L’heure est à la consultation, comme on dit quand on va chez le médecin parce qu’on est malade. Placebo pour faire passer les pilules ? En effet la consultation, surtout quand elle est citoyenne, n’est que l’aveu d’un manque d’imagination insondable des élus. Tous consultés ? C’est grave docteur ? Ordonnance !
C’est évidemment le président Emmanuel Macron qui a remis au goût du jour la consultation citoyenne (ou Convention, ou Grenelle etc.) à grand renfort de promesses impossibles à tenir, qu’il s’agisse des Gilets jaunes, du climat, de la police, de la santé…* Le tout devant être à chaque fois retenu « sans filtre » bien entendu par le gouvernement. Défense de rire.
L’actuel chef de L’Etat n’était pas précurseur cependant : se souvenir ainsi, en guise de consultation, du référendum à la boulonnaise, quand Pierre-Christophe Baguet, le maire de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) avait demandé à ses administrés en 2011 de choisir entre trois projets de … Jean Nouvel.** C’était oui ou oui ou oui ! Plus consultatif que la votation, tu meurs. D’ailleurs, le référendum sur le climat, c’est bien parti n’est-ce pas ?
Retour au tout-venant des consultations. Anne Hidalgo, maire de Paris, a fait savoir le 13 mai 2021 dans Le Parisien avoir lancé « une consultation sur la mise en place d’une zone à trafic limité dans les arrondissements du centre de la capitale ». Une consultation qui ne concerne pas les as du volant.
Pour sa part Audrey Pulvar, l’envoyée spéciale qui mène la liste socialiste aux régionales en Ile-de-France, a lancé dès le 21 février « Ile-de-France en Commun », une « consultation citoyenne » qui « invite l’ensemble des Franciliennes et des Franciliens à participer à l’écriture du projet régional sur la plateforme participative ». A force d’être consultés, les Franciliens ne vont plus savoir où donner de la tête. Surtout qu’apparemment, pour les programmes, ça urge…
Tiens encore le 19 mai, à l’occasion de la journée « France Ville Durable – « Déployer partout la ville durable, c’est possible ! » » (c’est le nom du projet, je n’invente rien. Nda), la ministre du logement Emmanuelle Wargon « faisait le point » sur la démarche impulsée en février 2021 : « Habiter la France de demain », « une consultation lancée pour deux mois » auprès des communes. Laquelle initiative faisait suite à celle, en octobre 2020, de Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (Ouf !), intitulée « Petites Villes de demain ». A croire qu’une consultation ne mange pas de pain ! Un fait divers, une consultation ?
Même les médias consultent désormais. France Bleu par exemple, depuis le 21 avril 2021 propose avec « #MaSolution », un « espace d’expression vous permettant de partager vos initiatives portant sur les thèmes du logement, des transports ou de l’écologie ». Le café du commerce, source d’infos ? « Alors voilà, bonjour tout le monde, moi c’est papy Mougeot… »
Plus proche maintenant des hommes et femmes de l’art. La SOLIDEO (Société de livraison des ouvrages olympiques) invitait en mai 2021 les quidams à une « participation (évidemment) citoyenne du Villages des athlètes » avec un slogan accrocheur : configurez les espaces publics ! De quoi rassurer architectes, urbanistes, paysagistes…
« Alors que le Village des Athlètes commence à sortir de terre, la SOLIDEO poursuit sa dynamique de participation : à travers des rencontres et une plateforme numérique où l’internaute devient aménageur du futur quartier. Des bords de Seine à la tour Pleyel, en remontant le futur mail Finot, les citoyens sont invités à visiter le quartier et donner leurs idées d’espaces verts, d’équipements et autres mobiliers urbains », explique la SOLIDEO. Si ce n’est pas de la consultation aux petits oignons… Parce que des idées, elle en manque peut-être la SOLIDEO, tandis que Marcel au boulodrome, ancien horticulteur à la retraite, ce n’est pas ce qui lui manque les idées pour « configurer l’espace public ».
Pour les architectes, consultation s’entend autrement, par exemple « consultation pour la réalisation de l’écoquartier de la gare à Cachan ». De fait la ville de Cachan et la Société du Grand Paris ont lancé le 15 janvier 2021 une consultation pour la réalisation d’un « projet urbain à haute qualité environnementale et citoyenne, qui accompagnera la future gare du Grand Paris Express ». Le 21 mai, quatre équipes étaient retenues pour la seconde phase.
