
Ethel Hazel, psychanalyste rue Labrouste à Paris, suit depuis cinq ans en thérapie l’architecte D. Elle a identifié chez ce tueur en série de blondes aux yeux bleus, comme elle, un syndrome inédit lié à son métier qu’elle entend être la première à décrire dans un article scientifique : le syndrome de la belle au bois dormant de l’architecte D. (2/4)
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« De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou ».
Michel Foucault
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Nota. L’intention de cet article est de décrire précisément un nouveau syndrome identifié au travers de la personnalité de D. l’architecte, un méticuleux, audacieux – et, disons-le, élégant – tueur en série. Ce texte est issu de séances plus ou moins espacées au fil de plusieurs saisons de thérapie. La plupart des informations ci-dessous, écrites sous le sceau du secret professionnel, peuvent le cas échéant être corroborées par l’inspecteur Nutello (dit Dr. Nut), du service national des disparitions inquiétantes.
Le modus operandi des meurtres
Je n’avais jamais fait attention à ce détail mais le hobby de Norman Bates dans le film Psychose d’Alfred Hitchcock est la taxidermie soit « l’art de préparer les animaux morts pour les conserver avec l’apparence de la vie ». Or, lors de nos séances, D. a mentionné Norman Bates à plusieurs reprises. L’architecte sait sans doute depuis longtemps qu’elle est la passion de Norman Bates, qui n’est pas de tuer. D. n’est-il pas justement lui-même une sorte de taxidermiste « conservant le corps de ses victimes en leur gardant l’apparence de la vie ? » En faisant des recherches, j’ai trouvé d’ailleurs que le mot lui-même provient du grec ancien táxis (ordre, arrangement) et dérma (la peau !!!). La peau dont nous avons vu que l’architecte fait grand cas. Le fait est que tout taxidermiste qu’il était, les pulsions de Norman Bates étaient sauvages, ce n’est pas le cas pour D. qui, de façon générale, évite les effusions de sang. Nous reviendrons sur la façon dont l’architecte et taxidermiste D. conserve les corps mais il convient désormais dans le cadre de cet article de décrire le plus précisément possible son modus operandi.
En préambule, il me faut insister sur l’un des biais fondamentaux de cet article : j’ai survécu ! Cela est suffisamment inhabituel dans le cadre des agissements de D. que ma seule expérience ne peut valoir démonstration mais il demeure que c’est ainsi que j’ai découvert comment il tue ses victimes.
De fait, je me souviens d’une séance interrompue sur l’évocation par D. de sa nuit passée avec moi. « Une première », avait-il dit. Une première pourquoi ? Parce que j’ai survécu ? En ce cas, pourquoi ai-je survécu ? Parce que j’étais consentante ? Parce que j’ai aimé ça ? Avais-je voulu me suicider en invitant D. chez moi ? « L’amour est un genre de suicide », explique Jacques Lacan !
Pourquoi ai-je survécu ? D. ne m’en a jamais expliqué les raisons mais j’aime à penser que l’analyse, voire la thérapeute, lui est devenue indispensable. Les Belles au bois dormant qu’il conserve sont muettes pour l’éternité et si je suis certaine que D. appréciait leur conversation, avec qui peut-il désormais discuter, exprimer ses pulsions les plus profondes, même si c’est de manière alambiquée en parlant de son métier, sinon avec moi ? Une intuition confirmée puisque la seconde nuit passée en sa compagnie s’est déroulée peu ou prou comme la première et que je ne me suis plus sentie en danger…
D. a mis longtemps, plusieurs saisons, avant de se rapprocher de moi, c’est tout juste si le transfert ne fonctionnait pas dans le bon sens. Mais j’avais eu le temps de commencer à le déchiffrer et, sans en avoir encore la preuve formelle, je le savais tueur en série de femmes blondes aux yeux bleus. J’étais donc le parfait sujet d’expérimentation. C’était en tout cas, pour tous les deux, en parfaite connaissance de cause que nous sommes convenus de nous retrouver dans mon appartement.
