Au 21 rue des plantes, dans le XIVe arrondissement de Paris, passé le premier portail, quasi invisible de la rue, il faut s’engager à pied dans l’étroit sentier du Hameau des plantes inondé de végétation en cette agréable journée d’octobre. Rencontre.
« Regardez en haut à gauche » … La voix parvient à travers les arbres. Enfin, en haut à gauche, dans la canopée, apparaît Frédéric Nakache. « Il faut prendre l’escalier à gauche un peu plus loin dans l’allée puis monter au premier étage puis gauche gauche », dit la voix qui a visiblement l’habitude de guider ainsi ses visiteurs.
Arrivé dans la lumineuse agence de NOA, de se diriger vers les grandes fenêtres et découvrir de dessus cet étonnant « hameau », d’un calme olympien. « La ville et la campagne », soulignent Frédéric Nakache, 51 ans, et Fannie Orihuela, 47 ans, partenaires et associé[e]s côté cour et côté jardin, en accueillant Chroniques. Paris regorge de ces endroits presque miraculeux au sein d’une métropole agitée et bruyante. Comment font les architectes pour toujours trouver des plans incroyables pour leur agence ? L’agence NOA est à la campagne dans Paris.
Pour autant, la campagne, plus sûrement le périurbain, versus Paris, ces architectes ne cessent de se confronter à cette équation depuis la création de l’agence en 2006 après le DPLG (Malaquais) en 1998 pour lui et en 2001 pour elle. Quelques années à travailler sur de gros projets chez X-TU, Manuelle Gautrand, Jean Nouvel ou Jakob&Mcfarlane pour Fannie quand Frédéric, très tôt à son compte, a réalisé des missions, pour le concours du quai Branly notamment, collaboré avec Peter Eisenman, l’agence Brunet-Saunier et construit des projets de A à Z, avec un goût pour les chantiers. « Nous étions complémentaires en somme et nous voulions travailler pour nous et ensemble », disent-ils comme une évidence. C’est donc le cas depuis 2006.
Chroniques a publié NOA trois fois en cinq ans, la dernière sur la recommandation d’un client. De s’apercevoir que l’agence ne produit que du logement, le plus souvent social, le plus souvent avec des opérateurs publics. Par choix ? C’est ce que semble indiquer la qualité, plutôt que la quantité, de leur production. Au-delà du portrait d’une agence d’architecture somme toute représentative des agences parisiennes circa 2023, il y a là une curiosité.
Tout commence sans doute quand ils sont ensemble lauréats EUROPAN 7 en 2004. Cependant, tout commence vraiment pour eux, expliquent-ils, avec une première « commande significative », soit neuf logements sociaux et un local commercial avenue de Clichy (Paris XVIIIe) pour la SIEMP, maître d’ouvrage, sur une parcelle de 7 m de large sur 40 m de long. Une superficie de 958 m² pour un budget de 1,9M€ : rien de surnaturel ou d’inhabituel sinon un travail en plan astucieux pour rendre plus et mieux que ce qu’imaginé au départ par le maître d’ouvrage. À ce titre, la petite façade sur rue ne dit rien du fonctionnement de l’ouvrage.
Le bâtiment fut livré en 2016 mais imaginé en 2007, chacun sachant qu’il n’est pas rare que ces petits projets sociaux parisiens prennent jusqu’à dix ans pour être livrés. Pour autant, dès 2007, NOA avait imaginé la préfabrication des éléments, seule façon de les assembler sur cette parcelle. « Un aménagement judicieux de la parcelle pour optimiser le nombre de logement », résume Frédéric.
Et une malédiction qu’ils ne pouvaient certes pas envisager. Cette réussite en a amené d’autres, dont en 2017 la livraison d’un petit programme (763 m² SDP) de dix logements sociaux et deux commerces au carrefour de trois rues dans le XVe à Paris. Un ouvrage original* dont la façade en Corian resplendit aujourd’hui aussi vivement qu’hier ; un guise de ravalement, une nacelle, un karcher et elle est comme neuve en 24h. Si ce n’est pas de l’écologie ! « Les projets les plus petits, les moins rentables sont souvent les plus intéressants », notent-ils.
Des opérations plus importantes, hors de Paris, ont suivi avec à chaque fois la même volonté de l’agence, désormais référencée, de « bien faire son travail ». La façade caméléon des Digues, opération de 28 logements sociaux (1 936 m² ; coût : 3,2M€) livrée en 2023 à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) en témoigne encore et les deux architectes ne sont pas malheureux de montrer l’échantillon qui se trouve à l’agence et, en effet, il suffit de bouger de quelques centimètres pour que la couleur du métal change.
Citons également l’opération à Saulx-Les-Chartreux,** 57 logements sociaux (dont dix individuels) « en périphérie de la ville périphérique », ici encore un projet porteur d’espoir dans des espaces où tout reste à faire, ce qui est le mérite de toute architecture.
