
Pour l’immeuble ‘Flat Copper’ situé quai de la Charente à Paris XIXe, le dernier programme de logements de la ZAC Claude Bernard, la fiche de lot indiquait 6 534m² de surface de plancher, ce qui était beaucoup par rapport à la taille de la parcelle. Pourtant, au printemps 2016, l’agence Badia-Berger a livré à cet endroit 86 logements – 2/3 en loyers maîtrisés, I/3 en loyers libres – d’une grande variété. Vous avez dit densité ?
«L’intérêt de ce que l’on vit aujourd’hui est la confrontation à la complexité ; c’est la question la plus stimulante à gérer aujourd’hui, et pas seulement pour l’architecture», déclarait Marie-Hélène Badia il y a dix ans. L’assertion n’en est que plus aiguë aujourd’hui sans doute. Alors, quand les contraintes manquent de générosité, il faut inventer.

En l’occurrence, «pour trouver la solution de ce projet, nous avons conçu un bâtiment très épais, de 15,5 m», explique Marie-Hélène Badia. Une solution qui a priori n’allait pas de soi puisque, dans cette épaisseur, il est difficile de faire des appartements traversants. Pourtant, en réduisant les circulations, en travaillant le plan et la rentabilité, les architectes sont parvenus à faire tenir ce programme dense sans injurier ni l’architecture ni la qualité de vie des habitants.
Toute la réussite de l’ouvrage réside dans la faille qui fragmente l’ouvrage en deux parties, articulant ainsi ensembles les échelles disparates du contexte urbain, celle intime du quai sur le canal St Denis et celle, intimidante, du large boulevard McDonald à Paris XIXe, celle encore du grand paysage au nord et celle enfin de la vue sur Paris et le canal au sud.

La faille n’avait rien d’une évidence non plus. En témoignent les trois autres projets soumis au concours qui ne l’avaient pas envisagée et ne proposaient que des immeubles ‘pleins’. De fait, l’un des enjeux du projet était d’éclairer le boulevard – «le quartier était à l’époque un endroit glauque, à la Céline», dixit Didier Berger. «Mais le soleil était de l’autre côté et l’adresse sur le canal : comment habiter là sans le soleil et sans voir le canal ?». Bonne question.
Badia-Berger a donc retourné la proposition : toutes les chambres donnent sur le boulevard au nord tandis que les lieux de vie sont, en vertu de la faille, ouverts sur le sud-ouest, vers le soleil et la présence de l’eau. De fait lors de la visite de presse lors d’une belle matinée d’avril, le soleil en tournant se glisse dans cette faille et illumine tour à tour les appartements, jusqu’aux cuisines parfois en second jour, les balcons et le jardin intérieur, jusqu’au fond de la cour – et c’est tant mieux car il y a là une crèche – tandis que l’ombre portée de cet immeuble qui monte assez haut donne sur le large boulevard et ne gêne personne.

Cette double orientation offre un effet de contraste symbolique du lieu à la croisée de réseaux multiples (boulevard Mac Donald, canal Saint-Denis, boulevard périphérique, faisceau ferré de la gare de l’Est), l’angle arrondi de la façade faisant le lien entre les deux expressions de l’immeuble et du contexte. «Les baies arrondies sont comme les éléments d’une charnière qui assure le basculement entre les deux écritures», précise Marie-Héléne Badia. La répétitivité des nombreux 3-pièces superposés a ensuite notamment permis au bâti d’encaisser l’économie du projet.
La faille elle-même offre un parcours intermédiaire à travers le jardin entre la rue et chez soi, parcours intime puisqu’il n’y a que deux appartements par palier. Cette façade intérieure de métal et béton retrouve une épaisseur supplémentaire grâce aux jardinières installées à même les balcons d’où des plantes grimpantes et retombantes – Clematis, Lonicera, Aristolochia etc. – sont destinées à coloniser des structures métalliques selon un procédé déjà utilisé par Badia-Berger lors d’une opération à Issy-les-Moulineaux. Là, déjà, failles et parcours d’accès faisaient partie de la réussite du programme.

Didier Berger rappelle d’ailleurs la nécessité d’aérer la cour, ne serait-ce que pour éviter les coins sombres et moussus, une volonté déjà manifeste lors d’une première opération rue d’Alésia à Paris. La solution architecturale est donc autant issue du contexte particulier de ce projet que de l’expérience des architectes.
Restait encore à éclairer la façade nord. C’est le rôle de la carapace de cuivre, laquelle réfléchit au loin la lumière et miroite dans les eaux du canal. «Le dessin d‘une fenêtre unique témoigne du confort recherché et de la volonté de s’ouvrir vers les vues. La répétitivité assure économie et précision sans produire de monotonie du fait de la puissance des volumes et de la peau», écrivent les architectes.

Bref un volume d’une grande densité, avec un C.O.S de 6,06 que Didier Berger a calculé après coup, soit un ratio supérieur au COS du quartier de l’Opéra, quartier pourtant le plus dense de Paris. Dit autrement, s’il avait fallu appliquer l’ancien C.O.S., jamais les maîtres d’ouvrage – SNI et SEMAVIP – et les architectes n’auraient pu construire autant de logements à cet endroit. Ce d’autant plus que, pour installer les deux niveaux de commerces, il a fallu sacrifier un étage. L’immeuble est d’ailleurs tellement au taquet des règles de hauteur du PLU que le deuxième niveau de commerce est un peu bas, tant le programme passait juste.

Très bien mais pourquoi alors, de la part des architectes, continuer à calculer ce C.O.S. qui faisait pourtant figure d’épouvantail et est aujourd’hui obsolète ?
«Le C.O.S. est un instrument de mesure très utile», souligne Didier Berger. Il remarque que, dans le cadre du plan de masse de Christian de Portzamparc à Massy, la demande de hauteur conduit à des C.O.S. très élevés sans pour autant conduire à des bâtiments massifs. «En se rapprochant du modèle de la tour, on peut obtenir une forte densité sur une petite emprise au sol», dit-il.

Si la densité est un enjeu urbain, l’immeuble Flat Copper témoigne que l’on peut mettre beaucoup d’appartements, et donc beaucoup de gens, sur une petite parcelle sans que l’architecture et la qualité de vie des habitants n’y perdent en rien.
Christophe Leray