Après un dîner au champagne fort plaisant suivi de préliminaires plutôt convenus, D. est entré en moi sans violence mais avec détermination. Le corps ouvert, consentante, j’ai ressenti un plaisir de plus en plus intense et bientôt déroutant, l’architecte se faisant insistant, puissant, bang, bang, bang, de plus en plus impérieux, il avait soudain l’air immense. Son regard, le dernier dont je me souviens, loin d’être halluciné comme celui de Norman Bates interprété par Anthony Hopkins, était chaleureux, doux, bienveillant, encourageant… augmentant encore le paradoxe de la situation. Gémissante, je me trouvais brusquement à bout de souffle. Je sentais sur mon visage une odeur rassurante, la mienne, celle de mon oreiller. Et l’architecte, bang, bang, bang, la jouissance, la mienne, mais j’étouffe. Tant d’ailleurs que mon cerveau commence à manquer d’oxygène, je tente de me débattre mais l’oreiller à l’odeur rassurante se fait plus pressant encore tandis que l’architecte, me maintenant avec des mains fermes, m’emmenait Bang, bang, bang vers un paroxysme tout proche… Mon corps se rebelle, je gémis, je veux crier sans y parvenir, j’étouffe, mes poumons brûlent, je me débats tandis que mon cerveau en manque d’oxygène devient fou, ne sachant plus comment résoudre l’ambiguïté du plaisir impossible à contenir et l’instinct de survie… Je me suis sentie défaillir, mon corps n’offrant plus aucune résistance.
Je me suis réveillée en sueur dans mon lit, seule, haletante, inspirant de grandes bouffées d’air comme si ma vie en dépendait. Plusieurs heures avaient passé. D. m’avait-il droguée ? Toujours est-il que je ne me souviens pas du reste. Drogue-t-il ses victimes ? Pour ma part, je me suis réveillée vivante avec une certitude : je savais comment il les tue ! À noter enfin que, la seconde fois, je me suis réveillée plus vite et plus facilement que lors de la première, comme un patient qui prendrait l’habitude de se réveiller d’une anesthésie. Il ne m’avait pas battue et je n’étais pas blessée !
Gourmandise et nature morte
Maintenant que nous savons comment D. l’architecte tue ses victimes – en les étouffant de plaisir – la question est de savoir pourquoi il les garde. Nous savons que cela passe par le regard mais une seule victime ne lui semble pas suffisante puisque, avec le concours de l’inspecteur Nutello, j’ai pu en identifier au moins une dizaine. D. l’architecte m’a parlé d’elles, toutes, au fil de nos séances mais il m’a fallu longtemps pour comprendre le sens de ses digressions architecturales. Ha que n’ai-je alors su être plus attentive ou plus sensible, les dernières victimes seraient encore vivantes…
Leur nombre interroge, surtout si, comme je le crois, il les garde toutes ou presque… Est-ce là avidité ? Gourmandise ? Une volonté compulsive de posséder toujours plus ?
– Citation : « Selon Épicure les désirs naturels sont nécessaires au bonheur ».
– Question : « Vous êtes sûr de votre citation ? ».
– Citation : « Je me souviens qu’Épicure avait classifié les six grands désirs qui animent les hommes. Voyons, il y a le désir de nourriture, soit la gourmandise ; le désir de la chair, la luxure et la concupiscence ; le désir de l’argent, la cupidité ; le désir du pouvoir, l’envie et… et… Ha, j’ai failli oublier, le désir des honneurs, c’est-à-dire l’orgueil, sans doute le désir le plus désiré des architectes !!! Vous noterez quand même que les désirs d’Épicure correspondent pratiquement aux péchés capitaux des chrétiens. Vous n’avez pas l’intention de me faire la morale n’est-ce pas ? D’autant que je mange peu, que je ne suis ni cupide ni désireux d’un quelconque pouvoir et, quant au désir de chair, j’aime finalement penser que je n’en use qu’avec circonspection ; pour autant, ce désir présente une permanence et c’est sa durabilité qui devient justement une sorte d’immortalité tant je n’ai ni le pouvoir de le réaliser jamais complètement ni celui d’y renoncer ».
