Avant, les résidences, surtout si elles étaient huppées, avaient de jolis noms, aussi ringards étaient-ils déjà à l’époque : Résidence du Val d’Or, ou des Mimosas si vous étiez plus près de la côte. Le premier projet à faire la renommée de Christian de Portzamparc est un ensemble de logements sociaux intitulé ‘Les Hautes-Formes’. Comme la rue du même nom certes mais c’est quand même plus la classe que ZenéO !
Il est vrai qu’aux résidences des plus pauvres, on donnait parfois un nombre, comme à La Courneuve, la cité des 4000, ou celle des 3 000 à Aulnay-sous-Bois, ou encore celle des 2 000 à Tizi-Ouzou. Pendant un moment – ce ne fut qu’un court instant – leurs habitants purent être fiers de détenir une sorte de record. Mais nombre d’autres ‘cités’ de la sorte se nommaient Monplaisir, La Roseraie, Roc-épine, car d’aucuns espéraient encore en leurs vertus sociales, et même quand elles avaient mauvaise réputation, elles portaient quand même le nom d’un général d’infanterie, d’un scientifique émérite ou d’un ancien maire, ce qui permettait de distinguer les bandes de loulous entre elles.
C’est important le nom d’un lieu, surtout si ce n’est pas une adresse. Si la rive gauche à Paris s’était appelée Saint-Germain-des-Martyrs au lieu de Saint-Germain-des-Prés, les poètes ne seraient jamais venus mais les militaires si. Un nom, c’est déjà habiter quelque part. Alors ZenéO ?
J’en suis venu à cette chronique de façon impromptue. A force de recevoir, parmi d’autres mais avec constance, les communiqués de presse de Bouygues Immobilier, notamment à propos de projets dans l’Est du pays, j’ai fini par être curieux, par regarder les projets avant de décider d’en présenter cinq dans le cadre de notre rubrique ‘Et pendant ce temps-là’. J’imaginais le titre : Et pendant ce temps-là, chez Bouygues…
L’idée était de montrer, au travers de cinq projets pris au hasard d’une communication ‘corporate’, celle de Bouygues en l’occurrence, la réalité de ce qui se construit tous les jours en France pendant que, pendant ce temps-là, quelques beaux esprits tentent de débattre de l’architecture d’intérêt général.
Il suffit de regarder ces cinq projets pour comprendre, du point de vue du gouvernement, qui est Goliath, qui est David. D’autant que ces bâtiments, signés d’architectes pour la plupart inconnus au bataillon (ils sont nombreux encore sans site Internet), voire signés de Bouygues Immobilier soi-même, ne sont au fond ni plus moches ni meilleurs que ce qui se fait ailleurs par treize à la douzaine, simples copies de concepts déjà épuisés jusqu’à la moelle de Paris à Marseille.
Bref, tout baigne puisque «tout est pensé avec soin» : «lignes architecturales épurées, espaces de vie ergonomiques et généreux et confort optimal au quotidien» ici quand ce ne sont pas des «lignes contemporaines rythmées par des jeux de volumes» là, le tout évidemment dans des immeubles économes en énergie. Zenéo, c’est pourtant clair ! Plus fort encore : pour Bouygues Immobilier, qui ne craint pas de s’aventurer dans des concepts audacieux, le logement devient carrément, «un partenaire intelligent». Ha bon ? «Alors ma chère, et ça se passe comment avec ton partenaire intelligent ?».
C’est dans ce cadre répétitif – il a fallu les lire les communiqués – que les noms de ces projets sont soudain apparus dans leur grande intelligence, comme il est dit d’un bâtiment qu’il est intelligent (ce qui entre nous vaut mieux qu’un bâtiment idiot). Quand on pense à ce que Bouygues doit payer l’agence de communication pour lui fournir des concepts innovants pareils…
– «Alors tu vois Coco, pour les 40 logements de Strasbourg, ce sera NEHO, NE HO, comme HéHo. Capich ? Ca sonne comme néo, ‘nouveau’ en latin, tu vois le lien entre passé et futur ? C’est carrément de la mythologie. On s’était dit pourquoi pas Cap’tain NEHO mais les Français sont des veaux, ils n’auraient pas compris la référence, tout le monde n’a pas vu le film. Et puis, en plus, NEHO, ça sonne presque comme Noah, l’une des personnalités préférées des Français, ce qui ne gâte rien».
– «Ha ouais, super ! Et pour les 43 logements de Reims, vous avez pensé à quoi ?»
