Edouard Philippe entend ne pas « laisser dire qu’il y a eu du retard dans la prise de décision du confinement ». Pas besoin d’être psychanalyste pour comprendre que les mots ont un sens. Il est donc de notre devoir, en temps de guerre, de ne pas laisser un Premier ministre dire des choses pareilles. Explications.
Critique par fonction de son impréparation, voire de son impéritie, je faisais grâce encore à ce gouvernement du fait d’affronter une situation inouïe pour laquelle je veux bien croire que, à l’instar de nombreux autres, il n’était pas préparé.
Excepté que, le 28 mars, le même jour où il nous promettait « plus de transparence », le Premier ministre Edouard Philippe affirmait, martial : « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision du confinement ». Ha bon ? Donc si, à tort ou à raison peu importe, je clame haut et fort qu’il s’y est pris comme un manche le Premier ministre, Christophe Castaner envoie la police ?
Comment ça « il ne laissera pas dire … ». Il faut que ces gens-là se calment et regagnent le contrôle d’eux-mêmes.
Il y a urgence. En effet, deux jours plus tard, nous apprenons (Le Monde 30/03/20) que le même Edouard Philippe a fait appel à un ancien patron de la gendarmerie, le général Richard Lizurey, pour le charger « d’évaluer l’organisation interministérielle de la gestion de crise du Covid-19 ». Décidément ce gouvernement et ce président aiment les généraux pour résoudre leurs problèmes. D’ailleurs on a vu à Notre-Dame comme ça marche du feu de Dieu cette idée forte !*
De fait, le même Richard Lizurey a été conseiller entre 2009 et 2012 de deux ministres de l’intérieur de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux puis Claude Guéant, comme chacun sait deux grands humanistes, d’une grande probité pour le second également marchand d’art. S’il y a un message au pays dans cette nomination, c’est donc bien qu’Emmanuel Macron, et surtout Philippe, sont de droite et, « en même temps », de droite dure. Jusqu’à l’extrême pour cause de coronavirus ? D’ailleurs, poursuit l’article du Monde, c’est le même général qui avait octroyé à Alexandre Benalla, l’ex fameux conseiller du président de la République, le grade de lieutenant-colonel spécialiste de la réserve opérationnelle dans la gendarmerie. Une flèche le général ! Pourvu qu’Alexandre Benalla ne soit pas volontaire pour la réserve sanitaire, ne manquerait plus qu’il assomme une infirmière à coups de casque !
C’est peut-être ce conseiller pandore qui a inspiré cette phrase au Premier ministre : « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision du confinement » ? Garde-à-vous et silence dans les rangs. Qu’on se le dise ! Le Premier ministre n’a pas dit « j’entends les reproches qui sont faits au gouvernement mais, au risque de nous tromper, nous avons pris en notre âme et conscience la décision de confiner le pays au moment qui nous semblait le meilleur pour tous », ou quelque chose dans le genre. Les Français auraient compris. Mais c’est au nom de l’Etat d’urgence sanitaire et du droit de guerre que le Premier ministre entend ne laisser personne lui porter la contradiction ? Visiblement, les mots lui viennent du cœur et les oppositions, comme on dit maintenant, n’ont qu’à bien se tenir.
D’ailleurs, pourquoi n’y avait-il qu’un seul journaliste présent lors de l’intervention d’Edouard Philippe ? Celui-là, un journaliste de l’AFP, était censé agir au nom de tous les médias, le ‘pool’ réduit à sa plus simple expression. Pourquoi, ils sont demeurés les journalistes ? Ils ne pouvaient pas être une dizaine, séparés de plusieurs mètres dans la salle, et pour chacun sa température vérifiée avant d’entrer ? Sur les chantiers, que les ouvriers se débrouillent nous enjoint le ministre de l’Economie depuis deux semaines mais Matignon – en première ligne depuis que le président s’est prudemment retiré dans sa tente – est incapable d’organiser une conférence de presse publique et supposée pédagogique avec quelques journalistes représentant plusieurs nuances des opinions de la société française ? Quoi il avait peur de devoir laisser l’un d’eux lui poser des questions embarrassantes ?
