L’engouement autour des lieux partagés coworkin et coliving n’est-il qu’une illusion autour de produits survalorisés et non adaptés aux enjeux de société ? En témoigne le naufrage Wework.
Arrivée en 2014 avec un nouveau produit immobilier d’espace de travail partagé, Wework s’est taillé la part du lion dans ce marché en plein boom. Son introduction en Bourse prévue pour septembre 2019, puis repoussée à octobre, a fait flop et provoqué un séisme faisant craindre une nouvelle crise des ‘subprimes’ selon Les Echos (22/10).
Wework, la firme new-yorkaise, s’est imposée comme le leader du coworking à Paris et ailleurs. L’entreprise, qui n’achète pas de bureaux, loue des espaces à des grands propriétaires pour les sous-louer dans un premier temps à de jeunes entrepreneurs de la startup nation, puis à des TPME et de grandes entreprises. De la sous-location d’espace de travail, rien de bien neuf au final. Beaucoup d’architectes connaissent déjà le principe de sous-louer un espace à plusieurs, ou pour ceux qui n’ont pas de moyens, une bibliothèque est un espace studieux qui peut aussi se révéler convivial.
Les premiers locaux de Wework à Paris ont été ceux de l’ancien siège d’Areva, 33 rue Lafayette, dans le IXe arrondissement de Paris, à la croisée de la Silicon Sentier et des grands boulevards, bref dans le quartier central des affaires (QCA)**. Un navire amiral Art déco à la hauteur des ambitions de la jeune pousse américaine et restructuré par l’agence Axel Schoenert, devenu l’architecte en chef de la ‘remodelation’ des actifs loués par la startup : une immense verrière centrale, des bureaux design, des terrasses avec des vues spectaculaires sur tout Paris et même au-delà, des espaces partagés avec moult services (cours de yoga, tireuse à bière à chaque étage, démonstration de nouveaux produits, applications pour gérer les services à disposition et rencontrer d’autres coworkers).
Wework est aujourd’hui leader du marché parisien avec dix implantations, et plus de 92 000 m² concentrés en grande partie dans l’ouest parisien, et près de 15 000 postes de travail. A New-York, il est le premier locataire de la ville avec 70 implantations, représentant 640 000 m². A travers le monde, Wework est présent dans 111 villes dans 29 pays avec 500 sites, et compte 500 000 «membres». Un tournis de chiffres qui a tourné au fiasco puisque, voilà, Wework fait faillite.
Wework s’est positionné non pas sur sa profession de bailleur immobilier classique mais sur des promesses. A vouloir jouer plus vite que le temps de l’immobilier, à devenir un super actif, la société a perdu, et elle a perdu cher ! Sa valorisation initiale de 47 milliards en 2018 est passée à 10 milliards en septembre 2019 et ses pertes pour 2018 étaient de 2 milliards… La licorne** s’est transformée en poney nain.
Cette chute a été provoquée par les documents transmis aux investisseurs pour l’introduction en Bourse en septembre dernier. Le chiffre d’affaires de l’agence de sous-location est égal à sa perte, peu ou prou : 1,8 milliards de CA pour 2 milliards de perte, sa rentabilité n’est prévue qu’en 2026 et l’investissement nécessaire est de 20 milliards. Du coup, Softbank, fonds d’investissement japonais de Masayoshi Son qui a déjà misé neuf milliards sur Wework lors des deux dernières années… a dû venir à la rescousse pour éviter une faillite en investissant 10 milliards de dollars supplémentaires.
La confusion entre produit et mode de vie
N’est pas une licorne qui veut, surtout pas dans l’immobilier. Personne n’invente de nouveaux modes de vie qui, par définition, évoluent lentement et il n’y a pas de révolution, que cela soit dans le bureau ou dans le logement. WeWork s’est créé par l’image, plus particulièrement celle que son fondateur Adam Neumann a vendue : un lieu du cool où l’immobilier n’existe pas, «un réseau social physique». En réalité, ni plus ni moins qu’un bureau mais englobé dans la novlangue de la startup nation…
L’open space connaît ses premières crises face aux plaintes des usagers, qui jugent l’espace ouvert hostile aux échanges, perturbant la capacité de concentration et l’autonomie, et devenu un lieu de surveillance permanente. L’ère du ‘cool’ n’est pas familier des habitus. Wework n’a pas inventé un nouveau produit, il l’a juste enveloppé dans une belle image marketing pour en faire un produit.
Le coworking, et sa variante dans le logement, le coliving, ne sont que des images luxueuses de projets issus de la contre-culture. Le coworking est une appropriation de la culture du hack, des espaces collaboratifs comme le C-base de Berlin, hackerspace crée en 1995, considéré comme le premier espace de coworking au monde.
C’est le même constat pour le coliving, sous cette belle dénomination anglaise autour du partage des modes de vie, celui-ci n’est que l’adaptation des solutions de dèche entre la collocation et la résidence étudiante mais avec des loyers qui dépassent les prix du marché traditionnel***.
Produit qui a le vent en poupe, Charles Beigbeder vient d’annoncer le lancement un fonds d’investissement accessible à partir de 100 000€ pour investir dans des résidences en coliving de 2000 à 5000 m². On est loin de l’appartement partagé par des étudiants dans un immeuble de rapport classique…
En poussant le bouchon plus loin, Airbnb n’est que la version capitaliste de Couchsurfing. Crée en 2004, Couchsurfing était une association visant à proposer à sa communauté des lieux d’hébergement gratuit chez des particuliers lors de voyages. Airbnb a gentiment repris ce qui était un concept d’échange pour en faire une société à but très lucratif – le CA avoisinerait le milliard de dollars – et qui prépare son introduction en Bourse l’an prochain…
Wework et sa faillite sont peut-être le symptôme d’une société capitaliste hypertrophiée qui va finir par se dégonfler. Des économistes commencent à se demander si le capitalisme ne serait pas sur sa fin, engagé dans un déclin lent et inévitable. La chute du géant du coworking en est peut-être l’une des manifestations.
Julie Arnault
* QCA : quartier central des affaires est formé d’une partie des Ie, IIe, VIIIe, IXe, XVIe et XVIIe arrondissements où se trouvent les sièges sociaux des grands groupes nationaux et internationaux et une offre de bureau importante.
** Une licorne est une startup valorisée à plus d’1 milliard de dollar.
*** A Paris, le loyer moyen en colocation est de 691 €, selon le dernier baromètre de Locservices. La Colonie, qui propose une des premières résidences de coliving à Saint-Lazare, facture ses chambres 850€.