Le projet du regroupement de l’hôpital Roger Prevost et de l’hôpital de Nanterre sur le site du Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) de Nanterre (Hauts-de-Seine), projet pour lequel Pargade Architectes a été déclaré lauréat en 2024, reflète parfaitement la démarche illustrée au fil de nos chroniques Sillages.
Un Hôpital-Ville de demain, fragmenté
Le projet propose une réflexion de fond sur les congruences fortes entre tous les modes « d’habiter ». Il se doit d’intégrer une plus grande complexité et une plus grande diversité de formes, du plan rationaliste du XIX° siècle aux plots et « peignes » de différentes factures. Nous accentuerons donc la trame géométrique des jardins et galeries. Ici, différents bâtiments, anciens et nouveaux, coexisteront, dans une organisation efficiente maximalisée, faite de circuits courts et de continuités.
Mieux, pour parfaitement étayer le futur, notre plan guide de l’Établissement de Santé de demain créé de nouvelles polarités en réseau depuis un cœur relié à des satellites. Cette évolutivité optimale autorise ultérieurement des « plug in » d’avenir encouragés par la compacité-simplicité du plan masse. La complémentarité des soins entre les deux établissements nouveaux – Médecine, Chirurgie, Obstétrique (MCO) et (Bâtiment de Santé Mentale (BSM) – s’articule parfaitement par les deux galeries d’origine conservées. Puis, les deux satellites déjà existants, l’un attribué au plateau médicotechnique chaud (bât.18), l’autre aux consultations (bât. 21), préfigurent d’autres évolutions depuis le « cœur » qui regroupe urgences, imagerie, hall, hospitalisation et enfin un vaste étage supérieur de bureaux susceptibles de transformations entre chambres et accueil de chercheurs, lui-même capable de porter deux niveaux supplémentaires
Cette démarche globale permet de garantir la résilience des équipements de santé et leur capacité pour s’adapter à une croissance rapide, comme à une décroissance (désamarrage de certains équipements pour les reconversions). Le projet est donc d’abord durable.
Héritage puis devenir : de la ville hygiéniste rationnelle à la future cité « multi-branchée »
« Nanterre ville métissée du vivre ensemble ; une ville de pionniers arrivés pour construire leur avenir ensemble », expliquait Patrick Jarry, ancien maire de Nanterre qui s’élevait contre les ghettos et « endogamies égoïstes ».
À l’origine lieu carcéral, la maison de Nanterre devient au début du XX° siècle un centre de soins. C’est une enclave autonome clôturée par un mur d’enceinte qui permet de mettre à l’écart une population vulnérable. En 2019, enfin, la table est complètement renversée : « Nanterre Partagé » imagine le CASH avec la volonté de créer un quartier mixte hybride, varié, sans craindre de rompre l’unité de son écriture historique dont la charge symbolique doit être revisitée. Bref, le premier embryon français d’un urbanisme du « Care », de l’accueil doux, celui du quotidien, aux recherches et innovations, de l’ambulatoire aux séjours longs
Les « villas » urbaines du soin de soi, grands plots immergés dans une nature structurante
L’articulation des différents programmes et entités foncières se fait au travers d’îlots intérieurs verts de tailles différentes, appelés « villas » du fait de la faible densité des constructions et de l’importance des grands espaces verts en pleine terre formant des îlots de fraîcheur (jusqu’à plus de 50 % des emprises des bâtiments sans compter leurs terrasses vertes).
Ce projet accélère la transformation d’un plan hygiéniste « militaire » vers un quartier de vie(s) et bien-être de haute qualité, mariage optimal entre traces du passé et lieux d’innovation/soins à venir.
Pour un véritable germe d’urbanité du futur capable de requalifier et vivifier les alentours…
La zone commerciale au-delà de l’autoroute pourra être reliée par un pont léger. C’est aussi la ville de demain par ses disponibilités foncières, son calme, ses transformations et accueils potentiels. De même, le jardin japonais prévu en frange immédiate constitue une source d’urbanité. C’est un cas d’école pour faire vivre et revivre des entités morcelées selon des grappes et des cœurs à haute valeur ajoutée !
