Le concours Imagine Angers, dont les lauréats furent annoncés en mars 2018 à l’occasion du MIPIM, préfigure les concours de l’avenir. Ce type de compétition n’est pas sans poser questions quant au fait de savoir qui des acteurs publics et/ou privés font la ville mais son succès dans la capitale de l’Anjou offre quelques éléments de réponses en six thèmes, comme les six sites du concours.
Préambule
Christophe Béchu, le maire d’Angers, et son équipe étaient sortis conquis de l’exposition Réinventer Paris au Pavillon de l’Arsenal à Paris au début de l’année 2016.
Si Anne Hidalgo, maire de la capitale, a essuyé les plâtres avec ce premier concours, l’édile angevin en a tiré des enseignements et n’a pas commis les mêmes erreurs. Parmi elles, la rémunération des architectes par exemple : inscrite dans le marbre du cahier des charges d’Imagine Angers, elle devait figurer noir sur blanc dans l’offre des équipes. Ce qui a réglé d’emblée nombre des malentendus ayant émaillé Réinventer Paris Ier. Les agences de toutes parts se sont donc précipitées sur cette nouvelle compétition en toute bonne conscience.
Le nom : l’imagination au pouvoir
Christophe Béchu n’a rien d’un gauchiste mais il faut avouer qu’en ce 50ème anniversaire de Mai 68, Imagine Angers est une bonne trouvaille.
Autant Réinventer faisait appel à un concept peu élégant, un peu lourdingue, autant avec Imagine Angers, la ville laissait la porte ouverte à la surprise, à la rêverie, à l’imagination. De fait, l’architecte Vincent Callebaut, plus connu pour ses dessins d’anticipation que ses constructions dans le monde réel, a trouvé sa place (avec Bouygues) parmi les 25 équipes retenues. Le maire, impressionné, avoue d’ailleurs que ce concours fut pour lui un révélateur qui a largement dépassé ses attentes. Il s’est engagé à poursuivre la réflexion avec plusieurs équipes de projets non lauréats, «pour voir comment nous pouvons travailler ensemble à l’avenir».
Pour l’anecdote, il craignait tant que son concours ne fasse plouf dans la Maine qu’il avait pris langue avec les agences angevines pour s’assurer qu’elles au moins y participeraient. Il ne savait pas à ce qui l’attendait.
Bref imaginer est plus poétique et plus souple que réinventer.
Qui plus est, avec seulement six sites en compétitions, le concours offrait une lisibilité claire du projet global à l’échelle de la ville, tant pour les Angevins eux-mêmes que pour les équipes venant de l’extérieur, une dimension humaine et authentique qui fut perdue dans le gigantisme de Réinventer Paris et ses 350 projets et 74 finalistes
L’enthousiasme du public
Pour qui s’inquiète du rapport des gens normaux avec l’architecture, l’expérience d’Angers est une démonstration éclatante que les habitants d’une ville moyenne peuvent s’emparer avec passion d’un projet urbain – de projets en l’occurrence – propre à transformer l’image de leur ville et, surtout, l’image qu’ils se font de leur ville.
En effet, d’un point de vue architectural, quelles sont les références de la Cité du Roi René ? Le château, la cathédrale ? Voilà qui ne rajeunit personne. De fait, à Angers, les styles de toutes les époques depuis le Moyen Age se superposent et cohabitent en une sorte de désordre indéterminé presque de mauvais goût mais non sans charme puisqu’il permet du coup toutes les audaces.
C’est peu dire que les habitants se sont passionnés pour la compétition. En Angleterre, les bookmakers auraient fait un carton ! Les Angevins quant à eux se sont pressés par centaines au théâtre Le Quai (signé Architecture Studio) pour assister à l’annonce des lauréats retransmise par la télé locale en direct du MIPIM de Cannes dans le cadre d’une émission spéciale de près d’une heure. Ils avaient déjà visité par centaines l’exposition des projets finalistes, voté par milliers pour leur projet préféré dans la presse locale, laquelle, impressionnée par les grand noms en compétition, n’avait jamais autant dédié d’articles et de reportages à l’architecture. Avec Imagine Angers, l’architecture est devenue en ville une discussion de comptoir. Ce n’est pas la moindre de ses réussites.
