L’architecte n’est pas toujours là où on l’attend. Quand le Louvre – le Louvre-Lens certes mais rien moins quand même – achète une œuvre à un(e) architecte, cela fait-il de cet(te) architecte un(e) artiste ? Il n’est pas ici question de SANAA, l’agence qui a conçu le musée, mais bien de d’une Rolling Design House, une œuvre conçue par l’agence d’architecture et de design METEK.
Le 7 octobre 2020 s’est ouvert au Louvre-Lens (Pas-de-Calais), dans Le pavillon de verre, grand espace vitré au bout de l’aile de la Galerie du temps, l’exposition Louvre-Design (jusqu’au 1er février 2021) qui célèbre le design et ses origines. Une sélection d’œuvres du Louvre (de l’Antiquité à 1850), une sélection d’objets issus de la démarche design (de 1850 à nos jours), des pièces au caractère iconique, des grands noms de l’histoire du design…
« Contrairement aux idées reçues, le design ne concerne pas que le mobilier ou la décoration mais tous les secteurs d’activités ; il répond aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux », indique la brochure. De fait, la Rolling Design House de METEK (Sarah Bitter avec Christophe Demantké) coche toutes les cases.
La dernière fois que nous avons écrit au sujet de METEK, c’était en décembre 2017, à l’occasion de la livraison d’un projet de 31 logements sociaux et sept ateliers d’artiste, rue de Crimée dans le XIXe arrondissement à Paris*. « En ces temps où les exigences financières prédominent, Sarah Bitter, cofondatrice en 2001 de l’agence Metek, continue de penser et pratiquer l’architecture comme un geste total. Photographie, danse, cinéma font partie de son acte de construire.
Nous avions plus tard brièvement évoqué la Rolling Design House lorsqu’elle fut en 2019 lauréate de la Biennale internationale de Design de Saint-Etienne. Il était question d’un objet à usages multiples alors ainsi défini par Sarah Bitter : « un cycle-vitrine qui est aussi un bureau, un pupitre, une librairie, une boutique à la fois personnelle et partageable, un signal de la Biennale Internationale Design Saint-Etienne, un comptoir/présentoir de revues, documents, ou d’objets à partager, un salon de lecture, un lieu d’accueil, un point de ralliement et de rencontre, une petite antenne de la Cité du Design hors-les-murs ». Vaste programme pour un si petit objet !
De fait, la Rolling Design House répond à des questionnements d’architecte de l’objet à l’urbain : « Quel espace dédié au design peut-on imaginer dans l’espace public ? Comment rendre mobile l’activité d’une Biennale, représenter et partager l’événement, afin qu’elle puisse rencontrer dans toute la cité, dans les rues, les musées, d’autres publics, dans un mouvement lent, une sorte de balade, qui épouserait et accompagnerait la mobilité des idées, les voyages propres à l’imaginaire du design ? »
L’origine du projet est cependant antérieure à la Biennale de Saint-Etienne. Comme souvent, c’est une suite de coïncidences qui invite à la création. Lors de la livraison des appartements rue de Crimée, Sarah Bitter avait fait appel à Célia Houdart, autrice, pour écrire à propos de son projet. Villa Crimée est alors devenue non une présentation mais une véritable œuvre littéraire composée de 212 fragments correspondant aux 212 fenêtres du projet**. Le livre connut un succès mérité.
Plus tard, Célia Houdart fut d’octobre 2017 à d’avril 2018 invitée à une résidence d’écriture au Mac Val, musée exclusivement consacré à la création artistique contemporaine situé à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). L’autrice a tenu, au terme de sa résidence, à convier des ami(e)s (musiciens, vidéaste, photographes, architecte) à présenter une œuvre inédite. Pour cette occasion Metek présente la première version de la Rolling sous forme de film d’animation dont l’usage est « d’accueillir des écrivains en résidence et promouvoir des ateliers d’écriture en ville ». Sarah Bitter avait auparavant déjà imaginé une serre à roulettes, une idée développée pour New York et intitulée la ‘Rolling Green House’. Toujours est-il que quand la compétition de Saint-Etienne fut lancée, le concept avait déjà bien évolué. Ou presque : « un kiosque qui se déplace, je n’avais pas mesuré la difficulté », souffle Sarah Bitter.