Alors puisqu’il s’arroge le droit de ne laisser personne dire qu’il y a eu du retard sur sa prise de décision du confinement, au nom des droits de tout citoyen français, je m’inscris en faux. Oui il est permis de penser que ce gouvernement était en retard, et pas qu’un peu, et pas que depuis hier ! Voici mes arguments.
Prenons par exemple comme date de départ le 17 février 2020, jour où la ministre de la Santé – pas moins ! – quitte le gouvernement d’Edouard Philippe pour mener la campagne des municipales pour LREM, campagne dont le Premier ministre est un acteur important – il joue au Havre son avenir politique – et campagne dont la même Agnès Buzyn, n’ayant rien perdu fors l’honneur, dira plus tard en pleurnichant que c’était une « mascarade ». Une MASCARADE ! Le Premier ministre aurait sans doute aimé en effet ne pas la laisser dire une chose pareille.
Dès fin janvier, la Chine entière est quasi confinée. Shanghai, son centre économique, est paralysée, toutes ses écoles, universités, chantiers, fermés depuis deux semaines. Les premiers cas en Italie datent du 31 janvier. Ce 17 février, les rapatriements des Français de Chine ont commencé depuis deux semaines, les premiers arrivant dès le 31 janvier pour 15 jours de vacances à grand spectacle dans les Bouches-du-Rhône et s’étonnant déjà qu’aucune précaution d’aucune sorte n’était autrement prise dans les aéroports. Pourtant, à y réfléchir, quand est-ce la dernière fois qu’un gouvernement français a dû rapatrier en tel nombre des expatriés pour raison sanitaire ? Bref, le 17 février, le gouvernement devait quand même avoir une petite idée de l’ampleur de la catastrophe à venir, non ? Ou alors ses membres sont encore plus demeurés que les journalistes.
Maintenant, au lieu de se taper sur le ventre avec Agnès Buzyn en buvant du champagne pour se féliciter que le fâcheux épisode Benjamin Griveaux soit finalement derrière eux, ayant pris la mesure de l’inévitable, imaginons que ce soir-là, le Premier ministre se soit invité sur les télés pour nous tenir, en substance, le discours suivant :
« Chers compatriotes. Vous savez tous ce qui se passe en Chine. Le virus a pris pied en Europe, en Italie et en Espagne, au moins depuis le 31 janvier dernier. Sa propagation est inévitable et la France a connu ses premiers cas dès le 24 janvier. Aujourd’hui 17 février la seule solution envisageable est un confinement de grande ampleur et d’assez longue durée. Afin de faire face à cette situation sanitaire d’une incroyable brutalité, voici comment nous allons nous organiser. A compter du dimanche 1er mars minuit, nous serons tous confinés afin de ralentir la progression de l’épidémie pour laisser le temps à nos hôpitaux de s’organiser. Les écoles, universités et tous les établissements d’enseignement – écoles, crèches, etc. – seront quant à eux fermés dès vendredi 21 mars à 17 heures ».
Ce calendrier, annoncé dans le calme, laissait une semaine aux enseignants, aux élèves et leurs parents pour préparer sereinement la continuité de l’enseignement durant une longue période de confinement à venir. Ainsi dès le vendredi soir, à la fermeture des écoles partout sur le territoire, chaque écolier ou étudiant aurait su peu ou prou ce qu’il avait à faire dès le lundi suivant. Le gouvernement aurait pu même prévoir un effort exceptionnel pour que chaque enfant dispose d’un ordinateur et d’un lieu d’où télétravailler. Applaudissements.
Pour le reste, chaque citoyen et toutes les entreprises, essentielles ou non – bars, restaurants, fleuristes, etc. – devant fermer le dimanche 1 mars, disposaient de plus de deux semaines pour s’organiser, gérer leur stock, voire anticiper la vente à emporter et/ou un système de livraison. La société tout entière n’avait pas besoin de s’arrêter totalement du jour au lendemain. Cela laissait également deux semaines au gouvernement et aux représentants de la société civile (syndicats, etc.) pour s’organiser sans encore trop d’urgence. Comment maintenir l’activité ? laquelle ? à quelles conditions ? Face à la réalité sanitaire, il y a fort à parier que les syndicats de tous ordres se seraient assis à la table de discussions sans trop barguigner.
