Selon Jean-Philippe Pargade et Bruno Vayssière,* l’hôpital de demain avec ses chaînons de partenaires du « care » et de la high-tech pourrait devenir un acteur majeur « vital » de la transformation et de l’attractivité des quartiers périphériques de commerces et d’activités.
Dans sa thèse, sur la fabuleuse dynamique de la fabrique urbaine milanaise au XVIe siècle, juste rééditée en poche, Patrick Boucheron associe les Sforza puis les Visconti à trois équipements emblématiques clés de cette colossale refondation : l’hôpital y apparait au même rang que la cathédrale ou le château.
Dans la ville future, devenue de plus en plus celle des périphéries (même Paris est ceinturé par une banlieue cinq fois plus peuplée), les grands « Malls » ont dorénavant pris la place symbolique des châteaux et des cathédrales. Enjeux de reconversions économiques et fonctionnelles, à leur tour en début de crise après celles des centres qu’ils ont souvent contribué soit à paupériser soit à « muséeifier / améliepoulainiser », ils commencent à faire l’objet d’intenses réflexions d’acteurs publics et privés, tous niveaux confondus.
Foncier disponible, souvent géré par un secteur mixte plus souple, malléable, évolutif, avec de grandes libertés de formes ; logements sur des « hyper » ; mise en synergie jour / nuit d’immenses parkings modulables à la demande d’autant plus facilement que leur statut échappe aux rigueurs d’administrations ; nouvelles aménités, notamment culturelles et sportives ; verdissements de haut vol pour échapper aux îlots de chaleur des cœurs de villes minéralisés …
Bien. Rien à redire. Sauf l’absence d’un vrai moteur capable de faire ville à nouveau. D’où notre plaidoyer pour y penser demain, aussi, des hôpitaux ouverts et accueillants, contrairement aux monolithes de la génération précédente situés de plus en plus loin des villes, issus des grands équipements étatiques, ex-châteaux et cathédrales des Trente Glorieuses.
Imaginons la transformation de ces lieux avec un nouveau regard bienveillant. Un hôpital construit autour d’un cœur suréquipé, à haute valeur ajoutée pour nombre de sous-traitants et start-up, cœur relié à des satellites plus ou moins proches, voire autonomes, tels ceux des maladies chroniques, ceux de la rééducation, etc.
En guise de quoi, nous appelons dès à présent à une nouvelle convergence de la politique de l’Etat sur la revalorisation de ces quartiers périphériques via l’opportunité pour les hôpitaux de trouver un lieu d’implantation qui corresponde à leurs futures exigences propres (énoncées ci-dessous).
Ils doivent devenir également un outil majeur de cette transformation car, à y regarder de plus près, l’hôpital d’aujourd’hui est imprégné de cette culture de la périphérie. A l’intérieur des villes, il est mal à l’aise, trop contraint. Inversement, dans les champs, il souffre d’isolement, ce qui lui enlève beaucoup de son attractivité. Notre éco-hôpital ouvert et diffus transformera le noir des périphéries sans âme en vert en y instillant le cœur des villes de demain.
1) Géographie optimale : Les 1 800 zones recensées cernent et concernent toutes nos agglomérations jusqu’aux plus petites villes demeurées les plus à l’écart. Cette « ville émergente » (PUCA dès l’an 2000) au devenir fondamental pour ressouder centres et lotissements ad nauseam demeure la principale zone d’attractivité aujourd’hui donc le vrai gisement futur.
2) Carrefour de toutes les Mobilités anciennes et à venir : à la fois première cible des transports publics (tous les grands opérateurs commerciaux aiment avouer qu’ils en redessinent les réseaux), cœur des services aux automobilistes, proches des centres, avec des nappes de parking prêtes à partager de nouvelles fonctionnalités …
3) Reconversions énergétiques : du noir au vert bien sûr, puisque « Zwischen Stadt » idéale, ville de l’entre-deux entre nature naturante et concentration maximale d’aménités urbaines avec toutes les efficiences énergétiques possibles, fruits de nouvelles synergies.
4) Gisements de la plupart des nouvelles économies, à la fois supports et terminaux des virtuels croissants, mises en scène des imaginations les plus innovantes, lieux de tous les possibles entre les secteurs privés et publics au travers de nouveaux arbitrages mixtes.
5) « Sérendipité » : les innovations et expériences scientifiques hors norme ont besoin de rencontres et tensions inopinées. C’est dans ces zones riches de multi-séquences enchevêtrées que tout se passera. L’absence de carcans culturels, de formes ossifiées par les administrations, de frilosités sur les mètres carrés … tout concourt à renforcer l’effet ruche propice aux innovations sans références obsolètes pièges. Le brassage social le plus absolu y est de mise, et seulement là (boîtes de nuit LGBTQ, Hip-Hop …).
6) Seuls vecteurs de croissance greffés sur du déjà-là instillé dans tous les acteurs locaux, avec un très important foncier disponible (certes à renégocier parfois patiemment !).
7) Flexibilités et fluidités maximales à l’heure où les incertitudes programmatiques nous interdisent de figer nos bâtis par des programmes rigides. Bien malin qui peut prédire exactement l’enseignement (toutes les chambres de commerce y ont implanté leurs formations), les soins (Doctolib, première entreprise de France selon Forbes), les chalandises loisirs (entre rêves et raves), les collisions collusions de demain entre local et global.
Bref, ce seront les sources de ce « glocal » pour le maximum appelé à redonner espoir.
Jean-Philippe Pargade, architecte fondateur de Pargade Architectes
Bruno Vayssière, professeur d’architecture et d’urbanisme
Paris le 12 octobre 2023