Le 11 février 2015, Stéphane Gatignon, maire de Sevran, en Seine Saint-Denis, recevait la presse architecturale à l’occasion de la visite de l’opération Cité-jardin de 82 logements livrée récemment par les architectes parisiens Cédric Petitdidier et Vincent Prioux sur sa commune. Eclairage sur une ambition urbaine destinée à transformer l’une des villes les plus pauvres de France en ‘Terre d’avenir’.
Stéphane Gatignon est ce maire, élu depuis 2001 – il avait 31 ans – d’une des communes les plus déshéritées de la banlieue parisienne, qui se fait régulièrement remarquer avec des mots qui fâchent. Il est l’un des rares à prôner la légalisation du cannabis pour éviter les trafics, la circulation d’armes et les violences qui en résultent, à demander au gouvernement l’envoi des casques bleus dans sa commune, à faire la grève de la faim devant le Palais Bourbon pour forcer l’Etat à l’aider à boucler son budget. Sevran, souvenez-vous, les émeutes de 2005. Au moins le maire a une vision, qu’il défend ardemment devant la presse ce matin-là, le projet de Cédric Petitdidier et Vincent Prioux n’étant que la première étape d’un projet plus vaste intitulé Terre d’avenir dont l’élaboration du concept urbain a été confiée à Finn Geipel (Agence LIN)
«Ces 82 logements doivent être vus comme une porte d’accès à la Plaine Montceleux. Les architectes et maître d’ouvrage ont travaillé en complet partenariat pour répondre au désir politique d’amorcer l’aménagement futur par un événement urbain et architectural constituant un geste symbolique de recherche de nouvelles formes de vivre ensemble», explique Stéphane Gatignon.
En regard des difficultés que rencontrent les communes défavorisées de banlieue en général, Sevran en particulier, il estime en effet que pour lutter contre la ghettoïsation sociale, économique et spatiale, seule une restructuration urbaine à l’échelle de tout le territoire de la commune peut apporter des réponses cohérentes. «L’ambition de notre schéma directeur est de changer la perception du territoire pour en faire un territoire de destination», souligne Fabienne Boudon, architecte et urbaniste de l’agence LIN.
Ce n’est rien d’écrire en effet que la commune souffre d’un déficit d’image lié aux violences et aux trafics qui gangrènent chacun de la dizaine de quartiers de la ville. Pourtant le message du maire est porteur d’espoir. «La nouvelle urbanisation doit passer par la mixité des fonctions. La force de la ville est la population sevranaise, son cosmopolitisme : ’76 nationalités’. Il faut prendre en compte la jeunesse, 24% à moins de 15 ans. Le renouvellement urbain est aussi une arme pour lutter contre le chômage (17% dont 30% de chômage chez les jeunes). On constate d’ailleurs que l’entreprenariat est sur une bonne dynamique. Les codes évoluent et il faut s’ancrer dans la réalité du monde contemporain», explique le maire.
Opinion partagée par Fabienne Boudon : «l’idée générale est que les deux futures gares du Grand Paris Express (dont les travaux doivent débuter à l’automne 2016 pour une livraison en 2023) ne servent pas à uniquement à quitter le territoire pour aller chercher du travail mais qu’on y vienne aussi plus facilement. Il faut rendre le territoire de Sevran attractif pour l’ensemble de la métropole parisienne tout en assurant un équilibre entre le confort des habitants de Sevran et l’ambition de faire venir du monde», explique-t-elle.
Ce projet de renouvellement urbain s’inscrit dans la dynamique de transformation urbaine liée à l’implantation de deux gares du Grand Paris Express dès 2023 (en connexion avec les gares du RER B de Sevran-Beaudottes et de Sevran-Livry) et s’intègre dans le contrat de développement territorial (CDT) Est Seine-Saint-Denis qui regroupe les villes de Sevran, Aulnay-sous-Bois, Clichy-sous-Bois, Montfermeil et Livry-Gargan.
De fait, Sevran se révèle, malgré les apparences, sur une dynamique positive (109 commerces ont vu le jour entre 2010 et 2014) et la ville entend désormais bénéficier de la plate-forme aéroportuaire de Roissy. L’aménagement passe ainsi par trois pôles identifiés : Terre de Sport à l’Est de la ville, l’Eco-Cité autour du centre-ville et un quartier commercial et numérique autour de la gare de Sevran-Beaudottes, ce que l’architecte-urbaniste appelle «la transformation physique» du territoire.
