
L’architecte doit défendre l’exigence que ses créations soient telles qu’il les a voulues et non telles que la société les veut ou que des circonstances, aussi plaidables soient elles, les défigurent. Tribune.
Pier Paolo Pasolini, dans « Nous sommes tous en danger », interview qu’il donna en 1975, à la Stampa, la veille du jour où il fut assassiné, insiste : « L’histoire nous enseigne cela : le refus a toujours été un acte fondateur. Ce sont les saints, les ermites, les intellectuels, – les quelques-uns – qui ont osé dire non qui ont fait l’histoire, pas les courtisans ni les serviteurs des puissants. Mais pour que le refus soit efficace, il doit être total, absurde même, sans mesure ni prudence ».
Aussi, à bien regarder et analyser ce que le monde nous propose aujourd’hui – et pour ce qui nous concerne : l’architecture qu’il produit – il est temps, pour les architectes, de mettre définitivement fin à tous les process courants de construction, de collaboration et d’élaboration des contrats qui les appuient.
Il s’agit d’abord de contester les engagements publics ou privés qui fourvoient tous les jours l’architecture. Et ce ne sont pas les publications ou les autocélébrations d’œuvres de plus en plus insignifiantes et médiocres, qu’on voit fleurir dans les revues spécialisées ou sur les réseaux sociaux, qui me contrediront.
Oui, il s’agit bien de faire la peau à ceux qui se présentent de façon mensongère comme les acteurs d’une planification urbaine prétendant façonner au mieux notre quotidien et qui trouvent auprès de nombreux partenaires portant diplômes et raisonnements cagneux les complices idéaux pour conforter leur forfaiture.
Nous ne pouvons plus, en effet, espérer sortir du danger dont parle Pasolini en nous interdisant d’interroger objectivement la dimension de l’inadmissible dans la construction quand tout, autour de nous, révèle que l’état actuel du processus de développement des ouvrages, des paysages et de la ville est en plein déclin.
Que cherchons- nous exactement ? à devenir les héritiers d’un art majeur indépendant et digne ou à devenir les serviteurs de tous ceux qui portent en eux la dégénérescence consciente du monde ?
Dans le dernier film de Stéphane Demoustier, « l’Inconnu de la Grande Arche », l’acteur Claes Bang incarne Johan Otto von Spreckelsen, montrant ce qu’est un vrai architecte. Inventeur inflexible et artiste coriace, il ne cède à aucune pression ou décision ayant pour incidence de dénaturer son œuvre. L’accommodement est exclu et jouer les courtisans n’est pas envisageable. Car, l’œuvre doit rester personnelle, entière et fidèle aux idées qui l’ont construite.
Nous rappelant Gary Cooper incarnant l’architecte Howard Roark, dans le film de King Vidor « Le Rebelle » (1949), c’est bien de l’intransigeance d’un auteur dont il est question dans ce film. L’architecte y défend son droit à exiger que ses créations soient telles qu’il les a voulues et non telles que la société les veut ou que des circonstances, aussi plaidables soient elles, les défigurent.
Bon nombre de constructeurs se vautrent apparemment dans la vulgarité. Mais « faire l’histoire ne nourrit pas », me répond-on. Alors que faire ? regarder avec indulgence ces ouvrages de seconde série, désormais « augmentés » après avoir été « bio-sourçables » ou résister jusqu’à refuser, quand bien même ça tournerait mal ? *
Refusez, vous verrez, c’est un bonheur !
Francis Soler
Architecte
* L’un finira mort prématurément, l’autre employé de chantier dans une carrière