De Véronique Descharrières, nous connaissons l’engagement écologique. Ses écolodges au Luxembourg, un habitat – observatoire sur pilotis planté au milieu de la forêt, démontrent la grâce et la retenue d’une architecture qui ne cherche pas à imiter la forêt mais à s’y introduire, s’y faire accepter, à pas feutrés.
Pas de biomimétisme mais une architecture d’ombres portées, de gestes invisibles, subtils et radicaux. Taiseux comme une robe noire – jamais je n’aurais osé l’écrire jusqu’à ma visite au Zoo de Vincennes où… Véronique a exigé le noir – mobilier, grilles de protection, encadrements signalétiques, jusqu’aux boulons. Noir.
Je savais sa passion pour la biodiversité et les questions liées au milieu et au climat – son œuvre en témoigne largement… L’agence VEDEA – qu’elle crée en 2018 après ses années Tschumi – définit sa pratique comme un laboratoire et une « Architecture du Vivant ».
Démonstration avec l’Institut Caribéen de la Biodiversité Insulaire (ICBI), un projet expérimental alliant recherche scientifique et préservation de la faune et de la flore en milieu naturel, l’Observatoire des Oiseaux, et l’enthousiasmante rénovation du Zoo de Vincennes (dont il convient de préciser les crédits : Bernard Tschumi urbanistes architectes avec Véronique Descharrières).
Autant de raisons pour lui proposer une œuvre de sable entre deux marées, sur ma plage normande, ce qu’elle accepta aussitôt avec enthousiasme.
Ce jour de juin 2023, la marée haute prévue à 20 h 47 nous donnait tout le temps de déjeuner, deviser et attraper le soleil, lequel, malgré sa mauvaise réputation, est au moins aussi bienfaisant sur nos humeurs que… le beurre dans les épinards…
Il est 15 heures lorsque nous débarquons sur la plage.
Qui ne connaît pas Véronique va vite comprendre que tout fait sens et se relie, du regard aux mots, à la musique des mots, à la pratique, ce qui – il faut le dire – n’est pas courant chez un architecte…
Soleil et mer, donc, l’imaginaire est en marche, les pelles, les truelles et les mots dansent, à chacun sa partition… un ballet mécanique…
De Sol à Mer… sur le sable quatre spirales inachevées renvoient inévitablement aux spires optiques des Rotoreliefs de Duchamp pour dévoiler, au centre, la bous-sole qui sera son Effet-mer.
Sur le côté, une ligne graduée – mire de topographe – décomptera les heures jusqu’à l’envahissement -de l’effet-mer à l’éphémère… et inversement. Plus Breton que normand… plus surréaliste que réaliste…
Il s’agissait de travailler la relation avec la mer, intime et puissante, et de jouer avec le sable et l’eau. Éphémère a résonné dans ma tête. C’est une boussole du temps de la mer qui monte, qui produit des ondes autour d’elle. C’est la boussole de l’Effet Mer…
Un peu avant la montée des eaux, le terrain nettoyé, les outils hors champ, que pensez-vous que fit l’architecte ? Sortir du figé, dit-elle, s’intéresser au vivant, à la rencontre entre l’animal et l’humain.
C’est ainsi que Véronique Descharrières, après avoir rangé sa règle et sa truelle, sortit de son sac un bestiaire complet, figurines des animaux de la jungle, girafes, lémuriens, zèbres, rhinocéros, qu’elle disposa sur son sol, au milieu de son rêve, sans se départir une seconde d’un sourire – mi-grave mi-sérieux – poétique en fait.
Et ce fut en plein centre, debout sur sa boussole, bras levés vers le ciel qu’elle installa le roi singe – le King Kong.
La réalité était bien meilleure que ce que j’avais dessiné, sur le terrain il se passe des choses magiques comme le côté physique. J’ai appris quelque chose, à me projeter physiquement dans un espace-temps.
C’est une synthèse de tout, de la naissance à la disparition. C’est un choc et une résonance.
N’en doutons pas. King Kong à la plage est aussi le cri symbolique et mythique qui rappelle au monde ses abus. Une prémonition. Un désespoir. Une alerte.
Et n’oublions jamais Marcel Duchamp, un autre prophète « On demande des moustiques domestiques (demi-stock) pour la cure d’azote sur la cote d’azur ».
(Anémic Cinéma. 1925.)
Tina Bloch
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