Bref, en tout état de cause, c’était là deux semaines supplémentaires offertes au système hospitalier pour s’adapter et se préparer, pour l’armée de se mettre en branle et pour que chacun, comme les élèves et étudiants une semaine plus tôt, sache ce qu’il avait à faire dès le premier jour du confinement.
Le gouvernement, qui ne pouvait pas ne pas savoir que le pays manquait cruellement de masques, par dizaines de millions, de respirateurs, de lits de réanimation – il ne savait pas que l’Allemagne en avait trois fois plus ? – pouvait alors dès le 17 février adopter par ordonnance des réquisitions et la restructuration fissa d’une partie de l’outil industriel afin de prévoir TOUT le nécessaire pour protéger toute la population, dont le personnel soignant évidemment.
Quand le 1er mars au soir, veille du grand confinement, le Président serait alors venu faire son grand discours, il n’aurait pas eu à déclarer la guerre car qui doute vraiment que, dans ces circonstances exceptionnelles, avec largement le temps de s’y préparer sans panique et sans précipitation, la France ne se serait pas mise en ordre de marche ?
Le président aurait pu annoncer alors les règles auxquelles chacun selon son rôle devait se plier, expliquer le chômage partiel (pour qui ? comment ? plutôt que la pagaille que l’on a aujourd’hui) ; les règles pour la distribution alimentaire et la nécessité de ne pas laisser pourrir sur pied les récoltes. Certes tout n’aurait pas été réglé ce jour-là mais au 31 mars, SIX semaines plus tard, le pays ne serait pas au bord de la crise de nerf, surtout après deux crises dures – gilets jaunes et grève des retraites – que ce premier ministre et ce président ont réussi l’exploit de susciter en moins de deux ans. Une fraction infime des milliards aujourd’hui nécessaires pour sauver l’économie du pays aurait suffi à le rendre plus fort et plus apte à affronter la pandémie.
D’ailleurs, n’en déplaise au Premier ministre, dans un monde idéal, pour permettre justement la poursuite de l’activité économique, le port du masque serait devenu obligatoire dès le 2 mars pour tous, seuls ceux se déplaçant sans masque étant verbalisés. Encore eut-il fallu qu’il y ait des masques à profusion, et du gel hydroalcoolique, mais ce gouvernement, c’est un fait, n’a pas eu l’honnêteté de nous expliquer que l’impéritie de l’Etat est telle que nous en manquons encore cruellement aujourd’hui, puisqu’il n’y a toujours pas de masques ou de gel en libre-service au 31 mars ! Pourtant les Français auraient fait contre mauvaise fortune bon cœur si on ne les avait pas pris pour des imbéciles. Aujourd’hui c’est trop tard.
Vu la façon dont cette crise est gérée depuis le début, c’est-à-dire dans la confusion avec un manque total de sang-froid et vu les paroles qui lui sortent du cœur, il est compréhensible que le Premier ministre ne souhaite laisser personne dire quoi que ce soit ayant trait à son action, c’est plus prudent !
Si le premier ministre nous invite au silence, nous voyons pourtant qu’il est possible de refaire l’histoire. Mais le passé est le passé et n’en parlons plus ?
Pour le coup, le gouvernement nous assure déjà se projeter dans la phase IV, celle de la reprise. S’il est aussi efficace en juin qu’en janvier ou en février, misère. Il y a d’ailleurs bien des élections de prévues en juin, un deuxième tour, après la mascarade du premier. D’ailleurs, le premier ministre aurait évidemment annoncé lors de ce discours du 17 février le report des élections et ne se retrouverait pas aujourd’hui avec un bâton merdeux supplémentaire à gérer.
