Les Vietnamiens prennent des vacances et c’est nouveau ! À 5h30 du matin, la plage est déjà occupée, la peau des femmes doit rester délicatement blanche, on craint les coups de soleil et on se lève très tôt en pays tropical. Chronique du Mékong.
Prendre des vacances au Vietnam est une nouvelle marotte pour une partie aisée de la population. La société vietnamienne se cherche une identité dans une sorte d’impatience à rattraper le temps perdu, de nombreuses années de guerres ayant ralenti le développement du pays et une génération ayant été sacrifiée.
Il y a encore une certaine revanche à prendre sur les pratiques de nos riches et opulentes sociétés occidentales. Le temps légal des vacances au Vietnam est désormais de quatorze jours en moyenne.
Ce changement de mœurs dimensionne, configure et structure des paysages nouveaux, des accès insoupçonnés à la mer de l’Est, aux bords de lacs ou aux chemins de montagnes.
La côte vietnamienne qui ondule sur mille deux cents kilomètres se modèle et se façonne avec incertitudes et espoirs…
Plusieurs destinations offrent un large choix de voyages, certaines vous transportent en excitant vos synapses, d’autres au contraire vous plaquent lourdement la tête au sol, en vous rappelant que le monde globalisé ne s’engage pas naturellement vers la direction sensible souhaitée.
De nombreux lieux touristiques subissent une alchimie terrible et prennent l’aspect indigeste de paysages vénitiens ou toscans. Des châteaux aux allures de Disneyland mélangent avec un raffinement inégalé l’architecture classique victorienne avec le style haussmannien.
Quel touriste asiatique ou occidental reconnaîtrait un détail de la renaissance du classicisme italien ou de l’architecture baroque ou romane ? Peu importe ! Ce qui compte est d’être attractif. Il faut que votre cerveau capte les archétypes du passé sur des façades aussi fines que celles des shoppings malls américains.
L’illusion d’une architecture passée, d’une trace historique qui n’a jamais existé contribue à rendre la destination attractive : le temps d’un unique selfie cadré qui projette dans un ailleurs.
Vous êtes touristiquement conditionné à ne vivre qu’une expérience visuelle savamment préparée et organisée par des armées d’architectes, de promoteurs et d’opérateurs peu scrupuleux de bousiller avec allégresse la côte naturelle. Personne ne contrôle rien et la bouillabaisse prend !
Au Vietnam, l’île de Phu Quoc fut saccagée, détruite en dix ans, un record inégalé dans la destruction de patrimoine naturel. L’île se minéralise encore tous les jours avec de nouvelles fausses villes italiennes. Les façades neuves sont patinées par une armée de peintres experts en vrai faux vieux !
Les appartements vendus en copropriétés sont les icebergs visibles d’une partie du blanchiment d’argent : le sens et la qualité des lieux n’existent plus, seul compte la rentabilité financière du mètre carré monnayable. Le développement hystérique de la construction de la Costa Del Sol espagnole amplifiée au XXIe siècle en Asie du Sud-Est.
Le temps est compté avant que la baie d’Halong ne subisse le même sort !
Celui du tourisme de masse dévastateur, le règne sans conteste du Starbucks qui unifie le goût du café avec une crème au même goût, à la même texture !
Malgré tout, des lieux et quelques villes sont autant de poches de résistance tenant tête au rouleau compresseur du capitalisme sauvage.
C’est le cas de la ville historique de Hué, patrimoine de l’Unesco. Les Vietnamiens savent qu’une partie de leur identité est ici, capitale historique et religieuse au centre du pays.
Le centre-ville de Hanoï et ses trente-six rues font aussi l’objet de débats animés, d’études urbaines attentives pour conserver son échelle particulière et sa riche atmosphère.
Saïgon, ville neuve, se prostitue au capitalisme touristique ; son ambition et sa centralité en Asie lui confèrent un prestige que lui jalousent de nombreuses villes.
