Chroniques d’Architecture, entreprise de presse, n’a d’autre ambition que d’écrire en toute indépendance la chronique de son temps. Cependant, «il est bon de prévoir et de se souvenir, un œil dans le passé, et l’autre vers l’avenir» enseignait un auteur latin du 1er siècle de notre ère. Ce sera le fil d’Ariane de notre nouvelle chronique mensuelle, signée Syrus.
Elections professionnelles de 1982 : Fernand Pouillon candidat !
Les biographes de Fernand Pouillon mentionnent généralement qu’après avoir été «radié à vie» de l’ordre des architectes en 1961, il a été élu à deux reprises, vingt ans après, conseiller régional de l’ordre d’Île-de-France (en 1980 et 1986). Mais aucun n’a commenté sa candidature au Conseil national de l’Ordre, lors du renouvellement partiel de 1982.
Les candidatures, ouvertes aux seuls conseillers régionaux, pouvaient soit être groupées par liste, soit individuelles. Solitaire, Fernand Pouillon a lancé sa candidature, pour le moins inattendue, au lendemain d’un scrutin régional qui annonçait un large renouvellement de l’équipe responsable, quelques années plus tôt, de la mise en place de la réforme issue de la loi de janvier 1977 sur l’architecture. En fait, un véritable bouleversement.
Nous avons retrouvé (voir ci-dessus et ci-dessous) le texte d’accompagnement de sa profession de foi joint à une cassette audio, adressée aux grands électeurs, c’est-à-dire à tous les conseillers régionaux de l’Ordre. L’enregistrement, très professionnel, avait été effectué sous la forme d’une interview réalisée par Jean Peyzieu, journaliste à Antenne 2. Une «première» qui n’était pas passée inaperçue dans un milieu où la cooptation, favorisée par les candidatures groupées, évitait d’aborder les questions de fond.
L’ambition de Fernand Pouillon était autre. Il écrit le 24 février 1982 :
«A mes confrères, grands électeurs du Conseil national de l’ordre.
Le scrutin du 9 mars est l’occasion de nous ressaisir. La Province s’est levée. Son action est salutaire. Au soir d’une vie toute entière consacrée à notre métier, je souhaite rassembler tous ceux qui veulent bâtir une nouvelle Règle, comme Bernard de Clairvaux a donné la sienne à l’ordre cistercien et à ses bâtisseurs. Il a dit aussi : tu désires voir, écoute, l’audition est un degré de plus vers la vision….»
Il est nécessaire de rappeler les rapports tumultueux de Fernand Pouillon avec l’ordre des architectes pour comprendre et mesurer la portée de cet ultime combat et les ressorts intimes d’une ténacité peu commune, même si cette tentative était vouée à l’échec, parce que solitaire, dans un scrutin qui favorisait le groupement par liste. Il n’empêche, on ne peut, trente-huit ans après, que saluer le panache et la longanimité d’un homme traité en paria.
Le 5 mars 1961, en effet, Fernand Pouillon et quatre de ses collaborateurs sont arrêtés et écroués, accusés de faux bilan, détournement de fonds et abus de biens sociaux. Sept mois plus tard, le 23 septembre 1961, le Conseil de l’Ordre des architectes prononce sa «radiation à vie du tableau de l’Ordre des Architectes».
La rapidité de cette décision, au mépris de toute présomption d’innocence, alors que l’arrêt définitif de la Cour d’Appel n’interviendra que le 15 janvier 1964 – et sa libération quelques jours plus tard, le 24 février – ne surprendra que ceux qui ignoraient la détestation du Conseil Supérieur de l’Ordre des Architectes, à l’égard de Fernand Pouillon.
Il est vrai que ce dernier, adhérant au Parti Communiste dans la clandestinité au début des années 1940 (jusqu’en 1946), s’était créé de soldes inimitiés dans un cénacle qui avait rechigné, quinze ans plus tôt, à mettre en œuvre l’ordonnance n° 45-2091 relative à l’épuration de l’ordre des architectes du 13 septembre 1945. Il faudra revenir dans cette chronique sur ces années noires et sur l’action du Front National des Architectes (F.N.A.), créé en 1942 autour de Pierre Villon (pseudonyme de Roger Salomon Ginsburger), le plus connu des architectes résistants, l’un des auteurs du programme du Conseil National de la Résistance, proche de Jacques Duclos.
Amnistié le 11 mai 1971 sur décision de Georges Pompidou, Fernand Pouillon ne sera réintégré au tableau de l’ordre des architectes d’Île-de-France qu’en 1978. Il avait fallu sept mois pour le radier ; sept ans seront nécessaires pour le réintégrer ! Entre-temps, il est vrai, les caciques du Conseil Supérieur de l’Ordre, créé par la loi de 1940, et supprimé par celle du 3 janvier 1977 sur l’architecture, avaient tous été écartés, laissant place à une organisation plus démocratique de la profession d’architecte.
C’est à l’évidence ce qui avait poussé Fernand Pouillon, dès 1980, à se porter candidat au renouvellement partiel du Conseil régional de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, où il fut élu, mais sans disposer d’une majorité qui l’aurait porté à la présidence.
Il récidivera au printemps 1986, à la tête d’une liste de jeunes architectes qu’il avait nommée «Pour le paysage architectural de la France».* Sa mort, le 24 juillet 1986, interrompra ce qui apparaît, avec le recul, comme son ultime combat.
Syrus
*Mise à jour le 6/02/20