
Je ne sais pas vous mais la manifestation de l’ultradroite qui s’est tenue le 10 mai 2025 à Paris n’est pas loin de me désespérer. L’impression d’être dans le film The Blues Brothers sauf qu’il n’y avait personne pour balancer les nazis dans la Seine. Après dix ans de pouvoir de Vulcain ex-Jupiter* qui entendait « faire barrage à l’extrême-droite », nous en sommes-là, les CRS chassant brutalement les contre-manifestants, dont la manifestation était interdite (Le Monde, 10/05).
Pour ceux qui n’ont pas compris, voilà la liberté d’expression vue par Trump et ses affidés français, richissimes souvent, dont la bienveillance démocratique n’est plus à démontrer. Les nazillons en costume de bal macabre seront encore plus nombreux et plus arrogants l’an prochain, au bénéfice politique de ministres qui, l’œil sur 2027, se fichent de l’intérêt de la France comme de l’an ‘40. Avec les résultats que l’on sait puisque, de fait, l’extrême-droite, la France a déjà essayé, pour se retrouver en ruines à chaque fois.
Bref.

Pour en revenir à l’architecture et aux architectes. Ceux de ces derniers qui auront acquis à leurs frais la formation pour devenir Diagnostiqueurs de Performance Énergétique, comme le leur propose élégamment le Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), seront heureux d’apprendre que, dans le cadre du plan d’action lancé le 19 mars 2025 pour « renforcer la fiabilité et la confiance » dans le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), Valérie Létard, actuelle ministre chargée du Logement, a confié à Daniel Labaronne, député d’Indre-et-Loire, « une mission visant à étudier la création d’un ordre des diagnostiqueurs immobiliers ».
Parce que la fiabilité des DPE, obligatoires depuis 2007, n’est toujours pas acquise ? D’où la nécessité nouvelle d’un ordre des diagnostiqueurs immobiliers ? Le DPE, sous le prétexte légitime de sauver la planète, est aujourd’hui requis pour l’achat, la location et la rénovation des logements et, avec cet ordre nouveau, le gouvernement entend lutter résolument « contre la fraude, estimée à 1,7 % des diagnostics réalisés, soit environ 70 000 sur 4 millions chaque année ». 1,7 % ! À ce niveau-là, il est à craindre que, plus que de « fraude », il ne s’agisse surtout de sottise – loi des grands nombres – d’où sans doute l’action déterminée de l’État.
Une mesure d’ordre s’impose donc pour lutter contre 1,7 % de fraude, dont le coût n’est d’ailleurs pas estimé par le ministère ! En ces temps troublés, « réduire significativement » la fraude – pas la sottise hélas – cela résonne certainement comme une formidable ambition dont il est permis toutefois de craindre qu’elle ne soit démesurée. Et si le taux passe à 1,5 % l’an prochain, tout le monde se tape sur le ventre et va se coucher content ?
Question : puisque pour devenir diagnostiqueur, l’architecte se doit d’être inscrit au CNOA, devra-t-il également cotiser à l’ordre des diagnostiqueurs pour poursuivre son œuvre écologique ? Il convient en effet de considérer que n’importe quel architecte en titre, après cinq ans d’études et une HMO, devrait pouvoir établir un DPE sans trop se faire peur. Alors acquitter une seconde cotisation à un autre ordre aussi impuissant que le premier, c’est évidemment l’option viagra. Sans compter qu’il y a sans doute au moins 1,7 % d’incompétents chez les architectes, sinon à quoi servirait la MAF (Mutuelle des Architectes français ) ?
Cette notion d’ordre, qui comme le CNOA n’a d’autre vocation que vérifier, récupérer les cotisations et punir, est intéressante. Je suis à peu près certain qu’il y a au moins 1,7 % de margoulins parmi les vendeurs de légumes ou d’aigrefins parmi les plombiers, voire encore plus de gredins chez les monteurs de pneus et autres techniciens de surface. Faut-il envisager un ordre nouveau pour les maraîchers, les plombiers et les employés d’Euromaster si Valérie Létard et consorts ont leur mot à dire ?
La loi et l’ordre, c’est aussi l’une des explications données par l’Agence nationale de l’Habitat (Anah) dans un communiqué de presse daté du 12 mai 2025 en réponse à une manifestation le même jour devant son siège social parisien d’artisans fort mécontents de l’organisation apparemment chaotique de MaPrimeRénov’ Délais de paiement rallongés, dossiers bloqués, chantiers refusés… Des dysfonctionnements ayant occasionné des milliers de plaintes devant les tribunaux administratifs.
Toute la presse – journaux, télés, radios – s’est emparée du sujet, chaque publication trouvant son exemple émouvant et scandaleux d’une gestion abracadabrante du dispositif ; telle famille est endettée sans recours, telle entreprise s’apprête à mettre la clef sous la porte. Même pour distribuer de l’argent à fins vertueuses, l’État trouve le moyen de s’y prendre comme un manche !
Devant la pagaille, l’Anah s’est fendu le jour même, le 12 mai, d’un communiqué de presse explicatif d’où il ressort qu’il n’y a pas d’inquiétude à avoir, pour trois raisons : un grand nombre de dossiers s’est accumulé dans les tuyaux en attendant le vote du budget (qui n’est intervenu qu’en février 2025 ; gare au budget 2026. NdA), une forte dynamique de dépôt des dossiers de rénovations d’ampleur « qui démontre l’intérêt de cette politique publique qui répond aux besoins des Français » et, enfin, un « renforcement des contrôles à tous niveaux pour lutter contre les tentatives de fraude ». La fraude, nous y voilà à nouveau. Les Français ne sont décidément pas gentils.
