Poursuivi par la Police de la Pensée, il prit le périphérique pas tout à fait désert si rapidement que les flashes ne pouvaient l’atteindre. Ses visions le hantaient, il ne pouvait s’en défaire. Ses « mots » de tête cognaient sourdement, il avait enfreint toutes les règles.
Son travail au Times – modifier les archives, afin de mieux contraindre le présent et maîtriser l’avenir – devenait insupportable. Un petit appareil implanté dans la nuque par l’Académie de médecine, aujourd’hui sous la tutelle du ministère de la Défense, diffusait quotidiennement aux journalistes asservis les éléments de langage du parti.
Une mise en confinement imposée et soudaine, situation sûrement nécessaire mais réalisée dans l’urgence, désorganisa toute la société. Il en profita pour s’échapper.
Comment Tracker la Rouge, absolument contrôlée par le Parti et toutes ses chefferies de par le monde, n’avait pas vu arriver un virus qui allait dévaster la planète en moins de trois mois renforçait ses « mots » de tête …
Il s’engouffra précipitamment sur l’autoroute, un lieu étrange qui obère toute relation extérieure dès que l’on y pénètre, un lieu agressif et asocial favorisant l’individualisme et paradoxalement dernier lieu des paysages libres de ce nouveau monde.
Aujourd’hui, malgré l’implant de souvenirs factices, il traverse cet espace monumental avec le sentiment d’une grande liberté, de n’appartenir à personne et de ne dépendre de quiconque. La traversée est un film de grands paysages, de passages qui défilent, se bousculent, s’agglutinent et se superposent dans une scène sans fin dont il tient le premier rôle.
Lors du voyage, surviennent parfois des éblouissements inattendus, des mirages qui fragmentent la vision jusqu’à en devenir aveuglant. Ces paysages segmentés défient le voyageur dans une bataille solaire.
Il accélère tant s’y prête cet espace de transition entre deux réalités. Il est à la fois déconnecté pour un temps de toute histoire et pourtant le temps est concret, palpable tandis qu’autour de lui s’étire une longue illusion de paysages redessinés par la superposition des instantanés issus du temps et du mouvement et remis en perspective à chaque instant pour former de nouveaux paysages.
Enfin, 1 250 km plus tard, il rejoint une métropole du nord de Tracker la Rouge où il fait nuit dès 16h.
Là, débarrassé de la peur, il se joint au mouvement alternatif qui prépare un nouveau monde : planète bleue ils ont appelé ça.
Il n’a plus mal à la tête.
Bruno Palisson
Expositions :
Festival Les Focales du Pays d’Auge de Honfleur de 1er août au 15 novembre 2020
Festival Présences Photographie de Montélimar, automne 2020.
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