Ces cinq dernières années, la lutte contre les règlements de compte, contre le trafic de drogue, les violences a commencé à porter ses fruits. A ce titre, la sincérité du maire n’est pas en doute. «Comment dire aux parents que leur fils, même si c’était une petite frappe, s’est fait défoncer le visage à coups de parpaings ?», dit-il. Cela passe donc selon lui par une réappropriation de l’espace public. «Il faut retrouver le langage urbain de la convivialité, de la dignité et des lieux de liberté afin de recréer du lien social», dit-il. La commune bénéficie en effet d’espaces verts généreux, d’un accès au canal de l’Ourcq et d’un terrain agricole. Selon lui, les nouvelles façons d’habiter doivent s’appuyer sur les qualités paysagères de la ville et ainsi donner lieu à une nouvelle forme de mixité (sociale, tertiaire, commerce).
Aussitôt dit, pas aussitôt fait. Le projet de PetitDidier Prioux montre en effet toute la difficulté de la mise en œuvre du projet politique du maire car il pose la question suivante : détruire une tour pour ensuite en guise de relogement, déplacer les locataires dans une résidence – c’est sans doute le mot le plus juste pour ce qui concerne le projet des architectes – située juste à côté, dans le même quartier, au pied des tours qui demeurent, qu’est-ce que cela apporte en termes de mixité sociale ? Garder les pauvres parmi les pauvres ?
La réponse demande pourtant à être nuancée. D’une part, il ne faut pas sous-estimer l’attachement des gens à leur quartier, fut-il pourri (ceci dit pour simplifier l’argument). En effet, ce fut le choix de 40% des locataires de la tour qui ont donc emménagé juste à côté dans la «Cité-jardin». De fait, Madjid Beloucif, directeur immobilier chez Batigère Ile-de-France, insiste que nulle sélection ne fut effectuée à l’égard de ces familles. Il souligne également qu’une forme de mixité sociale demeure cependant puisque les loyers de ces nouveaux logements sont PLUS et PLAI.
Par ailleurs, même si cela semble en passe d’évoluer, les règles de l’ANRU1 étaient au moment du contrat particulièrement peu flexibles. Ainsi le maître d’ouvrage ne pouvait pas par exemple introduire une mixité sociale plus large, par le biais de l’accession à la propriété par exemple. Le maire souligne d’ailleurs que sa volonté partagée avec le maître d’ouvrage de «reconstituer l’offre de logement» se heurte encore souvent à nombre de difficultés réglementaires, qu’il s’agisse notamment de logements pour personnes âgées ou pour jeunes actifs. «La ségrégation sociale est inscrite dans la loi», s’énerve-t-il.
D’ailleurs le maire ne serait pas malheureux que le second volet de la rénovation urbaine, dit Anru II, soit rapidement effectif, alors même que des chantiers sont programmés et financés. «La République s’abîme dans l’absurdité kafkaïenne de procédures ineptes derrière lesquelles se cache la machine à exclure. La politique de la ville et la rénovation urbaine en souffrent directement», indique le maire*.
Il en va ainsi du projet de réhabilitation du ‘quartier’ Westinghouse, une friche industrielle de 4 hectares autour des anciennes usines Kodak et Westinghouse (fabricant de freins ferroviaires). La ville a hérité en 2009 des terrains les plus lourdement pollués, pollution connue depuis le début des années 2000. Ce site doit, selon Fabienne Boudon, «devenir un vrai morceau de ville». Fin 2014, manquait encore l’arrêté de pollution nécessaire au début des travaux. Le morceau de ville attendra donc.
Cela écrit, le projet conçu par PetitdidierPrioux constitue de fait un «geste symbolique» qui démontre que les voies de recherche de nouvelles formes de vivre ensemble existent. Ce n’est pas la moindre des bonnes nouvelles.
Christophe Leray (avec L.M.)
*Libération le 2 février 2015
Lire par ailleurs notre article ‘30 logements préfigurent l’avenir de Villefranche’