– «Alors là chef, une vraie trouvaille, un néologisme justement (roulement de tambour) : ZenéO, prononcer ‘THE, à l’anglaise, néO à la française, et le O c’est pour Original».
– «The-né-O ????»
– «Oui c’est ça, ZenéO ! Là c’est trop fort. Vous vous souvenez du film Kill Bill ? ‘Z’ ! ‘Who is Z’, qui est Z ?’ demande la copine du héros».
– «Et alors ?»
– «C’est clair. A la question ‘Qui est Z’, nous apportons une réponse : Z, c’est Ze NéO».
Encore que, peut-être ne faut-il pas blâmer l’agence de communication. Si elle est cliente comme le sont les architectes, cela signifie qu’elle se charge de la créa et que Bouygues s’occupe de la mise en œuvre, et ça donne ce que ça donne.
Pour le coup, puisque les mots en A sont passés de mode, que le O est à l’honneur et l’anglishe toujours plus prévalant, nous, ici à la rédaction de Chroniques, souhaitons éviter à Bouygues Immobilier des dépenses inconsidérées. Alors voici, à titre d’exemples, autant de concepts de noms d’immeubles (c’est gratuit of course) :
ZepotO, par exemple, pour un immeuble convivial construit en coréalisation ; ou ZecolO, pour une résidence pour étudiants ou un village-vacances ; ZecostO, pour un quartier antisismique ; ZebigO, une résidence pour les personnes en surpoids, car il faut bien anticiper ; ZeO à l’architecture frugale et minimaliste ; ZeimmO qui ne manque pas de clarté grâce à sa double-orientation ; ZeZeO, une résidence pour chercheurs. Et pourquoi ne pas mélanger les concepts ? ZegreenO ? ZegreatO ? ZetowerO ? ZeperfectO ? ZebouyguO tant qu’à signer l’ouvrage ? ZeZegabO pour les chanteurs ? ZigotO, avec l’accent de Manchester ? Il y en a d’autres si nécessaire. Ne nous remerciez pas.
Bouygues n’est pas la seule société à se sentir obligée de baptiser ses immeubles de noms absurdes et d’inonder de cash les agences de communication spécialistes de l’air du temps. Prenons par exemple le nouveau campus de Novartis baptisé ‘Voyager’. Comment le prononcer ? Voyageur ? Voyadjeur ? Ce n’est quand même pas prononcé ‘Voyagé’ ? «Ha, oui je travaille dans l’immeuble Voyagé…»
Voyager fait penser à la sonde spatiale éponyme, pour laquelle ce nom avait un sens. Mais pour une multinationale du médicament, de quel voyage peut-il s’agir ? Un nom pareil fait juste penser à ces résidences d’un temps pas si lointain qui s’appelaient Spoutnik ou Gagarine ou Apollo ou Neil Armstrong selon la couleur du maire. Comme quoi, l’imagination des promoteurs et capitaines d’industrie a fait de grands pas pour l’humanité depuis Khrouchtchev.
Toujours est-il que l’argumentaire de ces ouvrages se veut désormais américain alors que les Américains ne construisent rien de la sorte. La preuve, là encore un bon point de l’innovation revient sans conteste à Bouygues avec sa résidence pour étudiants à Nancy sobrement intitulée ‘Green Lodge’. La loge verte ? Le logis vert ? ‘Green Lodge’, ils ont trouvé ça tout seul chez Bouygues, souvenir d’un chantier en Alabama ? Pour le prochain établissement de ce type, je suggère ZeFéclochettO.
En attendant, dans ces nouveaux écoquartiers intelligents, peut-être que de tels noms d’immeubles s’imposent désormais. Peut-être en premier lieu parce qu’il n’y a plus de rue et encore moins de repères distincts dans l’uniformité médiocre. Merci les ZAC contemporaines. On ne dit plus «j’habite au 25 rue docteur Hazel» mais «j’habite ZenéO». The quoi ? «THE NéO, juste derrière Voyadgeur».
Le plus triste, ou le plus tarte, est qu’il faut imaginer que les chefs de pub de Bouygues, et ceux de leurs agences de communication inféodées, ne peuvent pas tous être complètement demeurés. Sans doute ont-ils fait des études de marché qui démontrent que les commerciaux vendent plus facilement les logements quand l’immeuble s’appelle ZenéO plutôt que Le Val d’Or. Alors comment leur en vouloir si leur architecture, et ceux qui la font avec eux, sont au niveau ?
Christophe Leray
Pour découvrir les cinq communiqués de Bouygues Immobilier