A l’heure où Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux annonce la construction de nouvelles prisons, d’abord 1 700 cellules supplémentaires et 10 000 à terme, à l’heure de l’état d’urgence et de la démesure sécuritaire, à l’heure où les objectifs humanistes du programme 4000 semblent bien loin, que reste-il aux architectes pour que ces établissements qu’il va bien falloir construire rendent aux détenus un minimum de dignité ?
En 1995, le programme 4000 qui prévoyait en 1995 un accroissement de 4000 places de détention (à noter que c’est ainsi que l’on nommait les grands ensembles aux heures glorieuses de la reconstruction, la Cité des 4000 à la Courneuve pour n’en citer qu’un) faisait suite au programme 13 000, conçu par Albin Chalondon en 1987, 25 établissements livrés entre 1990 et 1992. A noter d’ailleurs qu’en ces temps pré-Partenariats Publics-Privés (PPP), avec une loi sur l’architecture encore toute neuve, il fallait cinq ans seulement entre la décision politique et la livraison de l’établissement. Heureusement que les architectes n’avaient pas le BIM…
Surtout, ce qui était notable avec ce programme 4 000, achevé en 2004, est que l’architecture y jouait encore un rôle fondamental. Il était encore en effet question de respect des gens, de dignité, de réinsertion, de cadre de vie, autant pour les détenus que les personnels. Ces six établissements (deux maisons d’arrêt et quatre centres pénitentiaires) avaient été attribués en deux lots équivalents à l’architecte Guy Autran et Architecture Studio.
De fait, en février 2007, Ban Public, l’association pour la communication sur les prisons et l’incarcération en Europe, relevait «l’architecture claire, lisible, le soin apporté au traitement des quartiers de détention, et les équipements qui dotent les établissements du programme 4000, contribuent à un cadre de vie et de travail de qualité, marquant une évolution sensible par rapport à la génération précédente de prisons du programme dit 13 000 (1986-1992)». Comme quoi…
Cependant, l’humanisme des hommes de l’art ne fut pas toujours compris et Guy Autran et Martin Robain et Architecture Studio vécurent à l’époque des moments pénibles. Leurs détracteurs ne savaient pas alors ce qu’il allait advenir par la suite.
Car dès septembre 2002, une nouvelle loi de programmation prévoyait encore un nouveau ‘programme 13 200’. Aujourd’hui six établissements pénitentiaires pour mineurs et une quinzaine d’établissements pour majeurs issus de ce programme sont désormais en service, les premiers ouvrages ont ouvert en 2008, les derniers ont été livrés en 2015. Entre-temps, les vœux de Guy Autran et d’Architecture Studio d’une prison ‘plus humaine’ semblent avoir fait long feu.
Que s’est-il passé ? La question de la prison renvoie à deux sujets : la garde et la réinsertion. Jusqu’au début des années 2000, l’idée de réinsertion primait mais les politiciens ont fini par s’apercevoir qu’ils n’en tiraient aucun gain politique. Bien au contraire, sur fond de montée des extrêmes, l’accent mis sur la garde semblait plus audible. Alors va pour la fuite en avant.
Selon un rapport du Sénat pour le projet de loi de finances 2013*, à l’échéance du programme 13 200, le parc pénitentiaire comprend 61 303 places théoriques (un peu moins en réalité). En septembre 2016, il y avait 78.767 personnes sous écrou en France (70 000 en mai 2016 !) et Jean-Jacques Urvoas annonçait donc la création de 1 700 nouvelles places et un nouveau programme 10 000.
Bref, la problématique du surpeuplement des prisons demeure malgré la poursuite infinie de la construction de nouvelles places en cellule – à ce propos, les prisons débordent tellement que pour gérer le nouvel afflux, on réinvente les camps qui coûtent moins cher, puisqu’en prison on est au moins nourri, logé, blanchi.
Maintenant, que faire pour l’architecte ?
