Iwona Buczkowska est arrivée en France en 1973, et n’est jamais repartie en Pologne. Son atelier à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) est logé au rez-de-chaussée et au coin des rues qui accueille un ensemble de logements sociaux qu’elle a construit entre les années 80-86. La vitrine permet de voir les maquettes de son travail marquées par la ligne oblique. Rencontre.
Chroniques d’architecture – Vous êtes arrivée en France en 1973, quel est votre parcours ?
Iwona Buczkowska – Les études d’architecture s’effectuent en Pologne dans les écoles polytechniques. Je voulais faire les beaux-arts, c’est ce que je souhaitais. J’avais lu plus jeune l’ouvrage Art Treasure of the world qui m’avait été offert par des amis de mon grand-père. Je suis tombée en admiration devant la chapelle Matisse, la Chapelle de Ronchamp et la maison de la cascade de Wright. Je suis entrée à l’école polytechnique en Pologne, en partie pour faire plaisir à mes parents, qui ne voulaient pas que je fasse les Beaux-arts, étant persuadée que je les ferai après.
En Pologne, à cette époque, le travail des architectes consacré à l’habitat était très limité – il s’agissait de construire des barres et des tours en panneaux préfabriqués, provenant, en grande partie de l’URSS. Nous sortions avec titre d’ingénieur, nous pouvions travailler dans les ateliers d’architecture d’Etat, les bureaux d’études d’Etat.
L’Etat polonais organisait un concours pour terminer nos études en France à l’Ecole Supérieure d’Architecture. J’ai été sélectionnée avec trois autres étudiantes pour faire deux ans à l’Ecole. Ce que ne savait pas l’Etat polonais est que l’ESA est une école privée, ce qui a failli nous faire renvoyer chez nous. Mais grâce à l’intervention du directeur de l’école à l’époque, Anatole Kopp, nous avons pu obtenir des bourses et rester à Paris.
Dans cette époque post-68, nous étions dans un univers intellectuel très stimulant, très ouvert, et où il y avait une pensée philosophique de l’architecture. Je débarquais dans un pays où j’avais une très grande liberté, mais je ne savais pas quoi en faire – je faisais donc des concours pour les étudiants lancés par l’Ordre des Architectes que je présentais ensuite comme des projets d’atelier. J’ai intégré l’atelier de Renée Gailhoustet pendant un an, elle poussait ses étudiants vers la création, cela a été formateur.
Quand, à mon arrivée en France, j’ai découvert l’architecture de Jean Renaudie, je ne savais pas dire si c’était moche ou pas, par contre, j’y voyais une grande liberté. Durant les vingt ans qui ont suivi 68, les débats en architecture étaient très intenses et ont permis des propositions audacieuses. Aujourd’hui, j’ai l’impression que le débat d’idées n’existe plus. Il est question de thermique de bâtiments, de normes d’accessibilité, de réglementation, mais plus de l’espace, pourtant une notion clé pour l’architecture. Pour l’habitat social, on respecte le programme, le parallélisme au sein du logement, les contraintes sont tellement importantes que l’architecte s’use plutôt que de réfléchir ou de proposer des architectures qui naissent de ces contraintes.
Vous avez obtenu votre première commande, la Cité Pierre Sémard, dès votre diplôme en poche ?
Renée Gailhoustet avait invité à mon jury Jean-Pierre Lefebvre de la SODEDAT, son maître d’ouvrage, qui m’a donné l’opportunité de travailler avec lui sur les études de faisabilité d’un groupement d’une vingtaine de logements et, ensuite, sur un projet de 245 logements sur une parcelle de six hectares au Blanc-Mesnil *(Seine-Saint-Denis), ce qui est aujourd’hui la Cité Pierre Sémard.
A l’époque les maîtres d’ouvrage nous permettaient une grande liberté et avaient confiance en nous. C’est la même chose à Ivry (Val-de-Marne). Quand en 1980, Ivry lance un concours sur invitation pour réaliser des logements, c’est la directrice de l’OPAH, Mme Laluque qui me propose de concourir tout en me disant que je ne gagnerai pas. Je participe grâce à quelques maquettes du Blanc-Mesnil, et finalement, j’ai gagné.
Pourquoi avoir utilisé le bois à la Cité Pierre Sémard?