Ensuite il y eut d’autres rencontres, de la costumière du théâtre au mécano-soudeur qui a réalisé le prototype en passant par les sponsors, et une détermination têtue. Installée à la Biennale, mise en situation, la Rolling Design House, attirant la curiosité et investissant différents lieux, a parfaitement joué son rôle mobile de médiation avec le public.
C’est sans doute pour cette raison que Marie Lavandier, la directrice d Louvre-Lens s’est intéressée à cet objet de médiation culturel dont le design transparent fait peut-être écho à l’architecture même du bâtiment de SANAA. Le musée dispose d’un grand et très beau parc, ouvert au public et prisé des habitués et des riverains. Il demeure que pour des habitants du quartier plus habitués à l’architecture du stade Bollaert tout proche qui fait leur fierté – les Sang et Or – le Louvre-Lens, ce peut être intimidant. Comment les inviter à entrer dans le musée, qui dispose d’ailleurs d’un espace pique-nique abrité ?
C’est la préoccupation de Marie Lavandier et de son équipe de médiation culturelle : amener le public jusqu’au musée. Et voilà comment le Louvre s’est porté acquéreur de la Rolling Design House que Marie Lavandier a dès cet été mis en scène en divers endroits du parc afin de susciter la rencontre. « C’est un format de médiation facile d’appropriation et nous lui trouvons de nouveaux formats d’utilisation », se réjouit Gautier Verbeke directeur du service de médiation au Louvre-Lens . De fait, lors de la visite de Chroniques, la Rolling Design House pourtant rangée à l’écart en attendant sa prochaine destination attirait encore les curieux qui venaient en faire le tour.
Aujourd’hui, la Rolling Design House a rejoint l’entrée même de l’exposition Louvre-Design, dans un nouveau rôle de médiation et d’accueil, en l’intérieur, au service d’une autre population de visiteurs. « Entre art et industrie, c’est un objet dynamique », souligne Sarah Bitter.
« A Saint-Etienne, j’ai découvert les problèmes de dynamique physique, c’était compliqué mais le concept méritait d’être développé car c’est un objet en adéquation avec les politiques qui proposent d’aller à la rencontre du public », dit-elle. Pour un prototype 2, voire pour pouvoir éventuellement imaginer un développement en série, il lui fallait cependant de l’aide. Elle l’a trouvée auprès d’un bureau d’études constitué d’anciens ingénieurs du site de Renault à Guyancourt.
« Nous avons fait une étude de faisabilité afin de déterminer si d’un point de vue réglementaire nous pouvions mettre la Rolling Design House dans l’espace public », raconte l’architecte. L’occasion d’apprendre que la réglementation des objets tractables indique une largeur maximale de 2 m mais n’impose aucune limite de longueur. « Nous pouvions nous lancer dans la certification », dit-elle. Et se lancer dans la résolution de multiples difficultés techniques : quel système de freins pour la remorque par exemple, ou comment résoudre les problèmes d’encombrement ou de prise au vent. En faire un objet télescopique ?
Toujours est-il que Sarah Bitter imagine une multitude de fonctionnalités pour sa Rolling Design House. En période Covid, ce pourrait en effet devenir une bulle en terrasse d’un restaurant avec une table pour 4, ou offrir de la billetterie culturelle ou autre à l’arrivée d’une gare.
En attendant, comme pour son projet de logements rue de Crimée, Sarah Bitter sait mener ses projets jusqu’au bout de leur long cours.
Christophe Leray
*Lire notre article Rue de Crimée, à Paris, c’est chez Metek
** Villa Crimée, Editions P.O.L., novembre 2018, 96 pages, 14 €