-d’Angély est accessible mais discrète, accueillante mais sélective. Elle est digne.
Herizo