De fait c’est lui qui met dans une même phrase la gourmandise, le désir de la chair, la luxure et la concupiscence comme si sa gourmandise était un mélange de tout ça. Pour autant, le gourmand a besoin de sucre rapide, pour une satisfaction immédiate. Or l’architecte D. aime le sucre lent : il peut passer des années à travailler sur un bâtiment pour le livrer exactement comme il le voulait et je sais qu’il est ainsi capable de travailler pendant des années, voire des décennies, à créer le mausolée qui lui apportera satisfaction à ses besoins profonds, ce qu’il appelle les « désirs naturels » nécessaires à son bonheur. De la même façon, il est capable de patienter des années avant de passer à l’acte sur une proie choisie. En attendant que sa « couche » soit prête ?
– Citation : « Le désir est toujours insatisfait, alors sa transformation en symbole, en totem ou en fantasme devient impérative, et le désir apparaît alors stylisé, ainsi en est-il de sa représentation, qui devient une nature morte en quelque sorte, de toute beauté, émouvante, sensible, inoubliable, presque comme un art premier. Dans un sens, cette stylisation du désir s’exprime aussi dans l’architecture, chaque bâtiment n’étant au fond pour son auteur rien d’autre qu’une nature morte à l’échelle 1, un désir presque abouti et finalement immobile ».
Il parlait d’architecture et de son métier mais était-ce vraiment le cas ? Et à quoi fait-il référence en évoquant un ouvrage dont l’objectif final est une « nature morte ». Gérard Wajcman, écrivain et psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association mondiale de Psychanalyse, s’est penché sur l’objet nature morte dans son ouvrage Ni nature, ni morte. Les vies de la nature morte. Je me permets ici de le citer. « On dit « natures mortes ». Ce nom après tout est plutôt joli, mais il est nul. La nature morte ne raconte pas des histoires de nature, elle raconte l’histoire des corps. Pourtant le corps est absent, le grand absent de la nature morte. Pas de nature morte avec des corps, par définition. Alors ? La nature morte raconte le corps parce qu’elle raconte l’histoire des objets qui font jouir le corps, autant dire qui le font vivre. Parce que la vie, c’est le corps qui jouit. Un art de la vie matérielle. Ni nature ni mort, voilà la nature morte. La nature morte raconte la vie du corps vivant. En un mot, la nature morte, c’est la vie ».
La nature morte de l’architecte D., ou plutôt les natures mortes architecturales de l’architecte D. ne sont-elles pas toutes vouées à raconter l’histoire d’objets qui font jouir le corps, qui le font vivre ? Un art de la vie matérielle ? Ce pourrait être une définition de l’architecture. De fait, pour en revenir au syndrome de la Belle au bois dormant de D., se souvenir que plutôt que nature morte, les Anglo-Saxons utilisent l’expression ‘still life’ que nous pourrions traduire par « vie silencieuse », et c’est sans doute ici la définition qui prévaut pour D.
La vie silencieuse
Nous avons vu comment D. l’architecte tue ses victimes, du moins celles qu’il choisit de conserver, en les étouffant de plaisir. Nous avons évoqué le fait qu’il y avait sans doute du voyeur en lui, et de la gourmandise peut-être à garder les corps de ses victimes pour les admirer, comme un collectionneur et, apparemment, taxidermiste de talent. Cependant, ce ne serait là que réduire D. à quelques vices, aussi horribles peuvent-ils apparaître, et se méprendre sur sa vraie nature.
Et puis, du vice aux meurtres en série, il y a un grand pas. Sinon, l’humanité serait diminuée de moitié. Et puis, horribles vraiment les vices de D. ? C’est vite dit. S’il ne tuait pas toutes ces femmes, D. l’architecte serait exactement comme mes autres patients, complexé, torturé, aussi impérieux qu’est profond le complexe d’infériorité, surtout dans un monde, l’architecture, aussi compétitif. Mais bon, va pour horribles parce que quand même, il les tue et je ne pense pas qu’elles étaient toutes prêtes ou averties de ce grand voyage.
Or, à décrypter ses propos, apparaît en lui l’architecte démiurge, à l’origine un concept de dieu créateur de l’univers et par extension aujourd’hui compris comme un créateur, un animateur d’un monde. Pour citer Damien Clays, (Le fantasme du démiurge : L’architecte soumis à la tentation du pouvoir), « le démiurge maîtrise l’espace et le temps (parcellaire, arpentage, défrichage, bornage, déploiement, mesure, mise en ordre…), il construit/bâtit le monde en tant qu’architecte avec les outils des bâtisseurs (équerre et compas) ».
