« Journal d’une jeune architecte »… « Journal d’une JEUNE architecte »… Ce mois-ci, c’est ce mot qui m’a poussé à écrire… Qu’est-ce qui fait que l’on est ou non encore jeune architecte ? Est-ce valorisant d’être jeune ? Ou plutôt une étiquette nous faisant coller à la peau notre manque d’expérience ?
Se sentir novice – un apprentissage
Au début de la frise chronologique, il y a le tout jeune architecte, celui pour qui cet adjectif est encore synonyme de manque d’expérience. A la question : « comment voient-ils cette position ? », la réponse des étudiants sortant de l’école est souvent partagée entre l’enthousiasme et l’intuition de tout ce qu’ils ne savent pas encore de la réalité du métier d’architecte. Il est aisé d’imaginer la scène de l’architecte plus expérimenté citant sans s’en rendre compte trois acronymes inconnus dans la même phrase et les yeux écarquillés d’un jeune n’ayant aucune idée de la tâche sur laquelle il va devoir s’exécuter.
C’est un moment clef où l’on n’est plus étudiant : il y a la volonté, le diplôme d’architecte mais les connaissances à acquérir sont encore si nombreuses que l’on reste en position d’apprentissage, qu’on le veuille ou non !
Alors combien de temps dure cette période ? Quand s’émancipe-t-on de cette position ?
Au-delà de la façon dont chacun se perçoit, il y a des réalités qui nous renvoient à une position de novice ; il n’y a pas de grades particuliers qui nous permettent d’identifier lorsque l’on passe les étapes du parcours d’architecte (pas de sergent dessinateur ou caporal truelle chez nous), mais quelques titres écrits sur nos fiches de postes : architecte junior, architecte HMONP, dessinateur, projeteur, chercheur, jusqu’au fameux chef de projet.
Finalement ce qui fige les liens de subordination au sein d’une agence n’est-ce pas la même chose que partout, la rémunération ? La différence ressentie de l’apprenti passe forcément par sa fiche de salaire et il gravira les échelons à coups de demandes d’augmentation pour valoriser les années passées à travailler : la reconnaissance est pécuniaire.
Jean, un confrère, estime quant à lui qu’il se sentira être « le jeune » tant qu’il travaillera en agence : « j’ai des choses à apprendre et le fait de travailler pour d’autres est pour moi l’unique chemin pour y parvenir. Le jour où je n’apprendrais plus assez, je me lance ! », dit-il. Mais arrêtons-nous un jour d’apprendre ? Quand se sent-on prêt à se lancer ? Est-ce même une fin en soi ?
Avec Soraya, mon associée, nous nous sommes lancées tôt, très tôt, trop tôt peut-être… Depuis le premier jour où nous avons commencé à faire des projets à notre compte, autour de nous chacun y allait de son commentaire : « vous êtes sûres, mais vous n’avez pas assez de contact ! », « mais c’est connu il faut au moins dix ans en agence avant de pouvoir se lancer ! »… Etc.
A l’opposé il y a l’injonction fameuse : « Commencez, vous n’avez rien à perdre ». Est-ce vraiment le cas ? Je n’en suis plus si certaine… Si nous avions mieux connu le monde de l’architecture avant de nous lancer, nous aurions peut-être attendu un peu avant de nous jeter dans le grand bain. Cela nous aurait permis d’éviter quelques pièges et fait gagner un peu en sérénité face à certains problèmes.
En fin de compte, si nous y réfléchissions bien, c’est aussi grâce à une part d’insouciance due à notre jeunesse que nous avons osé nous lancer. Aujourd’hui, de l’expérience, nous en avons acquis, simplement différemment…
Être jeune et doué sinon on a tout raté !
Un de mes amis de promotion qui travaille depuis sa sortie d’étude dans la même agence m’a dit il y a quelques jours : « Avec Basile, hier, nous avons réalisé qu’il ne nous reste plus que cinq ans pour être AJAP, putain… et puis bah finalement si nous faisons le bilan sur ces dernières années, nous n’avons pas fait grand-chose jusqu’à maintenant à part boire des bières et dessiner des murs végétalisés haha haha »… Nous avons trinqué et rigolé mais la discussion est tout de suite devenue plus sérieuse… Tu as envie de partir ? Pourquoi ? Pour les AJAP, c’est la raison, sérieusement ?
C’est finalement cet âge limite des AJAP, 35 ans, qui lui donne envie aujourd’hui de se lancer… Il n’est pas le seul ! Être lauréat de l’Album des jeunes Architectes et paysagistes représente pour tout jeune architecte le Goal, le Graal, le but ultime à atteindre pour donner sens à sa pratique émergente. Dans cette vision il y a une part de fantasme autour de la médiatisation d’un tel prix, mais aussi une réalité, celle du besoin pour une jeune agence de faire partie du fameux annuaire.