Enfin, la mairie a eu l’idée d’inviter sur deux samedis consécutifs les agences lauréates pour qu’elles puissent présenter leur projet au public, au théâtre le Quai à nouveau. Elles avaient chacune une heure, ce qui laisse largement le temps de la pédagogie. Elles ont toutes fait salle comble !
Même la presse nationale a fini par s’apercevoir qu’il se passait quelque chose à Angers, même si parfois seulement pour ricaner. Bref le maire peut être content. Il lui reste deux ans avant les prochaines élections municipales.
Post green washing
Autre preuve que les Français ne sont pas que des veaux, les Angevins annoncent l’arrivée, enfin, du ‘post green washing’. Certes, à première vue, nombre de perspectives des projets finalistes, y compris parmi les lauréats, semblent abuser de la verdure qui dégouline et des arbres sur les toits. Il faut se méfier cependant des illusions d’optique.
D’abord, il faut se souvenir qu’Angers est une ville culturellement liée au végétal – quelle autre ville au monde possède un parc d’attractions sans manège intitulé Terra Botanica ? Les meilleurs écoles et laboratoires liés au’ végétal’ y sont installés de longue date. Angers, malgré un centre très minéral, est par ailleurs une ville verte au sens propre dont les élus participaient à la première conférence de la Terre à Rio en 1992. Dans ce contexte, il était naturel que les projets fassent référence à l’une des clefs économique et culturelle de la ville et à ses filières d’excellence. Le vert donc.
Il était aussi naturel pour ce jury particulièrement qualifié en ce domaine de demander aux équipes de justifier leurs choix. Ainsi pour son projet Arborescence, Pauline Gaudry (WY-TO) a expliqué lors des oraux que la végétation de son immeuble est celle de jardinières dont l’entretien est du ressort du gestionnaire (il s’agit d’une résidence intergénérationnelle) et non pas de résidents, «qui n’ont dès lors pas besoin d’avoir la ‘main verte’».
«Les gens ne sont pas dupes. Ils se méfient du ‘green washing’ désormais et ils ont raison», dit-elle. Elle peut en parler puisque son agence à Singapour a développé des projets d’immeubles végétaux mais «dans un climat tropical qui n’a rien à voir avec le climat en France». La précision est utile.
Ce projet, conçu en association avec l’agence angevine Crespy-Aumont, la plus vieille agence de France – en exercice sans discontinuer depuis sa fondation en 1830 ! – illustre bien d’ailleurs cet aspect ‘post green washing’. Comme son nom l’indique, Arborescence, il fait bien sûr référence au végétal, non par ses toits plantés mais par sa forme qui invoque la figure stylisée d’un arbre. Or c’est ce projet qui a emporté le vote des Angevins, lesquels préfèrent manifestement une évocation poétique à un immeuble qui poussera de façon incertaine. Le cœur d’îlot d’Arborescence est quant à lui planté en pleine terre et s’inscrit dans le corridor écologique de la ville. Nuance.
Un concours global
S’il y a parmi les lauréats les habituels programmes dans l’air du temps – serres, agriculture et ferme urbaines (encore que là, à nouveau, Angers est un cas à part car les maraîchers et horticulteurs sont à deux pas du centre-ville), la terre crue, etc. – les Angevins ont surtout soutenu les gestes forts et les paris sur l’avenir.
Lesquels sont également issus de cette nouvelle forme de concours inventée par Anne Hidalgo et «acclimatée» par Christophe Béchu. Ce dernier l’expliquait sans ambages lors de l’annonce des lauréats à Cannes : «Il ne s’agit pas seulement d’un concours d’architecture mais d’un concours global, une alchimie prenant en compte tous les éléments – l’architecture, l’investissement, l’emploi, le végétal, le programme, etc. – qu’il convenait pour le jury d’apprécier».