Il s’avère cependant que, au-delà de ses bâtiments, c’est bien à la conception d’un univers – bizarre ? déviant ? – que s’est attelé D. l’architecte toutes ces années. Pour autant, il s’imagine aussi bien Démiurge et sans doute qu’à sa façon, en tuant toutes ces femmes, toutes blondes aux yeux bleus, dans une extase sexuelle, avec une grande affection, si ce n’est de l’amour, D. leur fait l’offrande en retour de l’immortalité quelque part au sein de son univers. Il a en lui le sentiment d’être généreux.
Il me faut ici expliquer. Dans le syndrome de la Belle au bois dormant dont je parle, le verbe dormir a pour ce patient une importance fondamentale. Dans un sens, pour lui, ses Belles ne sont pas mortes, elles dorment loin du monde cruel, sereinement et pour toujours, et lui D., lui seul, leur a offert une chance d’immortalité. Pour comprendre, le mieux est encore de l’écouter lors de l’une de nos séances où il a abordé de lui-même ce sujet.
La discussion a commencé lorsqu’il me demanda à brûle-pourpoint si je connaissais « Hypnos et Thanatos, les jumeaux de l’antiquité ? ». Je savais bien sûr que Thanatos représente en psychologie l’ensemble des pulsions de mort, souvent opposé à Éros, et qu’Hypnos est le dieu du sommeil. « Je ne savais pas qu’ils étaient jumeaux », lui dis-je. Voici ce qu’il m’expliqua et que je retranscris de mémoire aussi précisément que possible et en intégralité, la preuve en tout cas que c’est un sujet auquel il avait beaucoup réfléchi.
– Citation : « Nyx est le nom de leur mère, qui signifie la Nuit, elle-même issue du Chaos originel. Alors voilà, Hypnos et Thanatos, des jumeaux donc, sont en effet respectivement dieux du sommeil et de la mort. Ils ne sont pas comme Janus, le dieu aux deux visages, ils sont jumeaux et il y a une bonne raison à cela. Quand vous dormez profondément, de ce sommeil profond où vous n’avez plus conscience de vous-même, le monde peut s’écrouler, vous n’en savez rien. Et durant ce sommeil profond, qu’il se passe deux heures, huit heures, huit ans, huit cents ans, n’a aucune importance ; c’est seulement au moment du réveil que vous reprenez conscience, au sens propre. C’est pourquoi le sommeil et la mort sont jumeaux. Hypnos est d’ailleurs le père de Morphée. Dormir c’est mourir ! C’est pourquoi je n’ai pas peur de la mort car j’ai l’habitude de mourir chaque soir et c’est un émerveillement renouvelé chaque matin de reprendre conscience et de se dire que nous avons à nouveau une journée entière, peut-être, avant la prochaine mise en sommeil, la prochaine mise en totale déconnexion. Bref, même si on se réveille après un million d’années, à supposer que le corps soit parfaitement conservé, c’est comme débuter un autre jour et pourtant être plus vieux que Mathusalem ».
– Question : « Donc pour vous, s’endormir chaque nuit, c’est votre vision de l’immortalité ? »
– Citation : « Vous n’y êtes pas. Maintenant imaginez quelqu’un qui aurait beaucoup d’argent, un nabab qui rêverait aussi d’immortalité mais pas comme un imbécile de la Silicon Valley en train de construire des pyramides en forme de data center, non, je parle là de la vraie immortalité ».