Pour autant, à les écouter, pointe le regret de « n’avoir pas encore réussi à décrocher autre chose ». Autre chose ? Un gymnase ? Une école ? Une médiathèque ? « Il est difficile d’être retenu sur des concours d’équipement sans référence, les agences sont malheureusement mises dans des cases », soupire Fréderic. « Des bâtiments nous en avons pourtant livré une quinzaine, nous sommes une agence confirmée », soulignent pourtant Fannie Orihuela et Frédéric Nakache.
Justement, le temps ayant passé, les références sont en 2023 devenues pour la plupart des décideurs l’alpha et l’oméga de la réflexion : en résumé, pour construire un gymnase il faut aux yeux des maîtres d’ouvrage en avoir déjà construit au moins cinq durant les trois dernières années pour espérer avoir une chance d’être retenu ! Et voilà comment le propre succès de NOA a enfermé l’agence dans ses références, comme d’autres agences ne font plus que des gymnases, d’autres des écoles, ces architectes-là rêvant d’ailleurs de l’opportunité de faire du logement ! En 2023, le destin le plus cruel pour les architectes est celui du confinement.
D’autant que dans la conversation, au fil de la présentation des projets anciens et récents, pointe un autre regret. « Le projet Les Digues, nous l’avons gagné il y a dix ans or nous ne pourrions plus le faire aujourd’hui, le maître d’ouvrage n’aurait plus le budget ». Le constat est le même pour tous leurs premiers bâtiments livrés, des réussites pourtant louées aujourd’hui. « Désormais, dans le logement social, nous ne pouvons plus mettre autant de richesse dans la façade », relatent Fannie Orihuela et Frédéric Nakache et il n’y aura pas un architecte pour les contredire. Les habitants des logements NOA ont intérêt à profiter longtemps de leur façade caméléon ou de leur façade en Corian car il risque de ne pas y en avoir d’autres !
Les raisons sont connues. Les budgets des opérateurs n’ont pas tellement augmenté, les contraintes et exigences supplémentaires (environnementales, etc.) se sont en revanche beaucoup accrues ce qui, constatent les architectes, « conduit forcément à des bâtiments plus sobres ». Serait-ce la nécessité qui fait la frugalité comme elle fait loi ? En tout cas, ces architectes notent qu’au début de leur carrière, il leur fallait faire des économies sur les espaces extérieurs, lesquels sont désormais devenus obligatoires, et de belles dimensions encore !
Aujourd’hui, NOA s’impose la discipline – une forme d’ascèse ? – que chacune de leurs pièces humides et tous les espaces communs soient éclairés naturellement. Le plus souvent, ils s’entendent d’abord répondre qu’une fenêtre « ça coûte cher ». Pourtant la pièce humide, ses habitants en ont un usage quotidien quand ils utilisent beaucoup moins la grande terrasse, voire jamais quand il s’agit d’un balcon ! Au moins Frédéric Nakache et Fannie Orihuela connaissent leurs priorités.
Que faut-il conserver par exemple quand aujourd’hui la réhabilitation est prônée à tout bout de champs ? À l’endroit de leurs resplendissants logements rue de la Croix Nivert, il n’y avait qu’un vieil hôtel à l’architecture faubourienne, avec une forte présence d’amiante et structurellement fragile pour accueillir une opération de dix logements. Ils furent autorisés à le démolir malgré les complaintes du Comité du Vieux-Paris. Aujourd’hui, garder l’hôtel sans âme serait une obligation et sa réhabilitation coûterait deux fois le prix de la construction neuve d’un bâtiment en phase avec son temps et propre à durer encore 100 ou 150 ans. Cette volonté à tout prix de tout sauver ferme la porte à l’architecture contemporaine, craignent-ils, à juste titre sans doute. « Déjà lors de nos études, il y a presque trente ans, la réhabilitation était au cœur des enjeux environnementaux », raconte Frédéric.
Pour autant, foin de catastrophisme. En effet, que les appels d’offres d’un bailleur obligent à conserver un bâtiment riquiqui ou qu’un autre optimise les mètres carrés pour créer de la densité, « ce qui demeure est le parti architectural de chaque projet et cela nul ne peut te l’enlever », concluent-ils avec assurance. Dit autrement, il y a encore selon eux de la place pour l’architecture dans le logement, même en périphérie de la périphérie. Et, aussi loin que NOA est concernée, il en est de même pour un gymnase, une médiathèque ou une école de dix classes.
Sur un meuble, au-dessus de magazines impeccablement rangés, une collection de casques rappelle au visiteur le goût du chantier de l’agence.
Christophe Leray
* Lire A Paris, un bâtiment proue, et vogue NOA
** Lire A Saulx-Les-Chartreux, 57 logements sociaux signés NOA