Le souci n’est pas tant le réchauffement climatique, désormais parfaitement prévisible et que l’humanité pourrait tenter d’anticiper – mieux vaut tard que jamais – puisque les experts ne débattent plus que de savoir si, à la fin du siècle, il faudra compter +3, 4 ou 5° de plus par rapport à la température de la planète à l’ère préindustrielle. Ce qui laisse encore quelques décennies pour y penser, voire, pourquoi pas, s’y préparer.
Non, le souci est celui des effets de seuil. Telle la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La goutte d’eau, en elle-même, ne représente aucun danger mais quand le vase est plein, une dernière goutte insignifiante et c’est l’inondation. C’est facile à comprendre mais absolument impossible à anticiper ; des gouttes, il en tombe en trombes des glaciers qui fondent et des seuils encore inconnus mais de plus en plus nombreux seront forcément bientôt atteints et dépassés. Nous voyons déjà de nos propres yeux les dégâts à +1,5°. Que se passera-t-il à +1,8° ? à +2,1° ? à +2,11° ? Plus le temps passe plus chaque centième de degré est porteur de menaces aux conséquences de plus en plus imprévisibles. Les effets de seuil, c’est ce qui leur fiche les jetons aux scientifiques.
Plus près de nous, qui aurait pu anticiper il y a un an la chute spectaculaire de + de 30% du marché de la maison individuelle pourtant traditionnellement florissant en France ? Une dégringolade qui s’accompagne « en même temps » d’une baisse record ces dernières années du nombre de logements construits, surtout sociaux.* Et ce n’est pas parti pour s’améliorer. Effet de seuil imprévu de la loi ELAN ? Non, là je blague, les conséquences catastrophiques de la loi ELAN étaient parfaitement connues. En attendant, quand le bâtiment ne va pas, c’est que vraiment ça ne va pas !
Reprenons. A quel moment des systèmes entiers basculent, telle par exemple la perte quasi soudaine à l’échelle de l’homme – et en une fraction de millième de seconde à l’échelle de la planète – de 80% de la biomasse des insectes ? En traversant la rue, le champ plutôt, bientôt parmi les nouveaux métiers : pollinisateur, comme en Chine déjà ?
Encore faudra-t-il que des Français bien éduqués veuillent bien se coltiner jusqu’à 64 ans ce travail de titan, pénible au possible, que les insectes faisaient gratuitement. Dommage que les apiculteurs et les scientifiques n’aient rien remarqué depuis vingt ou trente ans, sinon ils auraient certainement alerté tout gouvernement français responsable.
Quand, à l’échelle de la planète, un système bascule brusquement, c’est souvent violent, presque toujours irrémédiable.
Pourquoi je parle des effets de seuil ? Parce que Le Monde (avec AFP, 03/02/23) relate que l’Afrique-du-Sud est paralysée par des coupures d’électricité records depuis un an. Jusque-là rien de surprenant ; les coupures d’électricité, nous-mêmes en France en étions tout effrayés et pas fanfarons pour un atome au début de l’hiver. Alors dans les pays moins riches…
Plus surprenant cependant, l’article explique que le « redémarrage constant des machines » des centrales électriques a fini par endommager les infrastructures de l’eau. Titre : Pas de courant et maintenant plus d’eau : les Sud-Africains craquent. On les comprend !
L’article précise encore que l’absence ou l’irrégularité de courant a perturbé jusqu’au fonctionnement des égouts, obligeant la ville à fermer ses plages devenues nauséabondes et plus dangereuses qu’un requin blanc, lequel doit d’ailleurs trouver l’eau bien saumâtre. « Les problèmes de l’entreprise publique Eskom, criblée de dettes, se sont aggravés. La compagnie qui fournit environ 90 % de l’électricité du pays, principalement via des centrales à charbon vieillissantes, peine depuis des années à répondre à la demande », est-il enfin souligné. Un effet que les ampoules connaissent bien : appuyer sans cesse sur l’interrupteur n’arrange rien. Effet de seuil africain ?
Maintenant, remplacez « centrales à charbon vieillissantes » par « centrales nucléaires vieillissantes » et cela devrait vous rappeler quelque chose près de chez nous. Centrales vieillissantes qui d’ailleurs n’en finissent pas de s’arrêter pour ceci ou cela avant de redémarrer cahin-caha dans l’urgence politique ! Centrales que nos ingénieurs, de plus en plus droits dans leurs bottes kaki, n’ont donc pas fini d’éteindre et de redémarrer quand elles devront faire face à des sécheresses hivernales qui, comme celle de cet hiver 2023, n’auront en France d’ici peu plus rien d’historiques. Une centrale nucléaire a besoin d’eau, beaucoup. A partir de + 1,52°, ici comme en Afrique-du-Sud et les plages qui sentent la fosse septique ? Ah bah non, on a déjà les algues vertes ! A en regretter les bonnes vieilles marées noires qui avaient le mérite de n’être qu’épisodiques et non récurrentes…
Vous croyez que j’exagère ? Rapportée par Le Monde (4/03/23) encore, une vaste étude menée par l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, en partenariat avec la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Auvergne-Rhône-Alpes et présentée vendredi 3 mars, indique que, concernant la baisse du niveau du Rhône et le réchauffement du fleuve, « les premières contraintes pourraient concerner les centrales nucléaires, avec la préconisation d’une baisse de production à certaines périodes, notamment pour les trois centrales (Tricastin, Saint-Alban, Bugey) fonctionnant avec des circuits ouverts, qui rejettent de l’eau chaude dans le fleuve ». Histoire d’eau radioactive ?