L’essentiel du communiqué est d’ailleurs consacré à ce sujet. Verbatim :
– en revanche, ces délais peuvent être significativement plus longs pour les entreprises faisant l’objet de contrôles renforcés, dans le cadre de la lutte contre la fraude ;
– l’expertise acquise dans le domaine de la lutte contre la fraude permet à l’Anah d’agir de façon efficace pour protéger le parcours des usagers et l’activité des entreprises de qualité : contrôles approfondis, mobilisation de l’IA, sollicitation de davantage de pièces justificatives, contrôles sur place ;
– à l’issue de ces contrôles, l’Anah prend de plus en plus de décisions de retrait total ou partiel sur la base d’éléments factuels, légaux et au terme d’une procédure qui donne à chaque partie la possibilité d’apporter les preuves de sa bonne foi.
Au moins les fonctionnaires mobilisés avec l’IA ont ainsi de quoi s’affairer et se rendre utiles en comptant les pièces justificatives…
Chacun comprend bien que cette volonté implacable de lutter contre la fraude est suffisante pour dédouaner l’institution et l’État de toute insuffisance. Et l’Anah de préciser encore que « certains acteurs (lesquels ? Quand c’est flou, il y a un loup…NdA) ont d’ailleurs attaqué des décisions de l’Agence. Les résultats sont là : 2 658 jugements rendus, 2 597 jugements favorables à l’Anah (98 %) ». Amen !
Pas plus de précisions sur ces affaires mais un nombre – 2 658 jugements rendus – à mettre en regard des 2,5 millions de logements ayant depuis 2020 bénéficié du dispositif permettant de financer la rénovation énergétique avec MaPrimeRénov’, soit en cinq ans 0,06 % du total des dossiers qui finissent au tribunal. Le calcul est évidemment un raccourci mais il donne un ordre d’idée. La panique des fonctionnaires jusqu’au plus haut sommet de l’État n’en est que plus compréhensible… D’ailleurs, ce sont certainement ces 0,06 %-là qui manifestaient en nombre sous les fenêtres de l’Anah.
Évidemment que tout cela concerne les architectes, pas seulement ceux qui sont réglementairement référencés sur le site France Rénov’ dans la rubrique « Audit énergétique » et sont ainsi autorisés « à réaliser un audit réglementaire de maisons individuelles au titre du suivi d’une formation FEE BAT 5a 5b ou Dynamoe 1. Les architectes ayant suivi la formation Dynamoe Copro peuvent réaliser des audits énergétiques de logements collectifs en monopropriété ». Byzance pour ces hommes et femmes de l’art !
Ils sont concernés surtout parce que cette chasse aux fraudeurs semble être la seule réponse des pouvoirs en place face à l’impéritie de l’État et au vide consternant d’une politique environnementale et sociale globale, compréhensive et efficace. Cette volonté farouche de rechercher et trouver des moutons noirs va également bientôt se traduire dans nos paysages puisque le gouvernement auquel appartient Valérie Létard n’a par ailleurs, en guise d’architecture, que les mots prisons et centres de rétention à la bouche plutôt que Palais de justice et politique de la ville. Quelle marge de manœuvre pour l’architecte qui devra signer le permis de construire d’un centre de rétention où seront stockés sans procès jusqu’à 90 jours des gens qui n’ont commis d’autre délit que d’être là, toujours vivants ? Quel DPE pour ces établissements ? Quel DPE pour les maisons d’arrêt ?
Tiens, en mars 2025, le Canard enchaîné dévoilait que le groupe de Vincent Bolloré avait échappé – cadeau évidemment désintéressé du maître de Bercy – à une amende fiscale de 320 millions d’euros liée à une opération datant de 2004. Pourquoi ? Le magnat (si peu nime), épigone de Charon, risquait-il de manquer de cash pour la galette des rois ? Non bien sûr, le tycoon des fachos apôtre en bondieuseries séniles n’est pas un voleur de pommes, juste un fraudeur à la grande semaine, au mois et à l’année. D’ailleurs en Afrique ils se souviennent encore de sa bénévolence.** S’il a besoin d’un DPE pour ses multiples propriétés, comme la loi oblige tout un chacun, il n’a qu’à demander à Valérie Létard puisque d’évidence le gouvernement a le sens des priorités
C’est toujours « en même temps » la logique du bouc émissaire – les 1,7 % de fraudeurs peuvent d’ores et déjà numéroter leurs abattis – et peu importe qu’elle défie la raison, morale et financière. D’ailleurs, les copains et futurs nervis du baron breton du beurre rance n’étaient-ils pas plus d’un millier à demander dimanche à Paris le respect de la loi et l’ordre ? Qui au gouvernement pour s’en offusquer ? Un diagnostic peut-être ? Il est vrai que ces promeneurs du dimanche n’étaient heureusement pas des écoterroristes, ouf !
L’ordre des architectes a été créé par Pétain. Alors voilà, les diagnostiqueurs immobiliers auront bientôt le leur, et bientôt les maraîchers et les marchands de pneumatiques… Et pour tous les fraudeurs, quand les prisons qui débordent déjà ne seront plus assez grandes, les camps ? Financés sans appel d’offres par Bolloré & Co. ?
Christophe Leray
*Pour en savoir plus concernant l’origine de Vulcain ex-Jupiter, lire : Sonotone, livré par Amazon, à l’attention de l’Uber président
** Lire « Le système Bolloré » en Afrique attaqué en justice par un collectif d’ONG (France 24, 19/03/2025)