La dimension transcendantale de Notre-Dame est au-dessus de toute possibilité de comparaison avec quelque expérience passée. C’est de l’inédit, autant chercher des solutions inédites. Tribune.
En lieu et place de ma chronique sur la génétique urbaine, je préparais exceptionnellement un billet de (mauvaise) humeur sur les récupérations de toute sorte après l’incendie de Notre Dame de Paris, quand….
Mais reprenons le fil chronologique …
Lundi, l’incendie laisse à tous une impression étrange, de choc, d’incrédulité, et d’amertume. Une sorte de sentiment diffus apparaît, comme après un accident d’auto qu’on subit en souhaitant remonter le fil du temps pour essayer de comprendre pourquoi, comment, et quel est le rôle de l’acharnement funeste du sort.
Mardi et les jours suivants, l’écœurement me submerge par le nombre de manifestations spontanées d’intérêt soudain pour la chose médiévale et l’architecture. Chacun s’exprime pour commenter l’incident et la solution, cachant mal sa turgescence égotique en lieu et place de la réserve qui sied aux deuils.
Tel ex-ministre sorti de la naphtaline pour l’occasion y va de ses sanglots et de ses recommandations embrumées de la nostalgie de ses gloires passées…, tel architecte présente ses visions angéliques d’élévations transparentes, et ceux du marais politico-médiatique, qui, comme les marins d’Audiard, font des phrases…
«C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases…», Michel Audiard
Jeudi, je me suis attelé à la tâche, inhabituelle pour moi, d’écrire pour cracher ma bile à la face de tous ceux qui ne me laissaient pas vivre mon deuil dans la sérénité.
Affligeante est la bourre que se tirent les familles Pinautarnaultbéttencourt (s’ils avaient caché leur geste et le montant de leurs dons, c’eut été d’une grande élégance au lieu d’être de la communication d’une rare muflerie – comme laisser l’étiquette du prix sur un cadeau).
Ecœurante est la presse, qui vomit sa quête incessante de sensationnel. Tels des buvards ‘béhèfèmisés’ par le show de l’actu, les journalistes (s’ils peuvent encore revendiquer ce titre) se rendent complices de l’ubérisation de l’information : tout, tout de suite, sans retenue ni réflexion ni réserve, et si possible revêtu de la plus grande vulgarité.
Le cercle vicieux de l’exhibitionnisme/voyeurisme qui accompagne chaque catastrophe a battu un record d’audience : bravo Notre-Dame, plus fort que Brétigny-sur-Orge, Columbine, German Wings ou le car de Puisseguin, en plus c’est à domicile…
«Du niveau de Nine Eleven», s’enorgueillit je ne sais quel microcéphale issu d’une chaîne de grande écoute, ce qui encourage naturellement la genèse de toutes les vocations et active tous les opportunismes, quand il n’y a plus de retenue….
La palme revient certainement aux architectes Béret et Barbot*, qui, les deux pieds dans la moutarde, osent se faire de la pub en faisant publier par un hebdomadaire (manquant étonnamment du sens de l’observation), une vision malhabile d’une toiture transparente directement issue de leur carton à dessin de seconde année d’architecture.
Vendredi, à la Matinale de France Culture, Jean Nouvel vint enfin apaiser mon courroux. Avec une sérénité qui n’a d’égal que l’intelligence de son propos sur le «contextuel», il a énoncé les seuls mots clairvoyants, et non pleurnichards, de cette dernière semaine, livrant une piste de solution que le Général Goergelin serait bien inspiré d’écouter (bien que je ne présuppose en rien de ses compétences architecturales). La dimension transcendantale de Notre Dame est au-dessus de toute possibilité de comparaison avec quelque expérience passée. C’est de l’inédit, autant chercher des solutions inédites.
En voici mon interprétation : la flèche, la structure détruite, les quelques éléments non récupérables (que Madame Le Pen veut retrouver tels que Jeanne d’Arc les a connus quasi bibliquement) et le parvis (ex parking de l’Hôtel-Dieu) sont des objets indissociables, interconnectés et non fragmentés, ni divisibles.
Il faut impérativement éviter de morceler Notre-Dame de son ensemble urbain : un coup pour les ABF et une structure strictement identique, un coup pour les tenants de la flèche technologique «reflet de notre époque», et un coup pour la voirie ou les Parcs et Jardins de la ville de Paris.
La question qu’il faudrait poser dans le cadre d’une grande consultation internationale anonyme à deux tours est de comment résoudre le problème de l’ensemble du site : reconstruction à charge émotionnelle importante, symbole d’une époque à forte compétence architecturale au sein d’un espace public dont la vocation reste à inventer.
Seul Jean Nouvel est capable d’organiser une telle consultation, trouver les mots qu’il faut pour la formuler et constituer un jury échappant à la médiocrité.
François Scali
* Les noms ont été modifiés