Le bois est une résultante du projet. En l’affinant, en entrant dans le détail, il n’y avait que le bois pour y parvenir. Le béton était trop massif. Et le bois rappelait les vergers présents sur le site. Cela rappelle aussi les maisons individuelles où la structure est en bois même si celle-ci est très souvent cachée. La structure en bois est la plus rentable. Sur ce projet, nous avions même emmené des élus et conseillers municipaux en car à Rotterdam visiter un tout petit projet de logement en bois. Il a fallu les convaincre de créer cette architecture en bois. Lors du vote du conseil municipal, les personnes les plus âgées assimilaient le bois aux cités refuges de l’après seconde Guerre mondiale, alors que les plus jeunes étaient favorables à l’architecture en bois. Les jeunes ont gagné le vote, et la cité a pu démarrer.
Votre architecture est également marquée par la ligne oblique ?
J’ai été très marquée par l’architecture de Renaudie et celle de Claude Parent, en plus de Frank Lloyd Wright. L’architecture de Renaudie part du sol. C’est une architecture qui ne s’enferme pas dans un parallélépipède, mais le système pyramidal est visible. Chez Claude Parent qui me fascine, la ligne oblique est très présente dans la pensée mais presque absente dans ses réalisations.
Je voulais me libérer de cela. La ligne oblique me permet de travailler l’espace, de sortir du cadre. Penser l’espace à partir de l’oblique permet des possibilités infinies dans les directions. L’oblique donne une plus grande liberté, de plus grandes ouvertures, une montée du projet. C’est aussi une transition graduelle de l’horizontal au vertical qui permet l’insertion dans le tissu urbain, dans la contrainte urbaine. De cette contrainte naît l’espace. Et par la maquette, que je travaille, je peux contrôler l’espace, le voir et l’appréhender. Et l’arc, dont le système structurel est dans plusieurs de mes projets dont le Collège de Bobigny (Seine-Saint-Denis), grâce à sa courbe, rend la transition entre le vertical et l’horizontal plus souple encore, et constitue, grâce à la richesse d’éclairage possible, l’aboutissement de ces recherches.
Sur le projet de Saint-Dizier (Haute-Marne), les toits rouges, le long de l’avenue Pasteur, la ligne oblique permet de construire l’espace entre l’immeuble élevé et courbe des années ‘60 qui débute l’avenue et qui se termine par des maisons. Entre les deux, la ligne oblique des logements s’adapte au paysage urbain et aux contraintes. L’oblique permet de travailler la lumière également. A Saint-Dizier, le temps n’est pas toujours ensoleillé, alors les terrasses sont partiellement couvertes. L’oblique permet d’aller chercher la lumière.
J’ai arrêté les logements en 98 quand les idées de 68 sont parties à la retraite avec les acteurs de cette période.
Votre dernier projet l’Atelier Max Gold est un projet né de la contrainte ?
C’est un projet particulier. Au décès de son mari qui était potier, Hélène Gold souhaite déplacer son atelier intact dans un parc de deux hectares mais que personne ne puisse rentrer dedans. La contemplation de l’intérieur ne doit s’effectuer que de l’extérieur or l’atelier d’origine est exempt de tout éclairage à hauteur d’homme. Ce projet est anti-architectural. L’idée est donc de construire un écrin de 6,40 sur 6,40 mètres autour de l’atelier qui rend visible l’intérieur mais sans pouvoir y pénétrer, tout en offrant un parcours de visite et de la lumière pour voir ce qui s’y passe. L’atelier de Max Gold était en outre un espace d’exposition d’objets agricoles divers, fixés en partie sur les murs. Tout devait restait intact, et cette contrainte était des plus stimulante.
Si apparemment beaucoup d’architectes ont renoncé devant celle-ci, j’ai été ravie de mener à bien ce projet. C’est un petit bâtiment. Il a fallu creuser pour poser l’atelier, le desservir par une longue rampe, projeter au-dessus des murs d’exposition des baies vitrées et habiller le pourtour de gradins dressés contre les façades, pour visiter, grâce aux vues plongeantes, son intérieur de l’extérieur.
L’atelier est paré de pierres sèches posées sans jointure et de tuiles vernissées en mémoire du potier. La lumière zénithale, avec trois lanterneaux obliques de forme cylindrique, permet d’éclairer l’atelier tout au long de la journée. C’est un petit projet, mais un beau projet.
Propos recueillis par Julie Arnault
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