Répétons-le encore et encore, je pense que chaque personne lisant cet article sait comme il est difficile d’accéder à la commande et pas uniquement pour les jeunes. Alors faire partie du palmarès apparaît à tous les jeunes comme une porte d’entrée pour pouvoir aguerrir LA reconnaissance qui fera peut-être oublier un manque d’expérience à des futurs maîtres d’ouvrage. Après tout c’est le ministère de la Culture qui choisit ses poulains !
Je me souviens de la remarque, il y a un an environ, d’une architecte amie qui nous accompagne depuis nos débuts : « Bon les filles, vous avez regardé hein, maintenant vous ne perdez pas de temps vous travaillez pour les AJAP ! » Ni une ni deux, lire les conditions d’éligibilités, réfléchir au chemin qu’il nous reste à parcourir…
Je me dis que cette course au AJAP, gagnée ou non, est peut-être la carotte au bout du bâton dont nous avons besoin pour ne pas perdre de temps en chemin : « les jeunes faites, faites, faites car arrivées à 35 ans dans tous les cas vous serez riches de vos productions et réflexions ! ». Allez au boulot !
Être jeune : une vraie ou fausse opportunité ?
Au-delà de ce concours, les appels à idées, compétitions et prix ciblés sur les jeunes architectes ne manquent pas : « Valoriser la jeune architecture », voilà qui semble très louable, « faire émerger de jeunes talents » évidemment oui, génial !
Alors tout est-il fait pour que les jeunes aient leur chance et puissent débuter leur activité avec le petit coup de pouce nécessaire ?
Pour quelques architectes, il semble que oui. Il y a quelques années, je me retrouve à raconter que nous avons eu la chance, avec mon associée, de pouvoir parler de Constellations dans une conférence à l’étranger. La réponse de mon interlocuteur : « ah oui, mais vous êtes jeunes, cela ne m’étonne pas qu’ils cherchent des profils comme les vôtres, profitez-en surtout ! ». Comme si être jeune offrait inconditionnellement des chances que les autres n’auraient pas !
Mais est-ce vraiment la réalité ? Non ! J’aurais aimé rappeler à cet homme de l’art qu’être jeune architecte est le plus souvent une lutte pour faire sa place : à combien de portes fermées sommes-nous confrontés avant d’en trouver une ouverte ? Combien de faisabilités gratuites ? Combien de concours non rémunérés perdus ? Combien de demande de co-sous-traitance sans réponses ?
Combien de fois avons-nous entendu, même dans des concours visés pour des jeunes architectes : « vraiment votre profil est hyper intéressant, jusqu’au bout nous avons hésité entre vous et l’équipe gagnante mais malheureusement nous avons fait le choix de raison et pris l’autre agence avec plus d’expériences, c’est plus tranquillisant pour nous vous comprenez… ». Dans ces cas-là, l’agence en face avait toujours plus de 35 ans… C’était effectivement encore « une jeune agence » ! Mais peut-on vraiment comparer des praticiens séparés par une dizaine d’années d’expérience ? Parler de jeunes architectes, c’est donc parler d’un prisme bien large… AJAP, 35 ans d’âge limite, Europan 40 ans, 40 under 40. 40 ans ! Cela est-il bien normal d’être considéré comme jeune architecte jusqu’à ces 40 ans ?
Les études d’architecture se terminent autour de 23 ans en moyenne puis un statut de jeunes architectes amènerait alors jusqu’à l’âge de 40 ans, soit 17 ans plus tard. Et après ? On devient quoi ? On devient juste architecte ? Architecte expérimenté ? Architecte mieux payé ? Architecte respecté ?
Une fois prise en compte l’âge de départ à la retraite autorisé entre 62 et 65 ans (bien que les architectes semblent avoir tendance à traîner un peu plus) cela ne laisse pas beaucoup plus d’années à l’architecte pour exercer comme architecte « expérimenté » que comme « jeune architecte »… Cela fait-il sens ? Ne devrions-nous pas faire confiance plus tôt ?
Finalement être jeune, c’est surtout être l’avenir ! Jeunes architectes, émancipez-vous ! N’ayez pas peur de vous lancer, n’ayez pas peur des étiquettes, n’ayez pas peur de faire des erreurs et de vous écouter vous ! Les difficultés seront là peu importe le chemin, alors tracez le vôtre…
Estelle Poisson
Architecte – Constellations Studio
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