Athènes 2012 est d’une infinie tristesse. Si bientôt la Grèce est livrée aux pillards, aux cartels et aux gangs comme au Mexique ou à L.A, c’est qu’il aurait peut-être mieux valu la peste. «Ne pouvons-nous vivre ensemble ?» se demandait feu Rodney King.
La planète est dangereuse. Ce ne devrait être une surprise pour personne. Quand Athènes a vu débarquer sur ses plages le Perse Darius et ses 40.000 guerriers, les Athéniens, déjà, n’en menaient pas large. Et Darius n’avait pas l’arme nucléaire.
Voyons par exemple une île du Dodécanèse.
Des milliers d’années plus tard, au début des années 80’, Astypalea compte 700 habitants en hiver, quelques milliers de touristes en été. Un détachement indolent de militaires sommeille sur cette île frontalière de la Turquie. Le meilleur hôtel ? Le ‘Paradisio’, souvenir de l’occupation italienne, compte quelques chambres avec vue sur le petit port de l’unique village et ses trois kilomètres de route pavée.
En ferry, à 16 heures d’Athènes, Astypalea est la dernière station avant le terminus. En été, l’île compte deux liaisons par semaine, une seule en hiver.
Contre toute attente, dans les années 80’, Astypalea se voit dotée – merci l’Europe – d’une usine productrice d’électricité. Pour les habitants de l’île, il s’agit d’un progrès incommensurable, d’autant plus qu’un architecte sensible a su cacher un bâtiment sobre et efficient dans une crique inusitée.
Voilà que cette énergie bienvenue permit bientôt la conception d’un aéroport, construit selon ses promoteurs dans un but sanitaire et militaire, bientôt utilisé par la bourgeoisie athénienne heureuse de s’offrir à peu de frais une maison typique au bord de l’eau.
De fait, dans les tavernes, on y cassait encore la vaisselle. Trop tendance. Et tous les printemps, figurez-vous, les abricots des vergers de Livadi, une vallée à quelques kilomètres du village, étaient en telle abondance et si goûteux que chacun au village s’en régalait durant quelques jours sans bourse délier.
Un ingénieur a pavé la route, un architecte a dessiné l’aérogare d’Astypalea.
Sont apparues les agences immobilières, quelques-unes étrangères. Les habitants furent heureux de l’aubaine. Quoi, tant d’argent pour la maison de mère-grand et sa citerne ! Byzance !
Ces marins se sont offert un nouveau bateau, un ravalement et, pour marier leurs filles, ont offert une voiture aux gendres.
Le re-design des voûtes de béton blanchies à la chaux, si fraîches en été et si confortables en hiver, fut confié à ces architectes, venus d’Athènes et d’ailleurs. Il y eut même des galeries d’art.
Les deux tavernes de la place elles-mêmes furent rachetées. Elles offraient désormais des cocktails de fruits et il était interdit d’y briser les assiettes et nul n’y jouait plus au Tavlis. Tout juste s’il ne fallait pas anesthésier les poulpes avant de les battre et les faire cuire.
Dans les magazines, les hommes de l’art expliquaient moult concepts à des îliens abasourdis qui, pour la plupart, ne pouvaient désormais plus vivre au village les pieds dans l’eau tandis que les vergers de Livadi, rongés par la spéculation mondialisée, avaient disparu, comme les poulpes.
Soudain, la crise d’outre-mer.
Parce qu’à Athènes la bourse ne va pas fort, le jet privé se fait rare et voilà l’aéroport d’Astypalea grand ouvert au Meltelme et à tous les vents d’Eole et prenant la poussière.
Les militaires ne sont plus là et les agences immobilières sont à vendre.
Sauf engouement surprise du Qatar, Astypalea affichera cet hiver une population de mille et quelques habitants qui compteront mieux sur le ferry que sur l’hélicoptère.
Ceux-là ont un outil de travail neuf, peu ou prou, le ravalement a été fait récemment et il y a de nouveau tout ce qu’il faut comme logement libre, les pieds dans l’eau, pour grand-mère.
Aussi loin qu’ils sont concernés, pour les Grecs astypaliotes, la crise est passée.
Ailleurs, en attendant l’apocalypse, quelles aérogares pour quels architectes ?
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 20 mai 2012