Se débattre d’abord avec une administration aussi conservatrice qu’elle est mal payée et mal reconnue et dont les agents sont les premiers en ligne de mire. «Puisque nous avons aujourd’hui des verres qui résistent à un tir de bazooka, nous avons voulu créer des vues sans barreau, cela permettrait d’ouvrir l’espace», se souvient un architecte. Mais non, l’administration tient au pouvoir symbolique de ses barreaux, dont les normes sont absolument précises. Des barreaux horizontaux ? Vous n’y pensez pas, ils permettraient d’escalader la façade !
Christiane Taubira, l’ancienne garde des sceaux, a bien tenté de réagir. Elle insistait sur la progressivité du parcours, souhaitait adoucir les contraintes de sûreté, supprimer les miradors, établir des circulations en convivialité directe. Mais elle aussi, malgré ses réticences, a dû céder et annoncer en janvier 2013 la construction de quatre nouvelles prisons – Valence (Drôme), Riom (Puy-de-Dôme), Lutterbach (Haut-Rhin) et Beauvais (Oise) – en PPP qui plus est.
D’aucuns au sein de la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) entendent sans doute bien les arguments des architectes et il faut noter à cet égard l’évolution récente, annoncée par Urvoas, vers des prisons plus petites et plus proches des centres-villes. En loi M.O.P. pour le coup ? Non je rigole. Plus globalement, force est de constater qu’il devient difficile, dans nombre de domaines d’ailleurs, de résister au repli de la société sur elle-même. Toujours plus de sécurité, plus d’angoisse, le principe de précaution, les faits divers, etc. ; le discours sur l’architecture comme élément de soin, pour reprendre une approche qui est celle de quelques hôpitaux psychiatriques, est de plus en plus inaudible. Ajouter les attentats et l’état d’urgence et l’urgence est apparemment de mettre encore plus de monde au trou. Quelques candidats à la présidentielle prônent même la mise en cabane préventive. Dans des PPP ? En tout cas, le business de l’incarcération a de beaux jours devant lui. A 120 000€ en moyenne l’unité payée par le contribuable, c’est Byzance !
Pourtant, malgré les contraintes du cahier des charges, drastique en plein délire sécuritaire, l’architecte peut encore se rendre utile. Le bruit par exemple. Dans une prison, les détenus gueulent, au sens de crier fort pour se faire entendre, idem pour les surveillants, le bruit des clefs, les pleurs de l’un, les cris de l’autre. Une prison est un univers sonore. Il y a là l’espace pour l’architecte de faire du bien.
Il est vrai que pour l’architecte l’exercice de vouloir changer le moindre élément de programme est difficile et que c’est souvent une bataille perdue mais de la lumière naturelle ici, un toit végétalisé là, au moins que l’effort symbolique puisse être perçu par ceux qui occuperont les lieux, détenus et personnel. Surtout que désormais, les mecs s’évadent par fax et quittent la prison par la grande porte !
Alors, face à la déshumanisation de la société, dans le lieu qui en est le plus symbolique, il revient aux architectes de relancer le débat : quelle prison pour quelle société ? La plupart des agences qui construisent des prisons se cachent derrière une discrétion de violette. C’est l’inverse dont la société a besoin, quitte à aller à rebours de l’opinion publique. La prison est un objet éminemment politique mais les architectes ne sont pas des politiciens et doivent clamer haut et fort qu’il existe une alternative à la prison utilitaire conçue comme un produit financier, comme l’ont démontré en leur temps Guy Autran et Architecture Studio.
Sans garantie de succès d’ailleurs. Comme le note le chercheur Christian Carlier * ; «après 1981, malgré une politique visant à l’humanisation des prisons (parloirs sans dispositif de séparation, suppression de la tenue pénale, télévision, etc.), le garde des sceaux Robert Badinter ne mit fin ni au surencombrement des prisons (près de 43 000 détenus pour 32 500 places fin 1984) ni à la vague des mutineries et mouvements du personnel (en 1983 et 1985)».
Christophe Leray
*Christian Carlier https://criminocorpus.revues.org/246