Le 20 décembre 2018, le préfet du Val-d’Oise a déclaré d’utilité publique le projet d’aménagement du Triangle de Gonesse, ouvrant la voie aux travaux d’EuropaCity. L’occasion pour Alain Sarfati, architecte Urbaniste, d’en faire une relecture inattendue.
Cette décision du préfet a motivé mon intérêt une fois encore pour EuropaCity. Je ne me suis pas privé par le passé de citer Max Weber, sa vision de la ville européenne avec sa trilogie, le rempart, le marché et la démocratie. Alors l’idée de voir un projet majeur du Grand Paris prendre forme, avec un nom aussi ambitieux, ne peut qu’attiser ma curiosité. De quoi s’agit-il ?
Il semble que ce soit un projet majeur du Grand Paris, les enjeux sont de tailles et le projet a été remis sur la planche. Le programme est culturel, commercial, il est mixte à souhait, pas étonnant qu’il ait fait l’objet d’une décision d’utilité publique …. Tout ce que les villes nouvelles du schéma directeur n’ont pas eu la chance d’avoir au moment de leur création, tous les ingrédients sont présents. Les investisseurs, les promoteurs, les urbanistes, les architectes, les bureaux d’études ont levé le voile….
Par où commencer ? Le centre qui se révélerait trop petit et vite étouffé, ou une périphérie qui ne verrait arriver un centre que bien plus tard ? Ce qui était un problème d’ontologie semble résolu, la zone de chalandise permet de prendre la décision de ce qui va devenir un urbanisme exemplaire d’une modernité éclatante. Sont réunis les éléments d’un centre urbain sous la forme d’un projet générateur d’une urbanité liée à son attractivité. Le projet prend le risque de démarrer par le centre, il y aura de la casse mais après tout, que le meilleur gagne.
Pour ceux qui ont pris connaissance de ma précédente chronique à ce sujet* , il s’agit de ma part d’un revirement. Il est vrai que la dimension qualitative était masquée par une pudique «canopée», c’était un projet à la gloire des jardiniers. La dimension quantitative prenait également le pas sur la qualité de vie qui était projetée et si l’énormité du programme pouvait engendrer le doute, celui-ci n’est plus permis. Le centre était replié il se déploie et c’est bien là que réside la nouveauté.
Mon inquiétude était liée à la démesure qui ne suffit pas à faire un projet : un projet urbain de «79 hectares dont 10 dédiés à un parc, 7 à une ferme urbaine, 230.000m² de commerces, (soit quatre fois la surface du centre commercial des Halles à Paris. NdA), 15.000m² de surfaces de loisirs, 50.000m² d’offres culturelles (l’équivalant du centre Pompidou. NdA), 20.000m² d’espaces d’accueil pour les séminaires… tout ça au sein d’une ZAC de 300 hectares».
Lorsque l’Etat donne son feu vert à un projet ambitieux, qui porte le nom d’EuropaCity, tous les espoirs sont permis. La Ville Européenne n’est pas oubliée. L’actualité va renouer avec un projet que l’urbanisme du vingtième siècle a rejeté d’un revers de main. C’est le fol espoir d’une ville à l’espace continu, sans limites, qui a ouvert la voie à un fonctionnalisme effréné. Cette idée largement partagée est à l’origine de bien des déconvenues. L’enjeu est important et l’inquiétude à sa mesure.
L’élaboration d’un programme et celle du projet relèvent d’une démarche dialectique. L’un sans l’autre n’offre aucune garantie de «bonne fin», pire, on prend le risque de la juxtaposition et on oublie l’essentiel : le lien, la nature de l’espace qui fait le projet, son originalité, son attachement au territoire, ce que Max Weber appelle la démocratie. La concertation sur des chiffres c’est un peu comme la dégustation d’un plat sans saveur, inodore, incolore et dont on ne connaît que les vertus nutritives. Il fallait un vrai support, le bien commun qui est consubstantiel de la démocratie d’Europa City. C’est fait. Nous avons échappé à un Edmond Town, quarante ans après !
Dans les années soixante les Parisiens allaient à Orly le week-end faire le plein de modernité. Il est vrai qu’ils avaient perdu les lieux de loisirs expatriés sur les bords de la Marne ou dans la vallée au loup de Chatenay-Malabry.
Dans le ralentissement de la ville, EuropaCity tire toutes les leçons et nous offre enfin non plus une utopie ordinaire, mais une Utopie/Topique. Les soixante-dix hectares situés dans le triangle de Gonesse sont traversés par une terrasse magnifiquement orientée au sud sud /ouest ce qui est une chance exceptionnelle, celle de considérer l’orientation pour l’implantation de ce qui va devenir l’attraction urbaine de million de parisiens.
Le centre commercial des Halles de Paris risque gros, lui qui s’est enterré. Ici la nature commence par le soleil, par le plaisir de la promenade les mains libres, elle est bordée d’un jardin linéaire agrémenté d’équipements sportifs et de loisirs, un centre aqua-ludique à une extrémité un parc d’exposition, un palais de congrès avec une salle plurifonctionnelle à l’autre.
