Le 11 septembre 2023, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires et Olivia Grégoire, ministre déléguée des Petites et moyennes entreprises, ont annoncé à la France entière le « Plan de transformation des zones commerciales ». Un plan à soixante ans ! Tout de suite les grands mots…
Ce plan s’inscrit en effet parmi les nombreux autres plans de ce président forgeron, il y en a tant d’ailleurs que les calques se perdent entre les différents ministères au fil des annonces impétueuses tandis que la maquette BIM de la politique globale menée reste introuvable.
Bref, un plan de transformation des zones commerciales.
Nonobstant le grossier calcul politique d’un chef d’État impopulaire dans les classes populaires, le concept est simple, sinon simpliste : transformer la « France moche » en la « France belle et Sébastien ». Pas de souci puisqu’un budget de 24 M€ est alloué à ce grand œuvre ! Vingt-quatre millions tout compris… dédiés aux études pour « les communes ou les EPCI confrontés à un enjeu de transformation d’une zone commerciale », ce qui ne concerne pas moins que le pays tout entier au-delà de Paris intramuros. Il est aisé de comprendre qu’ils se grattent la tête dans les ministères.
En substance, l’idée est de considérer les zones d’activités commerciales, et au fond toute la périurbanité et ces fameuses entrées de villes le long des rocades, comme des friches à développer et à « densifier ». Pour ce faire, comme le suggère le plan, il suffit d’y coller du logement et le verdissement ad hoc et vous allez voir ce que vous allez voir. La preuve, 24 M€ sur la table à se partager entre 36 000 communes ! C’est dire si le ministre et sa ministre déléguée ont gagné des arbitrages puissants ! En fait, ce n’est même pas un plan mais un « dispositif » !
Nul doute cependant que des élus bien attentionnés et à l’entregent consommé sauront multiplier les alignements d’arbres comme les subventions…
À lire et écouter le ministre, le gouvernement, dans sa grande mansuétude, part du principe que ces zones commerciales sont des territoires maudits, berceaux de gilets jaunes – et des bonnets rouges – propres à remettre en cause le bon ordonnancement de la ville tel qu’il se pratique ici avec force ronds-points : les pauvres ici, les riches là, les commerces ici, les usines là, etc. En tout cas, au prix de l’hectare agricole, si ces zones commerciales et la France moche n’étaient pas rentables, cela fait longtemps qu’elles auraient disparu.
« Le modèle économique des opérations de requalification des zones commerciales repose essentiellement sur le potentiel de densification et le développement de la mixité des usages en cas de suroffre commerciale sur la zone de chalandise concernée », explique doctement le plan du ministère de la Cohésion des territoires. Très bien, on ne va pas rajouter du commerce au commerce et de la bagnole à la bagnole. Mais, une fois cela dit, si l’idée est simplement de coller là des logements sociaux parce qu’on ne sait plus les construire ailleurs, j’ai une mauvaise nouvelle : dans moins de dix ans, les alignements d’arbres censés verdir ces territoires ressembleront aux pelouses galeuses de nos « quartiers », autant « d’espaces verts » dont les subventions ne sont jamais perdues pour tout le monde. Et pourquoi pas un toboggan et un bac à sable !
Il y a pourtant de quoi faire, d’autant que le premier avantage de ces zones commerciales si décriées est qu’elles sont déjà imperméabilisées et qu’il y a là en effet, pour qui veut verdir la planète, de quoi faire. Et puis il y a des parkings en abondance – parkings de jour pour les consommateurs, parkings de nuit pour les résidents, des « communs » qu’il est possible sans doute de désimperméabiliser – et des accès routiers aisés, voire un tramway, vers les lumières et la culture de la grande ville proche. Bienvenue en ZAN verte !
Maintenant, souvenons-nous que des villes, au moins nombre de quartiers, se développent habituellement autour du commerce. Il y a d’abord, en Amérique comme en Chine, au croisement de deux routes au milieu de nulle part une auberge, un magasin, un relais de poste. Ensuite viennent les logements parce qu’il faut bien loger tout ce monde-là et que l’hôtel n’y suffit plus. Deux cents ans plus tard, il y a un bourg et des équipements publics et, qui sait, encore deux cents ans plus tard, une petite ville construite autour d’un carrefour commercial ou d’un comptoir. Les Romains ne s’y sont pas trompés avec leurs villes nouvelles tracées au cordeau à angle droit.
Certes, deux mille ans plus tard, à partir des années ’50, c’est le commerce qui a suivi les habitants lors de la grande migration des villes à la campagne avec l’avènement de la voiture et de l’autoroute, à l’image des banlieues puis des ‘malls’ américains, tout comme là-bas ici. Mais est-ce une quelconque façon de faire la ville ? Voyez comme ces villes-là vieillissent mal. À l’inverse, voyez comment à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, le centre de gros chinois est en quelques années déjà devenu un quartier dynamique ! Les Halles étaient au centre de Paris.