Navigation à vue ? J’en veux pour preuve les dommages collatéraux de ces ordonnances dérogatoires au droit prises dans l’urgence, sans réelle réflexion préparatoire. Voyons par exemple l’ordonnance n°2020- 306 du 25 mars 2020 qui vient « adapter, de manière provisoire, les procédures de délivrance, d’exécution et de contrôle des autorisations d’urbanisme » et qui a pour conséquence qu’aucun permis de construire ou d’aménager ne sera délivré dans tout le pays avant le 25 juin.
En vertu de quoi, les permis délivrés, y compris avant l’état d’urgence, ne seront « purgés de recours qu’au 25 octobre 2020 ». De quoi, selon nombre de professionnels du secteur, déclencher un coup d’arrêt brutal pour la filière du bâtiment tout entière et la ruine d’un grand nombre d’entreprises. « L’État, sans aucune concertation, vient donc porter un coup fatal à un secteur économique qu’il considère paradoxalement indispensable et stratégique pour limiter les effets économiques de l’épidémie qui frappe le pays ! », fulmine le 28 mars Grégory Monod, président de LCA-FFB dans un communiqué, parlant de « dispositions sidérantes ». Quelle insolence ! Sait-il que le Premier ministre ne laissera personne dire qu’il s’y prend comme un manche ?
L’urgence est mauvaise conseillère, certes, et le Premier ministre nous parle déjà de l’avenir, pour donner de l’espoir aux Français comme on raconte des histoires aux enfants. En phase IV, tous ces milliards qui apparaissent comme par magie iront sans doute aider à la reconstruction de l’industrie automobile, aéronautique, navale et militaire française et il faudra alors rattraper le retard, produire à nouveau tout plein de voitures, d’avions et d’immenses bateaux de croisière et des tonnes d’armes de destruction et repartir comme avant pour soutenir la croissance et espérer 30 nouvelles glorieuses pour financer autrement que par la planche à billets le programme « massif » dédié à la santé publique annoncé par Emmanuel Macron (en attendant la psychiatrie, l’enseignement, la justice, la police, l’armée, etc.). C’est cela le plan ? Et puis quoi encore, un nouveau Service d’Action Civique (SAC) pour nous apprendre les bonnes distanciations sociales ?
En attendant, dans le monde réel, l’ensemble du secteur de la construction attend depuis plus de dix jours, à défaut de consignes claires, la diffusion du ‘Guide des préconisations de sécurité sanitaire des activités de la construction en période d’épidémie de Covid-19’ promis le 20 mars par Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et qui, visiblement, reste à écrire. Dans cette attente, la Fédération SCOP BTP, parmi d’autres, dans un communiqué daté du 30 mars, « invite ses adhérents à ne pas reprendre leurs chantiers car la priorité doit être donnée à la sécurité des salariés et à la lutte contre l’épidémie ».
Même les Français les mieux élevés finissent par hausser le ton. Ainsi l’association France Urbaine, dont les 102 membres représentent 30 millions de Français. Son communiqué (30 mars) est sobrement titré : « Face à des interprétations disparates de certaines mesures sur les territoires, France urbaine demande des clarifications au gouvernement ». Faut-il pour Edouard Philippe laisser dire que, à ce jour, rien ou si peu de ce que fait son gouvernement ne semble clair pour personne ?
Je vais par générosité m’arrêter là tant il est vrai que le gouvernement fait face à une situation imprévue. Chacun comprend bien que le président, le Premier ministre et les ministres doivent prendre un nombre infini de décisions par jour, ce qui est d’autant plus difficile quand s’ouvre devant eux le gouffre des conséquences de la politique menée jusqu’à ce jour. Idéologiquement, c’est certainement déchirant. Et puis, en Chine aussi, Xi Jinping ne laisse personne lui dire que ses décisions sont prises avec retard…
Mais foin de nouvelles anxiogènes supplémentaires. Il faut regarder l’avenir avec confiance. En effet, le Covis-19 semble s’en prendre en priorité aux hommes blancs de plus de 60 ans. Ce sont justement ceux-là qui nous gouvernent, nul doute donc qu’ils vont se dépêcher de trouver un vaccin avant que le grand confinement ne se transforme en grand renouvellement.
Christophe Leray
* Voir notre article A Notre-Dame, plutôt qu’en marche avant, la République En Avant ! Marche !