Ces dernières années ont vu, au nom du développement durable, un déferlement de bas carbone, de ‘low-tech’ et de tout un charabia vert. La grammaire urbaine est devenue vendeuse – plus «start-up» – et marketée par des créatifs au service de politiques qui vendent la ville comme le dernier shampoing sans gluten ni OGM, mais conditionné dans un flacon en plastique…
Par exemple, 2019 marquera la mise en place d’un système poussant le recyclage et la vague Zéro déchet à son point le plus abouti. En effet, les habitantEs de la ZAC Saint-Vincent-de-Paul, à Paris, auront bientôt le loisir de voir leurs saintes urines récupérées et transformées en engrais pour arroser un obscur champ voisin. Qui l’eût cru ?
L’aménageur de la Ville, Paris & Métropole Aménagement (P&MA) et les Grands Voisins testent, dans le cadre de la préfiguration du quartier, «un projet innovant de collecte et de réutilisation des urines féminines», peut-on lire sur le site internet de P&MA… Tout un programme. Visiblement les cerveaux des ingénieurs se révèlent vifs et efficaces pour alimenter la communication de la ville envers ses administrés, pourtant lassés de l’hygiène urbaine, en cette molle période préélectorale. Quant aux architectes, ils sont tenus d’appliquer séance tenante les desiderata les plus étranges des édiles en mal de reconnaissance.
Pourtant, devant la mise en place de l’usine, non pas à gaz mais à pipi, au sein de la plus bobo des ZAC parisiennes, ces derniers sont quelques-uns à faire montre d’un scepticisme insolent. Ils relèvent qu’un tel système prend beaucoup de place pour des locaux particuliers, oblige à doubler les réseaux, nécessite des allers et venues de camions pour évacuer les urines, féminines donc. Pardon messieurs ! Sachant qu’il est encore très difficile de filtrer ces urines, pour les résidus médicamenteux et affections diverses notamment, il est permis de s’interroger sur l’efficacité de la chose.
Si cette récolte semble n’être qu’un pipi de chat dans la lutte contre les pesticides et un pas de mouche dans la persuasion des habitants à un mode de vie Zéro déchet, les dernières demandes des politiques au nom des valeurs durables démontrent surtout à quel point ces derniers ne sont jamais en reste lorsqu’il s’agit de manipuler l’opinion et les bonnes volontés de tous, au nom d’une bonne conscience morale et durable de concitoyens de plus en plus concernés par des modes de vie moins impactants.
A bien regarder, il en va de même pour le bois, redécouvert comme la poudre ces dernières années, zoomant sur de théoriques hautes qualités bas carbone, oubliant certains de ses points faibles. Au prix d’un gros effort, la filière bois a su se remettre en selle même si, dans un pays où la culture constructive est traditionnellement portée par le béton, elle compte encore plusieurs étapes de retard.
Évidemment, construire en bois, avec des épicéas qui ont poussé à quelques kilomètres du futur édifice s’avérera toujours écologique. Voilà pour l’image d’Épinal. La réalité est tout autre. La filière bois bénéficie d’un soutien public intense, obtenu à coups de chartes, d’engagements divers et de subventions. Néanmoins, la grande majorité des sciages employés sont importés, en particulier de Scandinavie, reconnue pour la qualité de ses pins Douglas trentenaires. «Si la construction bois progresse chaque année, s’imposant d’abord dans les extensions-surélévations, ce sont les résineux d’importation qui en profitent», confirme une enquête du Moniteur (Octobre 2017). Pour la construction bas carbone en circuit-court, c’est donc du vent le plus souvent.
Sans compter que l’utilisation d’énergie fossile pour la sylviculture, l’exploitation forestière, le transport du bois, la fabrication des produits et leur utilisation, génère également des émissions de gaz à effet de serre considérables. Les émissions liées à la fabrication de bois lamellé-croisé (CLT) s’élèvent ainsi à 360 kg de CO² par tonne, selon les Fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES). Tout ça sans parler des colles, des résines, des traitements contre les champignons, les petites bêtes, l’humidité, le feu … Bref, le bois serait-il de ces amis dont on se rend compte un peu tard qu’ils jouent un double-jeu ?
Quant aux immeubles-jardinières qui fleurissent dans tous les écoquartiers, leur végétalisation à outrance est-elle si vertueuse quand la structure béton porte des tonnes de béton et d’acier en supplément de bacs de terre en saillie ? Un arbre planté hors sol a besoin de plusieurs centaines de litres d’eau potable par mois, un liquide qui n’est évidemment pas récupéré dans les urines des habitantEs.
Dans cette urbanité contre-productive au service de l’enrichissement des uns mais pas des autres, l’architecture est évincée. Dans ce contexte, quelle est la place de l’engagement de l’architecte dans la conception d’un écoquartier quand le politicien aux dents acérées décide de l’éthique, ou de plutôt la non-étique à adopter ? Où sont les architectes pour dire que l’immeuble bas carbone existe mais qu’il ne correspond pas à l’image acidulée que les perspectives véhiculent, et surtout pour rappeler que le bilan carbone ne se calcule pas dans un tweet en 20 secondes et 140 caractères. L’impact carbone d’une opération ne peut se calculer au moment du concours mais sur la durée de vie du bâtiment. Qui, au-delà des salons professionnels et de quelques dîners mondains, pour porter la contradiction et pour rendre à la conscience citoyenne les épineux enjeux de la construction durable ?
La ville et surtout son politicien en chef doivent-ils réellement se comporter comme un grand groupe agro-industriel et tirer les mêmes très grosses ficelles pour vendre aux citoyens, qui est le même que le consommateur, un discours à la mode, cynique et inefficace ?
Entre ajout technique gadgets, bois traités, végétalisation sans réflexion, vocabulaire de la communication, les nouvelles architectures se font décors et poudre aux yeux dans une ville spectacle. Le discours bêlant qui prône le retour à une pseudo nature n’est en réalité que le reflet de sa domestication par la technique. «En même temps», les villes dilapident sans vergogne des m² de foncier pour construire une image mensongère de leur action, une jolie carte postale en provenance du pays du cynisme vert.
Alice Delaleu