Dans cette avide compétition touristique entre les provinces du Nord et du Sud Vietnam, qui regorgent d’inventivité et d’attractivité, se développent de nouvelles destinations spirituelles ; d’immenses statues de bouddha façon Christ Rédempteur de Rio de Janeiro fleurissent partout dès qu’une colline disponible à l’urbanisation s’y prête.
Au Vietnam, différents touristes cohabitent : les touristes étrangers fuient la foule (15 millions de visiteurs), et les touristes vietnamiens (100 millions de visiteurs) la recherchent et la quêtent sans cesse.
Parmi les touristes étrangers se distinguent plusieurs genres : les touristes européens bien habillés recherchent une culture différente ; leurs mains sont crispées sur le dernier IPhone ultra-connecté qui remplace le guide du Routard.
Les Français sont reconnaissables à leurs écharpes et leurs pulls en mohair sur les épaules.
Les touristes plus enrobés sont souvent en shorts ; ils viennent pour les loisirs. Ils se déplacent rarement à pied et n’aiment pas les villes, ils sont friands des tours en cyclos et de chapeaux pointus. Parmi cette catégorie de « consommateurs » se retrouvent de plus en plus d’Asiatiques et d’Indiens qui voyagent en famille.
Être « en vacances » s’affiche avec fierté sur les fils d’actualités des réseaux sociaux (Instagram, Facebook, Tik Tok, Zalo).
Vous trouverez quasiment partout au Vietnam un espace uniquement dédié au selfie, indiqué d’une signalétique appropriée. Le décor compte plus que la vue et rappelons-nous que l’éphémère est, en Asie du Sud-Est, plus transmissible que le patrimoine durable…
Peu importe la vue pourvu que la mise en scène soit parfaite.
Les gens qui sont sur les réseaux sociaux doivent interpréter l’instant « particulier » où vous êtes et votre « destination » enviée !
Parmi les Vietnamiens, se déplacer en groupe est largement plébiscité. Si dans la société le groupe l’emporte sur l’individu, c’est aussi le cas en vacances où systématiquement les Vietnamiens partent en famille et à plusieurs. Les hôtels et les ‘resorts’ non insonorisées et fort mal isolés vous font partager l’expérience du groupe et de la famille vietnamienne ! Les voyages en minibus permettent de partager toujours en direct la conversation en visuel avec toute la famille de votre voisin de siège.
Les Vietnamiens aiment la foule, la communauté et le monde, ils n’aiment pas le silence et les espaces vacants. Se retrouver dans un lieu calme, naturel et sans mouvement leur est inconfortable voire souvent insupportable !
En climat tropical le rapport au sol humide n’est pas sollicité !
Le camping se développe donc peu…
Il n’est pas courant de « déjeuner sur l’herbe », les jardins des parcs ou des espaces publics ne sont pas autant utilisés qu’ailleurs.
Les urbains et ruraux asiatiques aiment les sols carrelés scintillants, les espaces touristiques en tout genre n’échappent pas à cet engouement kitsch.
Cette nouvelle distanciation avec le sol m’interroge ; elle contraste avec le besoin de nature et de paysage d’une culture vietnamienne enfouie, où terre et eau s’entrelacent sans cesse. Combien de fois ai-je vu le carrelage brillant sérigraphié aux motifs stupides de roses ou de pinsons des chambres d’hôtel remplacer le sol sensuel et tellurique des terres cuites du royaume des Chams ou des carreaux de ciment mat.
La culture du sol perdu d’une génération m’inquiète comme l’est la tentation accommodante d’un tourisme acculturé…
La simple contemplation de la nature ne suffit plus aux destinations…, il faut sans cesse conter d’autres histoires. Mes clients vietnamiens me le répètent sans cesse : le projet doit être unique, attractif et singulier, l’expérience du voyage extraordinaire et incomparable.
Olivier Souquet
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