L’entrée dans l’anthropocène nous conduit à dépasser la crainte qu’inspire le changement climatique en nouant à nouveau avec la nature des relations de convivialité, sources de plaisirs et aussi d’altruisme : L’exemple des abris-ouverts.
Les crues de la Seine et de la Marne provoquent régulièrement des inondations de Paris et de ses banlieues, dont certaines inquiètent profondément les riverains et les autorités publiques. Lors d’une inondation chacun souhaite une meilleure protection.* Aussi n’est-il pas surprenant de voir que, comme les Néerlandais se sont protégés de la mer du nord par des digues, New York, Venise et d’autres villes se protègent aussi par d’immenses digues. Toutefois cela constitue une solution extrême.
En privilégiant la protection, on empêche les habitants de connaître le danger et donc d’adapter leurs conduites à la possibilité d’une inondation. La nature paraît alors dangereuse, aliénante. Il n’est guère question de convivialité avec les non-humains !
Il convient tout au contraire de privilégier la voix moyenne, Zhongyong zhi dao, dans l’aménagement des villes traversées par un fleuve : ni coupure avec le fleuve, ni ignorance des risques qu’il fait courir. Il faut assurer la protection tout en encourageant le développement de nouvelles conduites des habitants.
Chaque rivière et chaque ville sont uniques et les inondations qu’elles subissent mettent en jeu une histoire qui est également unique. Je peux cependant faire part de propositions de méthode tirées de ma propre expérience en France.
Tout d’abord, les conséquences catastrophiques de l’inondation d’une ville sont d’ordre humain avant d’être d’ordre matériel. La prévention et la réponse à la catastrophe doivent donc s’appuyer sur des savoirs techniques pour résoudre des problèmes humains et sociaux, et non pas seulement techniques.
Les techniques (la modélisation des risques d’inondation ou la construction de digues de protection) reposent sur des représentations réduites à un petit nombre de variables de la réalité physique. Elles appellent des compléments d’observation fine des terrains et une prise en compte de l’histoire récente de la vie urbaine dans les quartiers sinistrés. De façon générale, elles proposent des solutions de protection créant un sentiment de sécurité qui expose les habitants à de pires catastrophes parce que la sécurité absolue n’existe pas (passim Fukushima).
Proposition 1 – Favoriser les régulations naturelles et l’attention des habitants pour elle
Sauf situation d’urgence extrême, n’utiliser les solutions techniques que pour faciliter les régulations naturelles, en donnant la possibilité aux riverains de se familiariser avec les mouvements du fleuve et de développer des conduites collectives et individuelles de prudence.
Proposition 2 – Contrôler les eaux, ralentir la crue, accélérer la décrue
Accorder la plus grande importance à la dynamique de l’inondation et du reflux : les plus graves conséquences humaines résultent souvent de la lenteur du retrait des eaux. Pour cela, il est recommandé d’aménager un ou plusieurs lits secondaires permettant à la rivière en cours de débordement d’y couler avec le minimum de turbulence en modelant le terrain lors de la crue et surtout lors de la décrue.
Proposition 3 – Aménager la rivière pour qu’elle chasse naturellement les dépôts d’alluvion hors des zones urbaines
Lorsque l’inondation s’accompagne de transports solides considérables, prévoir des aménagements qui permettront à la rivière de se désengorger et de rejoindre son lit d’équilibre sans mettre en péril les agglomérations en aval.
Proposition 4 – S’attaquer d’abord aux besoins sociaux les plus criants de la communauté inondée
Choisir d’intervenir par priorité dans les zones où la dimension humaine et sociale de la catastrophe est la plus criante et où les acteurs concernés sont le plus rapidement mobilisables.
Proposition 5 – Contre les utopies, associer tous les acteurs concernés à la définition des projets de rénovation
Associer la totalité des acteurs publics et privés disposant d’un pouvoir d’intervention ou d’obstruction à l’élaboration de réponses aux situations prévisibles. Sinon, on risque de faire de beaux projets mais d’échouer dans les tentatives de mise en œuvre.
Proposition 6 – Installer la vie des habitants dans un aller-retour incessant entre s’abriter et s’ouvrir à la vie des humains et non-humains
Créer des aménagements qui ont un double effet :
• (1) dans l’habitat, ils permettent aux habitants de se sentir à l’abri et de voir monter l’inondation assez lentement pour y adapter leurs conduites ;
• (2) Dans l’environnement ils incitent les habitants à explorer la nature proche d’eux, à voir le fleuve et la vie du fleuve comme une source d’émerveillement et non de crainte ; en effet la peur paralyse, la curiosité conduit à inventer de nouveaux comportements.
Il s’agit de s’affranchir de l’opposition entre soi et les autres et entre le logement et la nature qui enferme les individus dans la solitude du logement.
Tout au contraire il convient de s’inspirer du mouvement du ying/yang, en offrant un abri qui permet de se penser comme partie prenante de la vie des autres humains et non-humains, et un accès à la nature qui permet de penser les autres vivants comme dignes d’un abri qui les protège : chercher à s’abriter sans s’enfermer, chercher à s’ouvrir sans s’exposer aux risques.
Éric Daniel-Lacombe
Architecte DPLG, Professeur titulaire de la chaire « Nouvelles Urbanités face aux risques Naturels : Des abris ouverts » à l’École Nationale Supérieure d’architecture de Paris-la Villette.
* Lire Vers un Nouvel Imaginaire de l’Eau ? À Paris, son fleuve et la baignade retrouvée ?
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