Il est clair que ce type de concours de charges foncières qui va si bien aux villes, et d’évidence même aux villes moyennes, est amené à se développer ; Angers pour sa part attend d’Imagine Angers au moins 150 M€ d’investissements par des «porteurs privés». Il convient donc de constater l’évolution du rôle de l’architecte qui, avec son équipe, n’a plus pour seule fonction de répondre à un programme mais de le proposer, de l’imaginer, voire de l’inventer comme dirait Anne Hidalgo. Ce n’est plus tout à fait le même métier.
De nouveaux programmes ?
Christophe Béchu en convient : «nous avons reçu des programmes que nous-mêmes, dans des circonstances ordinaires, n’aurions jamais imaginés». Il faisait référence ici sans doute au musée des collectionneurs.
Il faut dire que ce projet lauréat est étonnant. S’ils furent quelques-uns à se gausser de sa forme – des molaires selon ceux qui regardent le doigt – c’est pourtant le meilleur projet jamais proposé sur cette parcelle, inoccupée depuis des décennies et dont personne ne semblait devoir jamais trouver un quelconque usage utile sinon de parking, tant il résonne à la bonne échelle avec les tours du château, juste de l’autre côté de la rivière.
Pour Angers, cette proposition des architectes Steven Holl et Franklin Azzi, avec La Compagnie de Phalsbourg, tient du miracle. En plus un musée des collectionneurs, un «concept unique», selon ses promoteurs ! «Nous avons été sidérés», raconte Christophe Béchu.
Il faut également compter dans ce projet l’hôtel adjacent dont le dessin est inspiré de la célèbre tenture de l’Apocalypse de Jean, réalisée à la fin du XIVᵉ siècle sur commande du duc Louis Iᵉʳ d’Anjou, l’un des trésors de la ville.
Cette nouvelle interprétation du château, ce bâtiment qui ne ressemble à aucun autre, incarne donc justement l’ambition d’Angers d’offrir une nouvelle image contemporaine. Avec les risques que cela comporte.
Question d’échelle
A noter en premier lieu que nombre de participants à la compétition ont rendu grâce à la qualité des équipes de la ville. «Les oraux étaient hyper qualitatifs, les membres du jury connaissaient leur sujet, c’était le top du top de la qualité. En tant qu’architecte, en travaillant avec des gens comme ça, j’aime mon métier», raconte Pauline Gaudry toute à la joie de sa victoire. N’empêche, de tels cris du cœur sont rares.
A noter encore que dans ce cadre – l’architecture + le programme – ce sont justement les questions d’échelles qui semblent avoir été les plus difficiles à appréhender pour les agences venues de l’extérieur. Les projets de Marc Mimram ou de X-TU par exemple étaient pleins de qualités formelles mais hors de l’échelle de la ville, du quartier, de la parcelle. Les deux agences nantaises lauréates, Tetrarc et Bauchet & de La Bouvrie, ainsi que les deux agences angevines, Agence Rolland & Associés et Crespy-Aumont, étaient sans doute plus à leur aise dans ce domaine.
Il demeure que c’est sans doute l’une des limites de ces concours. Certes, sachant que la ville de toute façon ne sélectionnera pas un programme dont elle n’a pas besoin, ce modèle de compétition procure une réflexion collective plus ouverte et souvent enrichissante. Imagine Angers en témoigne.
Mais est-ce le rôle des architectes, au sein d’équipes dont les acteurs sont privés, de faire des propositions pour des projets qui sont autant de sujets de société et ont des répercussions publiques bien au-delà de leur seul bâtiment ? N’est-ce pas in fine pour les élus une façon de se dédouaner de leur rôle de décideur ? Cela dit, l’immeuble en terre crue de Bauchet & de La Bouvrie, c’est la ville qui l’a choisi. C’est au moins une prise de position.
Les occasions de débattre de ce sujet ne manqueront pas puisque, à l’instar de son homologue Christophe Béchu, le 14 mars dernier, dans le cadre du MIPIM, Anne Hidalgo était à Cannes elle aussi, pour présenter Reinventing cities. Ce concours d’architecture international est monté sur le modèle de Réinventer Paris par le C40, le ‘Cities Climate Leadership Group’ en anglais dans le texte, c’est-à-dire le plus grand réseau d’agglomérations mondial.
Imagine all the people… Dans cinq ans, comme ici là-bas…
Christophe Leray