L’exposition «Décloisonnons la ville» ne dit rien des problèmes urbains et tout du jargon qui habite le discours sur la ville de demain. Et si c’était cela le vrai sujet : l’univers de Bisounours auquel nous condamne forcément un événement conçu par un promoteur immobilier ?
Jusqu’au 11 mars 2019, l’exposition «Décloisonnons la ville» se donne pour objectif de faire connaître des initiatives en faveur de la mixité et de la solidarité. Grand enjeu, noble intention, beau sujet. Comment la ville se cloisonne aujourd’hui et comment y remédier ? Voilà de vraies questions auxquelles se confrontent quotidiennement urbanistes et architectes.
Hélas, rapidement, visuels et discours suscitent le malaise. Je m’attendais à ce que l’exposition traite de la ségrégation spatiale et des problèmes qu’elle soulève. Comment mêler du bureau et du résidentiel ? Que faire pour favoriser la mixité dans des quartiers trop bourgeois et dans des quartiers trop populaires ? Comment limiter les effets pervers de la gentrification ou éviter que les classes moyennes ne soient contraintes de s’exiler ? Que faire lorsque la greffe du commerce ne prend plus sur le tissu urbain ? Comment encadrer le marché de l’immobilier mais aussi lutter contre le dépeuplement qui affecte de nombreuses villes ? De quelle façon concevoir les lotissements de demain ?
Décloisonnons, oui bien sûr. Mais quoi au juste ?
En voilà des questions importantes, difficiles, passionnantes. Des questions qui constituent le lot quotidien des urbanistes et des architectes. Mais de tout cela, l’exposition ne dit rien. Le diagnostic est même expédié en deux phrases elles-mêmes lapidaires. «Les villes se sont parfois agrandies, souvent au détriment de la qualité de vie. En conséquence, de nouveaux usages se sont développés : la mobilité partagée, l’habitat participatif, la restauration solidaire, les cultures maraîchères, l’occupation provisoire des friches…» Et oui, vous avez bien lu : la ville a grandi trop vite, voilà le problème. Un peu simple quand même.
D’ailleurs, j’essaye en vain de comprendre le lien entre cette croissance urbaine trop rapide et la restauration solidaire ou les cultures maraîchères… Je me concentre. Rien n’y fait. Le mystère reste entier. Peut-être n’ai-je pas assez d’imagination. A moins que… Soudain, c’est l’illumination. Il ne faut pas lire les titres d’exposition au pied de la lettre. C’est une erreur, je devrais le savoir. Dans le cas présent, «Décloisonnons la ville» signifie «Décloisonnons un peu plus la ville». La nuance «un peu plus» est importante. Car l’exposition part du principe que le décloisonnement est à déjà l’œuvre. En fait, le problème du cloisonnement n’est pas le problème, en tout cas pas le problème de l’exposition. C’est décevant. Plus que décevant : contestable. Mais au moins, tout devient plus clair.
Le bio, une arme de décloisonnement massive. Vraiment ?
Au nom d’une philosophie positive fondée sur le partage d’expérience, l’exposition passe sous silence les difficultés que se proposent de résoudre les solutions qui nous sont présentées. De même qu’elle ne nous dit rien des difficultés nées de la mise en œuvre de ces solutions. Seules les solutions sont mises en avant. Et qui plus est des solutions innovantes dans des villes qui n’affichent aucun problème particulier (en tout cas, pas dans le cadre cette exposition).
Ce préalable étant posé, le visiteur s’ennuiera un peu, beaucoup, à la folie… Les plus indulgents y trouveront une ou deux idées à creuser. Les plus critiques seront accablés par la longue litanie des poncifs sur la ville durable et citoyenne.
Il faut dire que sur ce point particulier, l’exposition ne nous épargne aucun lieu commun. Dans le monde idéal de Bouygues, «on prend des repas bios ou en circuit court», «on participe aux tâches, aux frais, on fait de nouvelles rencontres». Pendant ce temps, un camping-car itinérant permet de «renouer le lien avec des jeunes qui ont perdu espoir et se sentent abandonnés» (c’est fou ce qu’on peut faire avec un camping-car, quand même). Un peu partout ailleurs, des espaces de coworking se multiplient et «des applications mobiles cherchent à améliorer les modes de vie sans nécessairement les infléchir de manière radicale (sic)».
L’imagination prend le pouvoir avec des associations qui s’intitulent «WIP» (Work In Progress), «La Caverne» ou «Uni-cités», et des lieux qui s’appellent «BatLab» ou «O’Jardin». Au nom de l’économie circulaire, l’agriculture urbaine conquiert friches, toits et sous-sols. Détroit renaît (je ne sais pas si vous avez remarqué mais cette ville n’en finit pas de renaître depuis des années) au rythme de la création des «fermes urbaines» tandis qu’à Paris une association cultive des champignons et des endives dans un parking souterrain éclairé au LED.
De micro décloisonnements en micro cloisonnements. C’est bien cela ?
Bien sûr, pas un mot ni du coût de ces initiatives, ni de leur pérennité. L’essentiel dans le cas présent, c’est de lancer des idées. Quant à savoir si elles retombent et comment, c’est une autre histoire (ou une autre exposition). Je ne sais plus qui a dit que le changement demain serait constitué de micro améliorations. Cela pourrait bien être Bouygues, à l’origine de l’exposition par le biais de sa fondation. Après tout, un tel point de vue peut se défendre.
Aucune de ces initiatives, aussi innovantes soient-elles, ne résoudra la mutation démographique et sociologique des villes mais le cloisonnement, le vrai, le problématique, n’est-il pas inéluctable ? Tandis que j’étais perdu dans mes réflexions, je croisais un groupe d’étudiants en master d’urbanisme à Sciences Po. Et eux qu’en pensaient-ils ?
Ils étaient également dubitatifs, quoiqu’un peu moins que moi et pour d’autres raisons. Certes ils ont été intéressés par les opérations de reconversion et le panorama sur les différentes applications mobiles, et ils jugent l’exposition plutôt réussie sur le plan esthétique. Mais ils s’interrogent : «contrairement à ce que laissent entendre la communication de la Fondation, cette exposition s’adresse d’abord au grand public et parle pour l’essentiel des métropoles. C’est dommage car les problèmes dans les villes moyennes sont différents et appellent des solutions différentes, les populations ne sont pas les mêmes et les projets ont moins de visibilité».
Au-delà des apparences, nous sommes en fait d’accord sur l’essentiel : ce serait quand même bien, la prochaine fois, de parler un peu plus des vrais problèmes que rencontrent les villes, toutes les villes, et pas seulement des métropoles. Ce serait après tout une façon comme une autre de tirer les enseignements du mouvement des Gilets jaunes en matière d’urbanisme. Chiche ?
Franck Gintrand
Toutes les chroniques de Franck Gintrand