– Question : « un nabab vous dites… »
– Citation : « Parce que ceux-là ne le sont pas ? Restez avec moi Docteur… Le Nabab se débrouille pour mourir en assez bonne santé physique et mentale ; s’il est sénile, l’immortalité ne sert à rien. Bref, il s’est auparavant fait construire une fusée, ce qui n’est pas si difficile d’autant plus que cette fusée n’a pas vocation à aller vite ni à revenir ni à maintenir quiconque en vie. À sa mort, le corps intact du nabab est placé dans sa fusée, laquelle est envoyée le plus loin possible dans l’espace. Il suffit d’un tout petit moteur, le froid intersidéral faisant le reste pour conserver le corps, et ce vaisseau peut aisément et sans heurt voyager pendant des siècles et des siècles bien au-delà des limites de l’univers des hommes contemporains. Or, dans l’immensité du temps et de l’espace, même si le nabab n’a qu’une chance sur cinquante mille milliards de milliards, il est possible d’imaginer qu’une intelligence extraterrestre saura un jour (?) le récupérer et, dotée d’une technologie que nous ne pouvons imaginer, par curiosité peut-être saura le réveiller. Et le Nabab, à l’instant même où il se réveillera, aura l’impression de s’être endormi la veille. Et je lui promets alors une journée, une nouvelle vie peut-être, qui vaudra immortalité. En plus, imaginez pour la famille, ils pourraient suivre le vaisseau dans le ciel et les enfants rêver à leurs ancêtres devenus comme autant d’étoiles ».
J’avoue m’être alors demandé quel était ce délire, même si je comprenais la poésie évoquée ? Mais l’architecte n’avait pas fini, comme s’il tenait à me faire passer un message. C’était le cas.
– Citation (suite) : « J’insiste, je vous promets que cette chance de se réveiller un jour au milieu de nulle part, aussi infinitésimale soit-elle, dans l’infinité du temps et de l’espace, est une excellente chance. Meilleure en tout cas que de finir carbonisé ou bouffé par les vers. Chacun pourrait encore décorer son vaisseau/tombeau. Aux couleurs rastas pour un chanteur de reggae, décoré comme un château du XVIIIe pour tel nobliau, rose comme le jouet favori d’une influenceuse, avec l’habitacle rempli de peluches qui flottent indéfiniment et qui surprendront sans doute les petits enfants extraterrestres, etc. Quant à moi, à ma mort, je ne serais pas malheureux que l’on m’installe avec quelques livres dans une fusée de base que mes enfants pourraient s’offrir afin de m’envoyer dans le vaste espace, ad vitam aeternam, c’est le cas de le dire. Une fois endormi, 500 milliards d’années ne me font pas peur. Ni même encore la tête de ce qui ou quoi me réveille après tout ce temps-là. J’imagine que la première question qu’ils me poseront c’est d’où je viens mais je serai sans doute bien incapable de leur répondre… Mais bon, vous voyez bien que sans ticket retour, c’est facile la conquête de l’espace ! »
Un vaisseau spatial ? C’est ainsi que D. l’architecte envisage l’immortalité, sinon pour lui, au moins pour ses victimes. Il explique d’ailleurs la fusée devenue tombeau. Il ne construit pas évidemment de fusée mais cette vision cylindrique d’un tombeau, un habitacle ouvert sur les étoiles n’est pas sans rappeler le tombeau transparent de la Belle au bois dormant de Walt Disney. D’ailleurs, à plusieurs reprises, il a également évoqué cette vision de la mort qui ne serait pas aveugle mais ouverte aux étoiles. Voici encore ce qu’il disait en parlant d’un projet de morgue – quel paradoxe – qu’il a réalisé à Paris.
– Citations : « Alors, plutôt qu’un lugubre meuble à tiroirs, j’ai dessiné une très belle façade qui prend presque tout un mur intérieur du labo et les laborantins ont au moins l’impression de ranger chaque corps dans son ‘appartement’ respectif – une courte location certes – plutôt que de les ranger dans une boîte en métal sinistre. Mes morts ont même leur adresse sur cette façade – stylisée évidemment – ce qui est toujours mieux qu’un numéro. En plus, j’ai eu l’idée de coller au plafond de ces caisses métalliques des petites étoiles fluorescentes adhésives de quelques millimètres. Quand on ouvre le tiroir, elles prennent la lumière et, une fois le tiroir refermé, demeurent fluorescentes, comme ça le corps n’est plus dans un placard anonyme mais en sommeil à la belle étoile ».
Ainsi, pour le comprendre, il nous faut bien considérer que l’architecte D. tue ses victimes par générosité.
(À suivre)
Ethel Hazel
Retrouvez tous les épisodes :
– Le syndrome de l’architecte D. – Fondation (1/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Psychose (2/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Chaste polygamie (3/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Conclusion (4/4)