D’aucuns reconnaissent là l’extension de l’expérience des ‘malls’ fermés, avec une attraction à chaque extrémité. Il est clair qu’il y aura toujours quelque chose à découvrir sur ce plateau actif. La promenade, véritable transposition du cours, ou de l’avenue de la ville «européenne» se développe sur 836 m, étonnante coïncidence ! C’est une sorte de standard dans les tracés urbains, vingt minutes pour découvrir les vitrines qui bordent le linéaire de la terrasse de Gonesse. Une terrasse extérieure chauffée par l’énergie produite par les cellules photovoltaïques qui couvrent l’auvent.
Nous ne sommes il est vrai ni à Las Vegas ni à Montréal, ni à Copenhague qui a su garder son Tivoli au centre de la ville, c’est là que le projet devient topique. Il s’ajuste au site, à son environnement, à une culture de la ville qui s’actualise avec les nouvelles technologies, la robotique, les nouvelles énergies. Un centre urbain qui offre toutes les activités sur un plateau dans lequel la présence de la nature est un vrai accompagnement, c’est presque trop beau pour être vrai.
Le projet ne s’arrête pas en si bon chemin. La plateforme bordée par la terrasse couvre un parking souterrain de 2 000 places, elle est constituée d’un double plateau actif dans lequel trouve place les 230 000 m² de commerces, les espaces de coworking, les espaces de remise en forme, un centre médical, bien évidemment les cafés et restaurants qui profitent de la magnifique terrasse mise à leur disposition.
La ferme et le hameau de la Reine ont trouvé leur place à une extrémité du jardin longiligne qui prend la forme d’un espace de quarante mètres de profondeur sur six cents mètres de longueur. Pour le moment pas grand-chose à dire sur l’architecture mais il est permis d’imaginer, sans se perdre en conjectures, qu’avec un tel projet, une architecture qui sortirait de la logique du cube sera attendue, une succession de surprises rythmera cette exceptionnelle promenade qui sera novatrice et emblématique du Grand Paris.
Puisqu’il est question de mixité, d’évolutivité, d’adaptabilité, de mutabilité, ce qui manquait était une pensée baroque : «L’homme baroque est celui qui met en rapport le dire et le faire», disait Philippe Beaussant. Il fallait énoncer un projet, le partager avant de le dessiner et de le construire. Les immeubles qui surmonteront le plateau actif seront un complément urbain capital et garantiront l’exemplarité du projet. Des logements, des bureaux constitueront la ligne de ciel dont la hauteur est déterminée par les couloirs aériens. La peur d’avoir un centre commercial hypertrophié et déjà désuet dans sa conception s’est éloignée.
Les centres commerciaux de la périphérie cherchent leur nouveau modèle économique, il faudra aussi qu’ils cherchent leur modèle urbain en intégrant le plaisir d’y aller pour boire un verre ailleurs que sur un parking.
Le tracé du Cours Mirabeau d’Aix-en-Provence était pour moi une magnifique leçon d’urbanisme, il fallait la revisiter après avoir compris les exigences du ‘retail’ moderne, celui qui sait faire de l’achat un plaisir. Ils l’ont fait.
Aujourd’hui la double allée de platanes, et les quelques fontaines sont insuffisantes, c’est une vraie réinterprétation du modèle du jardin urbain qui se fait jour, il sera riche d’événements. Si l’économie mixte a du sens c’est bien ici, ne serait-ce qu’en orientant un projet. C’est fait. Les leçons des échecs de bon nombre d’opérations périphériques quant à leur capacité à générer de la «ville», ont semble-t-il été tirées. Le chiffre d’affaires n’apparaîtra plus comme seul critère d’un succès éphémère.
L’exemplarité est dans la volonté d’innovation, et surtout, celle de croire qu’une ville qui produit du bien commun sera support de succès commercial. Elle sera également la démonstration de ce que l’espace publique a du sens, en favorisant la création du lien social. De même l’utilité publique de l’architecture ne sera plus un vain mot. Je suis prêt à prendre le pari que devant la conception novatrice et le succès d’Europa City les Américains et les Chinois viendront prendre des leçons. Une leçon d’urbanité : mail, avenue, terrasse, cours, ramblas, paseo, alameda, que dis-je, deck, pier, strip, promenoir et peut-être y aura-t-il un ‘mall’ mais pas seulement !
Lorsqu’il s’agit d’un projet aussi emblématique qu’Europa City, tout Parisien se sent concerné. Benoit Chang s’exprimait ainsi : «Ce projet est une matière vivante, nous le construisons en permanence avec Grand Paris Aménagement, les citoyens et les élus de ce territoire… Les investisseurs ont besoin d’être rassurés sur le calendrier et le soutien de l’Etat. Ce dernier doit de son côté être en mesure de vérifier que nous prenons bien en compte les résultats de la concertation avec les élus et la population». Les urbanistes, paysagistes, architectes, sociologues, géographes, ingénieurs et autres écologues sont là pour écouter, proposer, faire partager des convictions, et un enthousiasme.
Le chemin est ouvert, il est ouvert aux Etats-Unis qui transforment les centres commerciaux en «American Dream », partageons le nôtre, celui d’une ville à partager «un rêve de ville européenne».
Alain Sarfati
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* EuropaCity – La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf