L’hôpital créateur de valeur économique et principal moteur urbain ? Des zones commerciales face à la programmation de futurs centres de Santé ? Contribution de Jean-Philippe Pargade et Bruno Vayssière.
Les ministres du Commerce et de la Cohésion des Territoires (dans cet ordre) ont lancé fin septembre 2023 une gigantesque initiative pour le futur de notre pays. Ce programme ne dénombre rien de moins que plus de 1 800 zones d’activités et commerciales, parfois même plus vastes que les villes adjacentes, susceptibles de renouveler notre société de demain.
Ne soyons pas naïfs. Certes, toutes les crises accumulées ne vont pas y être résolues comme par magie, les périphéries, les petits centres anciens, le rural profond, tous plus ou moins paupérisés, ne vont pas être regonflés à bloc par de nouvelles connexions et projets salvateurs. Quels projets d’ailleurs ? Pour l’instant, il n’y a pas d’affichage précis issu de cette initiative de l’Etat.
Il nous semble en tout état de cause nécessaire d’ajouter un « associé » crucial capable de réellement dynamiser ces zones et de représenter une véritable interface de pointe entre les entreprises privées (commerces et surtout PME innovantes) et les politiques publiques territoriales soucieuses d’un bien commun de plus en plus diffus : nous proposons notamment un partenariat indispensable avec des acteurs du domaine de la santé.
En effet, implanter dans ces zones les futurs centres de soins pourrait permettre de réellement dynamiser celles-ci. Ils seront les petites (et grandes) locomotives d’activités-attractivités.
Premiers employeurs et acteurs économiques de l’immense majorité de nos territoires, parfaites interfaces entre les secteurs publics et privés, les hôpitaux, et eux seuls, pourraient transformer ces zones en autre chose qu’une simple accumulation « moche » de boîtes métalliques supports de logos commerciaux. Ce n’est pas l’ajout de logements au-dessus, autres boîtes, et de quelques formules de ‘Green Washing’ pour transformer le noir bitume des parkings gigantesques en vert édénique, qui suffiront pour y produire le nouvel espace urbain rêvé pour des lendemains ré-enchanteurs.
Actuellement, près de 80% des transactions commerciales des ménages sont issues de visites dans ces zones d’activités, même si elles sont de plus en plus suivies de commandes via internet. Leur attractivité actuelle en fait, c’est vrai, les pivots d’une heureuse articulation entre les centres historiques et toutes les périphéries confondues.
L’hôpital peut répondre présent si l’on veut y greffer un objet sociétal puissant, emblématique par son humanité unanime, porteur de ramifications avec le maximum de partenaires publics et privés, capable plus qu’à son tour d’engendrer des starts up innovantes. Lui seul peut servir d’acteur réseau central entre les objectivations scientifiques nécessaires (des laboratoires d’analyses par exemple, entre corps humains et environnements divers), seule interface entre les sciences dures (des big datas à l’agronomie de demain par exemple) et les sciences humaines
La dynamique de la création de nouveaux espaces urbains est issue du croisement de multiples regards, intérêts, emprises (mentales et réelles), par-delà les demandes de sécurisations des corps, c’est-à-dire une synergie entre des entités a priori différentes. Par exemple ici, nous proposons de favoriser des dialogues avec les secteurs soins et santé, animations sportives et culturelles, ou bien avec des PME.
Seuls les centres de soins et les recherches attachées font « droit de cité » à tous les sens nobles du mot. Eux seuls peuvent inverser les images négatives complexes des 1 800 zones commerciales et d’activités concernées. Eux seuls peuvent drainer les coopérations privées novatrices (Fondations et tiers secteurs associatifs confondus) sans arrière-pensées clivantes. Eux seuls produiront cette nouvelle acculturation indispensable entre l’amour du progrès et de l’humanité quelle qu’elle soit.
Ce nouveau dispositif entre forces sociales, scientifiques et marchandes, innervé par de multiples ramifications à effet multiplicateur, porteur de souplesse et d’adaptations au gré des bonds techniques annoncés, deviendrait le grand rassembleur de demain capable de ne pas laisser Ikea devenir l’unique cathédrale des temps futurs. Petit plus colossal, la totalité des personnels soignants et corrélés, enfin plus que valorisée, deviendrait fer de lance de ces renouveaux urbains.
L’enjeu est de taille, non seulement quantitativement (1 800 !) mais encore qualitativement : toutes les programmations mixtes acculturantes seront les bienvenues, des maisons de santé croisées avec différents partenaires chercheurs et culturels, des « diamants de haute technologie » formant noyau dur aux ramifications plus ou moins incarnées (telles des logements mixtes entre troisième âge et jeunes couples avec enfants …).
Sur ces mêmes espaces, autour du climat et de la santé, c’est aussi parier sur une réindustrialisation de la Franc : usines textiles vertueuses, de recyclage du plastique, de ciment décarboné, de biotechnologies, lasers ou encore hydrogène : 76 nouvelles usines ou extensions ont selon BPIFrance vu le jour en France en 2022.
Depuis plus d’un siècle, l’Occident a cherché des modes de fabriques urbaines compatibles avec ses « surchauffes » industrielles, démographiques, circulatoires et financières avec des services de toutes sortes, plus ou moins socialement conflictuels et inégalitaires, entre luxe fantasmé, indispensable selon certains pour tirer les masses vers le haut, et militantisme diversement heureux (tuer l’auto par le vélo n’amuse que les bobos urbains centraux). C’est oublier la première arme urbaine, avant le grand capitalisme producteur : seul le progrès sanitaire a permis l’émergence de nos villes dites autrefois heureuses.
Nous osons affirmer ici que les différentes formes de valeurs ajoutées engendrées autour du soin seront les principaux vecteurs d’entraînement des villes moyennes et petites de demain, grâce à ces zones de transaction toujours plus innovantes. L’intervention aussi massive que subtilement échafaudée au cas par cas du ministère de la Santé dans ces zones pourrait être moteur de cette transformation.
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
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