Dans cette « périurbanité » si décriée par l’élite parisienne qui n’achète pas ses meubles à IKEA et ne se fait jamais une toile dans un multiplexe avant de manger une pizza avec les enfants – symbole du mépris de classe de Vulcain ex-Jupiter, ce qui est bien le moins pour un dieu unique ! – en l’occurrence, le commerce est déjà là !
Et pas que le commerce. Il y a autre chose. La facilité d’accès sans doute en est une – encore que ça, c’était avant ; après les embouteillages de la semaine, les embouteillages du week-end pour aller faire ses courses – et surtout le fait qu’à part l’hyper élite parisienne et les Bodins, toute la France s’y rend, sans y penser plus, et souvent avec plaisir. Avec la gare, c’est l’un des derniers endroits où tout le monde se croise quelle que soit la classe sociale, la race, la religion et l’âge des capitaines. Certes, les ambiances diffèrent selon la sociologie du marché d’achalandage mais le principe demeure, ces « zones » soi-disant reléguées sont des endroits courus, même si rarement à pied.
Maintenant, plutôt que de proposer un énième plan dont personne ne connaît les cotes, imaginons une vraie politique architecturale et urbaine pour ces « zones périphériques » une fois oublié le mépris de classe auquel le mot Zone renvoie systématiquement.
Voyons. Aux États-Unis, et en France plus discrètement, existent les droits d’exploitation de l’espace au-dessus des bâtiments, les droits aériens. Toutes les « zones » dont il est question dans le plan du gouvernement – plus de 1 500 ! – sont généralement de plain-pied. Autant dire que les droits aériens valent aujourd’hui des clopinettes. Et il n’y aurait qu’en France que personne ne saurait qu’en faire ? Autant de droits aériens exploitables, au prix du mètre cube qui ne vaut rien, c’est une mine d’or.
Il ne s’agit pas en l’occurrence de surélever un hangar construit avec des façades en aluminium mais de construire AU-DESSUS. Pour une fois, plutôt que la politique politicienne, il s’agit de prendre de la hauteur, littéralement. Quelques poteaux solides, peu d’emprise au sol et n’importe quel architecte saura construire au-dessus d’un magasin d’outils de jardin, sans même en affecter l’exploitation commerciale, un centre culturel, une médiathèque, un hôpital, un bureau de poste, ou de huit à 49 logements. Puisque de toute façon c’est là où les Français vont passer une partie de leur temps et de leur week-end, pourquoi ne pas densifier ces nouveaux faubourgs en s’élevant au-dessus, d’une façon plus contemporaine que l’immeuble haussmannien au-dessus de la quincaillerie. Et puis, en cas d’inondation flash, seules les grandes surfaces de bricolage et d’aliments pour animaux seraient concernées, sans victimes. Dans un tel lieu sans histoire, loin des ABF, tout est possible pour les architectes.
S’ils sont agréablement surpris par la nouvelle attractivité des lieux, avec des logements finalement bon marché au regard du prix du foncier quasiment gratuit, peut-être des Français auront-ils alors envie d’y vivre puisqu’il y aura tout sur place : du travail, des commerces de proximité, des équipements – écoles, mairies de quartier, dispensaires… – et l’autoroute pas loin pour rejoindre la famille à Bourges ou Limoges. Dit autrement, voilà de vastes espaces sans architecture, sans urbanité où justement tout est à construire d’un point de vue de l’urbanité et de l’architecture. Sans même parler de l’optimisation des réseaux à l’heure des économies d’énergie et de la « rationalisation du foncier commercial ». Transformer des lieux déshérités en Far West d’avant-garde, mettre en œuvre un nouveau paradigme urbain, il n’y a là rien que des promoteurs visionnaires et les architectes ne sauraient réaliser.
Pour autant, ce n’est même pas le manque d’audace qui fera foirer ce nouveau plan gouvernemental, et ce n’est même pas une question de budget minable et d’un manque d’imagination à pleurer mais les propres règles inextricables de l’État.
Comme le souligne Marion Delaigue, avocate associée (Latournerie Wolffrom Avocats),* si « la question de l’application du principe de réversibilité aux sols et à leurs affectations parait fondamentale afin de déterminer si la réversibilité planifiée des constructions peut s’appliquer à plus grande échelle, par exemple dans le cadre de la revalorisation de zones d’activités économiques (ZAE), comme un outil de recyclage au service de Zéro artificialisation nette (ZAN), le changement d’affectation des sols implique une modification profonde du cadre réglementaire d’urbanisme : l’obligation de fixer dans les PLU l’affectation des sols empêche la flexibilité et une réversibilité rapide de ces derniers ».
Une « modification profonde du cadre réglementaire d’urbanisme » ? Compliqué n’est-ce pas… En tout cas hors de portée du premier ministre de la Cohésion des territoires venu.
En somme, « un plan de transformation des zones commerciales », audacieux, innovant, vertigineux dans un esprit urbain au sens bienveillant du terme et la fin de la France moche, si vous demandez aux architectes, c’est possible.
De fait, ce projet à soixante ans, Vulcain ex-Jupiter l’a prévu aux calendes grecques.
Christophe Leray
*Citée dans l’ouvrage Zones en déshérence, en devenir (Canal Architecture)