Mais même dans ce cadre, la clé de la consultation est qu’elle est « citoyenne ». En effet, initiative originale, un « jury citoyen » sera « acteur dans la prise de décision » puisque la ville de Cachan a proposé à ses habitants qui le souhaitaient d’intégrer un tel jury pour « participer au choix du projet lauréat » en décembre 2021. Ce jury, en effet inédit, est composé de 15 personnes : huit habitants tirés au sort parmi les volontaires – « Salut à tous, c’est papy Mougeot… » – et sept « représentants d’instances représentatives »(sic). Voix au chapitre du populo ? « Aux côtés des autres décideurs », précise le communiqué, ce jury attribuera « 10% de la note globale ». Il ne faut en effet quand même pas exagérer question consultation !
Très bien. Et de quoi vont-ils parler ces huit citoyens tirés au sort ? Au mieux, ils vont comme pour la convention citoyenne de Macron proposer des solutions iconoclastes ou, au pire, regarder le doigt du maire ou du promoteur plutôt que la lune de l’architecte. Ou pire encore, poser des questions embarrassantes : l’isolation, l’insonorisation, les poubelles, les charges, tout ça…
En tout état de cause, le chirurgien consulte-t-il un panel de citoyens tirés au sort pour déterminer quelle procédure il doit utiliser avant une opération citoyenne du cerveau à cœur ouvert ? Leur demande-t-il même leur avis aux citoyens ? En revanche, avant l’expérience, toute sa procédure aura été passée en revue par ses pairs, et pas par des dentistes !
Par contre pour l’architecture, si la France compte 60 millions de sélectionneurs, elle compterait donc également 60 millions d’architectes ?
Dès lors qu’il s’agit d’être urbain, en guise de consultation citoyenne, pourquoi en ce cas ne pas imposer une majorité d’architectes dans les jurys ? Après tout, les architectes sont des citoyens comme les autres. Certes le maire et ses financiers perdraient le dernier mot dans le choix du projet mais le premier demeurerait maître du programme et le second maître d’ouvrage. Et si dans son jury d’évaluation des projets pour 40 logements en conception-réalisation le long de la rivière, ils sont neuf sur dix architectes à plébisciter une seule proposition parmi les quinze prétendants, le maire pourrait de bon droit espérer voir un bon projet réalisé en temps et en heure et dans les règles de l’art. Sinon, pour une fois, il aurait de bonnes raisons de blâmer les architectes.
Aujourd’hui, les architectes d’un jury peuvent bien expliquer à l’unanimité (fait rare) que tel projet est une folie, si le maire et/ou les pouvoirs en place en ont décidé autrement, hommes et femmes de l’art peuvent aussi bien aller se faire voir chez Vitruve.
Ce n’est pas faire injure aux seconds d’estimer que la parole d’un architecte vaut dans les domaines de l’urbanisme et de l’architecture largement celle d’un boulanger ou d’un vétérinaire. Il est vrai que le premier a fait des études spécifiques. Alors, puisque la consultation est à la mode, et puisque les architectes en comprennent les deux sens du mot, pourquoi pas parmi le jury destiné à désigner le lauréat de l’écoquartier de Cachan dix architectes tirés au sort dont la note compterait pour 51% ? Voilà une consultation qui changerait vraiment de l’habitude. Qui sait, cela signerait peut-être le retour des surprises dans le paysage urbain…
Pour autant, consultation ou pas et quelle que soit la composition du jury, les recours sont encore la façon la plus efficace d’influencer un projet, voire de le modifier ou carrément de l’empêcher. Et si vous êtes riches et puissants (pour simplifier), vos recours ont toute chance de vous rapporter, parfois gros même. Et si vous êtes pauvres et sans réseau, bah vous ne pourrez pas empêcher le progrès.
Pour finir, à l’heure de la campagne des régionales, à tous ces amateurs de consultations immodérées, leur rappeler qu’il est en démocratie une consultation incontestable : les élections. Maintenant, quand ceux-là auront fini de consulter, s’ils ont enfin des idées et un projet, c’est le moment d’en parler.
Christophe Leray
*Lire notre article Planète – Les propositions citoyennes sont piquées de vert
**Lire notre article Sur l’île Seguin, un projet qui n’a rien de Nouvel