Dans une actualité plus que chargée, deux articles issus de notre quotidien du soir risquent de passer inaperçus… Pourtant, reliés ensemble et confrontés à la réflexion, ils touchent directement nos enjeux actuels de civilisation. Le premier* concerne ces fameux centres commerciaux dont les déshérences vont bientôt exploser. Le second** est un manifeste des étudiants d’écoles d’architecture pour ne plus jamais évoquer le béton, soudainement devenu plus que radioactif. Seuls les projets a minima sur de l’existant avec des matériaux dûment labellisés de haute vertu seront tolérés. Et voici la clé qui les relie : nos villes vont subir très vite une gigantesque mutation à faire pâlir la crise récurrente qui frappe déjà la plupart d’entre elles, donc un new âge miracle va advenir, celui des petites touches minimalistes des cabanes interstitielles. Vive les minuscules caresses là où il faudrait enfin frapper fort !
En premier lieu, les faillites annoncées de certains hypermarchés flagships : au croisement de multiples habitudes de consommation dorénavant en passe d’être rapidement obsolètes, bientôt honnis comme parangon d’une mondialisation sans états d’âme, coupables de tuer les petits commerces de proximité au rôle social primordial, et in fine, à l’inverse, des nains enfin face aux super catalogues de vente par correspondance, livraisons écologiques directement à domicile incluses, leur devenir est déjà en train de se négocier. Et quel devenir ! Ce seront des dizaines de milliers d’hectares de friches et de parkings admirablement situés, d’autant que les sols constructibles demain deviendront pis que peaux de chagrin entre tous les « reverdissements » et toutes les « renaturations » maintenant imposés par la loi.
Voilà pourquoi notre hypothèse de lieux de santé et de bien-être, loin des méga-hôpitaux encore programmés aujourd’hui tels des mégalithes, hors toutes connexions et urbanités, a toutes ses raisons d’être. Vite apprendre à satisfaire une infinité de demandes pour des nouvelles fonctionnalités de soins, de cultures (corps, âmes mais aussi… potagers !) et d’accompagnements, de loisirs revigorants, de sports, justes là pour se sentir mieux… Cerise ultime, seuls des partenariats publics privés vertueux pourront assumer cette régénérescence urbaine, programmatique et architecturale. Aucun interdit a priori, pas de stigmatisations. La résolution de la crise conjointe des villes et de l’architecture doit y trouver ses meilleures portées à venir.
Une journée particulière, pour confronter notre réflexion aux réalités du terrain. Le matin, visite du dernier né des Centres Hospitaliers en région parisienne et, l’après-midi, consultation dans un CHU parisien en plein cœur du V° arrondissement de Paris.
D’un côté, pour ce monolithe neuf, un parti pris volontaire, tout en noir et blanc, radical sans place à l’erreur ou à l’anecdote. Un « look total », comme si les architectes devant affirmer leur autorité face au constructeur tout-puissant devaient hausser le ton dans un propos qui ne laisse aucune ouverture à la contradiction, avec un risque majeur : celui de provoquer l’ire des utilisateurs. Ou alors il s’agit d’exprimer la logique sans faille d’une « machine à soigner ».
À l’opposé, le couloir réhabilité d’un bâtiment ancien lui-même accolé à un bâtiment neuf, fait de bric et de broc, avec une couleur légèrement bleutée en harmonie avec les blouses du personnel soignant, les fenêtres et les portes de guingois, un look désuet. Aucune référence culturelle dans cet espace, juste la patine de l’existant et un coup de peinture. Malgré l’angoisse de l’attente des résultats de la consultation, le patient s’y sent parfaitement bien.
Cette journée, qui illustre des réalités très différentes et souvent opposées, devrait nous éclairer sur nos marges de manœuvre pour repenser l’architecture de l’hôpital et enfin renverser la table des modèles pensés à l’avance et plus ou moins identiques.
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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*En crise, la grande distribution est contrainte de réinventer son modèle économique (Le Monde, 15/11/2024)
**Dans les écoles d’architecture, une génération « très militante » qui dit non au béton (Le Monde – Campus, 12/11/2024)