Même Vulcain ex-Jupiter commence à s’alarmer** qui a lancé sans attendre, dès le 25 février 2023, un « plan de sobriété sur l’eau ». Depuis sept ou huit ans qu’il est au pouvoir en tant que ministre de l’Economie et président, si ce n’est pas de l’anticipation ! Depuis cette annonce, le zélé Christophe Béchu, son actuel ministre de l’écologie sans futur, de se projeter pourtant dans l’avenir : « Anticipez ! Prenez les mesures qui permettent dès à présent de faire des économies d’eau », intime-t-il aux Français. Parce qu’anticiper hier c’était trop tard ? Demain quoi ? La danse de la pluie des indigènes ?
Dire que les systèmes de récupération de l’eau pluviale sont déjà obligatoires partout…
Et s’il ne pleut plus ?
Ou si, à +1,9° il ne pleut plus que des grêlons de la taille d’une orange ou, à + 2,23°, de la taille d’une pastèque ? Bonjour les effets de seuil des familles ! Nous aurons l’air malin avec nos gouttières en zinc conçues pour l’eau douce. Mieux vaut peut-être à l’avenir un garage bunker pour protéger la bagnole électrique qui coûte si cher ! Et des parapluies en Kevlar…
Quant à l’agriculture intensive, grande consommatrice et gaspilleuse de flotte, Vulcain ex-Jupiter lui-même, lors de l’une de ses rares sorties aux champs en septembre 2022, ne dénonçait-il pas, l’« agri-bashing » ? « Tous ceux qui sont en train de mener un discours catastrophiste sur notre agriculture, ils préparent quoi ? Une France où l’on devra importer nos produits qui viendront de l’étranger avec des standards sanitaires et écologiques nettement inférieurs aux nôtres », expliquait-il (Le Monde 10/09/22).
Parce que nos standards sont tip top ? Demandez donc aux Antillais ce qu’ils pensent du scandale du chlordécone, dont le procès s’est achevé en janvier 2023 à Paris par un non-lieu. Et il a fallu une injonction de l’Europe pour que la France cesse ses « exceptions » pour l’usage des néonicotinoïdes quand la terre de nos fiers céréaliers est désormais aussi stérile que celle d’une friche industrielle. Autant dire que pour le « plan de sobriété sur l’eau », c’est bien parti. Au moins la Loire à sec nous débarrassera des silures, espèce invasive.
En tout cas, comme on dit chez les Cyclopes, c’est justement le moment de lancer immédiatement la construction de six centrales nucléaire, sur les quatorze (14 !)*** prévues par un maître des forges qui semble avoir du mal avec les horloges. Pas grave, s’il est désormais impossible d’envisager de mettre ces équipements au bord des fleuves et rivières, il suffira de les mettre au bord de la mer qui monte, comme à Fukushima. Et, dans trente ans, comment ne pas imaginer un monde radieux ?
D’ici-là, que se passe-t-il à +3,2° ? Il faut créer de nouvelles centrales pour rafraîchir les autres ?
Surtout que le réchauffement climatique, c’est ballot, va libérer de nouveaux territoires pour l’extraction du pétrole et du gaz. Et quand Chine et Russie seront en plus revenues à de meilleurs sentiments, comment croyez-vous que l’humanité va parvenir à se passer d’une énergie fossile abondante et bon marché ? Voyez le charbon ! Et comment se passera-t-elle d’une eau qui n’est plus ni abondante ni bon marché ?
A ce rythme, l’air devenu irrespirable et la végétation, du plancton à l’arbre fruitier, ne voyant plus le soleil, ne manquerait plus qu’un seuil invisible soit franchi pour que les humains subissent le même sort que les insectes – après tout, nous ingérons les mêmes saloperies qu’eux : en trente ans, 80% de la biomasse des humains, incapables de se reproduire, disparaîtraient !
Les historiens du futur parleraient de la Grande Pesticide de la Soif et, qui sait, deux générations d’historiens plus tard serait-il seulement question de La Grande Peste Sèche du XXIe siècle. A 80% d’éradication, comme pour les insectes, c’est sûr que c’est la fin des nuisibles.
Rendez-vous compte, il n’y aurait presque plus personne pour faire fonctionner des centrales nucléaires toutes neuves ! Qui sait, les ingénieurs survivants ne sauraient alors, en fonction des besoins et des sécheresses, que les allumer, les éteindre, les rallumer, les re-éteindre, les rallumer…
Christophe Leray
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