
Un après-midi d’automne, m’ennuyant car nous étions dimanche, je pris la décision de traîner à pied dans des coins de la Seine-Saint-Denis jusqu’au XIXe arrondissement.
Habituellement, l’Avenue de la République, l’après-midi se fait discrète. En automne, elle frôle la dépression. Elle fricote bien avec quelques chalands inemployés, et retraités, et indépendants, et de passage, mais pas plus. D’ailleurs, j’ai bien vu qu’elle fut surprise, qu’elle ne s’attendait pas à mon arrivée. Même si nul son ne sortit de sa bouche, l’Avenue de la République m’a néanmoins envoyé un vent d’air frais au visage, par réflexe, puis elle mit ses chalands en mouvement, pour me montrer qu’elle était d’humeur. Puis elle m’ouvrit ses bras. Puis elle m’invita à emprunter sa longueur pour circuler.
Je l’aime bien, l’Avenue de la République. Elle possède la courtoisie des voies lucides. Elle ne paye pas de mine, mais elle ne s’adonne jamais à l’esbroufe. Quand elle s’offre à moi en restant elle-même, neutre, authentique, elle n’est pas vilaine. Je peux parcourir son trottoir avec plaisir, comme si c’était une foulée d’un soir.

Ayant prématurément rompu mon dialogue avec l’Avenue de la République (ça arrive à tout le monde), je me dirigeais vers le Métro lorsque la Cité m’interpella. La Cité est une cousine que je tolère, la tolérance n’étant bien évidemment qu’un rejet grimé en politesse. Je la connais bien. Elle est trop bavarde et c’est compliqué de s’échapper dès lors qu’elle vous a alpagué. Une vraie commère, la Cité. Une vraie langue de vipère. La Cité n’a pas mauvais fond, elle est juste nocive. Elle casse les pieds. Elle torture les nerfs. C’est plus fort qu’elle.

Depuis que je la connais, c’est-à-dire depuis l’enfance, je n’entends que des complaintes. Souvent justifiées. D’accord, il faut admettre que la Cité en bave. Ce n’est pas facile pour elle, tous ces enfants à charges. Ces responsabilités qui se sont imposées à elles alors qu’elle était toute jeune. Du coup, elle ne parle que d’elle. La Cité ne voit rien d’autre que ses problèmes personnels. Et qu’elle n’a pas un centime, et que son dernier amant l’humilie un peu trop, ne lui offrant que du maquillage tous les six ans. Et qu’on lui fait de belles promesses jamais tenues. Alors chaque fois qu’elle se lance dans un de ses monologues plaintifs, je jure à la Cité que je la comprends. Je lui rappelle que j’ai connu ses soucis, certes, mais que là maintenant tout de suite il faut vraiment que j’y aille.

Le Métro m’avait observé de loin. Lorsque j’arrivai à son niveau, il lâcha un sourire en coin, pour se moquer de la Cité et de sa phobie de la mobilité. A peine l’avais-je salué qu’il s’installa dans un discours dédaigneux, supérieur et rempli de certitudes. Que la Cité était une pauvre fille qui ne faisait que se plaindre. Ce qui est vrai. Mais lorsque c’est le Métro qui le dit, la vérité qui peut changer se transforme malheureusement en fatalité. La forme souille le fond.
Qu’il en voit, tous les jours, d’autres qui se débrouillent mieux. Que Porte de Paris, voisine de la Cité, possède plus de dignité. Que Paris-Centre dégage plus de savoir-vivre. Que Paris-Ouest transpire le sens du défi. Le Métro bouffe à tous les râteliers. Cela a ses avantages et ses inconvénients, comme toute forme de mixité.
Je montrai vite au Métro que je ne comptais pas m’éterniser à ses côtés non plus. Déjà parce que l’hygiène et lui, ça fait deux. Et depuis qu’il a soulevé cette républicaine, qui a qualifié leurs ébats de moment de grâce dans la presse, le Métro ne se sent plus. Agaçante ironie de la part de quelqu’un qui sent aussi fort.

Le Métro m’a rapidement et gentiment déposé devant Stalingrad et sa sœur Jaurès. Ces deux-là sont mes destinations favorites. Je les aime toute l’année comme j’aime ponctuellement l’Avenue de la République.

Stalingrad et Jaurès sont pleines de vie. D’accord… bon… elles ont rencontré quelques difficultés ces derniers temps. Stalingrad et Jaurès sont des cousines éloignées de la Cité et de l’Avenue de la République. Ces quatre-là connaissent toutes les mêmes tourments, ont vécu les mêmes histoires, partagent des origines communes. Mais Stalingrad et Jaurès sont, comme je le disais, pleines de vie. Elles vont de l’avant. Elles s’ouvrent aux autres.
Il y a différents sons de cloches chez Stalingrad et Jaurès, lorsqu’il n’y a hélas plus qu’un type d’appel chez la Cité et l’Avenue de la République. Ces deux dernières se morfondent et s’enfoncent lorsque les premières évoluent, se muent, se meuvent.
Je pris donc la décision de m’arrêter là, de passer la fin de journée, puis la soirée et éventuellement la nuit avec Stalingrad et Jaurès. Ce qui fut, comme je m’y attendais et comme je l’ai souvent constaté, une heureuse décision.
Herizo