À l’heure des transformations inéluctables du climat terrestre, nos hommes et femmes politiques contemporains en France s’extasient en découvrant l’énergie solaire et s’interrogent sur la gestion de l’eau et du vent. Excusez du peu mais bonjour la découverte ! Cela ne fait que 400 000 ans que les sauvages sont au courant.
Tenez l’eau par exemple, il y a 5 000 ans les Nabatéens ont transformé une ville du désert – Petra – en oasis verdoyant. Aujourd’hui, nos politiciens, et les politiciennes avec eux pour n’oublier personne, devant l’immensité des défis climatiques, découvrent la récupération des eaux de pluie et se rengorgent de leur grande intelligence avant de faire à tout va des lois normalisant la taille des gouttières et des méga bassines.
Ceux et celles-là n’ont évidemment jamais entendu parler de la maison enterrée de Mari, que chaque étudiant en architecture découvre en première année. En Mésopotamie, 3 000 ans avant notre ère de l’intelligence artificielle, il s’agit de l’une des premières habitations de cette civilisation dite de Mari. Dans un climat aride, pour se protéger du soleil, l’ouvrage enterré consiste en une demi-sphère en briques crues. Une sorte d’igloo contextuel en somme sauf qu’il fallait rentrer par le haut, un système similaire à celui des Kivas amérindiennes encore utilisées aujourd’hui. En première année, l’étudiant doit comprendre comment fabriquer une structure ronde avec des briques carrées.
Pendant qu’au XXIe siècle d’aucuns s’interrogent sur les vertus des courants d’air, les maîtres d’œuvre de cette époque avaient déjà inventé divers systèmes de ventilation efficaces. Pour autant, si les architectes d’aujourd’hui se pâment devant l’ingéniosité des tours des vents en Iran, ils y pensent une seconde avant de commander des panneaux photovoltaïques chinois imposés par les normes, les bureaux d’études et les budgets chétifs de maîtres d’ouvrage sans imagination.
Le soleil, l’eau, le vent, les éléments, les matériaux, l’orientation, le contexte, l’architecture n’est pas si compliquée. Dans un sens, en regard du réchauffement planétaire, si nous voulons à nouveau construire des ouvrages aux vertus écologiques, peut-être nous faut-il réapprendre à les enterrer. Au moins, serait-ce une façon de ne pas imperméabiliser les sols, surtout quand il ne pleut plus. Ou reconsidérer d’un œil nouveau, dans tous les déserts du monde, toutes ces architectures qui ont survécu mille ans en plein cagnard. Dans dix ou quinze ans en effet, Cannes + 5° Celsius, comme au Mali !
Puisqu’il est question pour les pouvoirs en place de recherche de solutions quant à la catastrophe annoncée, plus près de nous, sur des îles méditerranéennes assoiffées que visitent les touristes sans voir rien, les habitants avaient compris depuis longtemps comment utiliser la pente et récupérer toute l’eau tombée du ciel dans des citernes enfouies dans le sol au-dessus desquelles ils construisaient leurs adobes, ainsi conservés frais l’été sous le cagnard, le puits juste devant la cuisine.
À propos de voûte, plus près de nous encore, aujourd’hui Gilles Perraudin, l’architecte de la pierre de taille, doit se justifier pour en construire. « Les bureaux de contrôle (B.E.), des bétonneux, sont frileux », dit-il en évoquant la construction de l’immeuble livré en 2021 à Caluire St-Clair (Rhône)*. « Le B.E. de l’entreprise nous a démontré avec des calculs que [nos arches] n’allaient pas tenir… Aujourd’hui on fait des calculs plutôt que de regarder la réalité », précise l’architecte. Comme si les ingénieurs d’aujourd’hui n’avaient jamais entendu parler du Pont du Gard, sauf pour demander réparation aux Romains de l’invasion et du grand remplacement.
Près de nous également, les habitants de la Montagne noire (Aude)** avaient, comme ailleurs dans les massifs montagneux, développé au fil du temps des terrasses cultivées selon peu ou prou le même système que les rizières en Asie. Les Incas et les Aztèques avaient imaginé des systèmes d’irrigation qui font encore aujourd’hui l’admiration d’ingénieurs bardés de diplômes, d’ordinateurs et de data. Les autochtones d’Amérique du Nord avaient conçu un système d’aménagement des rivières, des marais et des lacs tel qu’il leur permettait de voyager en bateau sur de longues distances dans ce vaste territoire. Système tellement ingénieux qu’il a fallu plus de trois cents ans à l’envahisseur pour le découvrir et le comprendre, quand c’était trop tard évidemment.
Bref, il fut un temps où l’humanité avait oublié d’être sotte. Le point commun à ces systèmes tous différents était d’être conçus dans une dimension de grand territoire, tous les éléments – l’agriculture, le potager, l’élevage, le partage des eaux, le besoin de matière première (bois, terre, pierre, feuilles de bananier) selon le lieu, la météo avec des normales saisonnières avec peu d’anomalies, l’intérêt des riches, l’intérêt des pauvres (un pauvre ne sert à rien s’il meurt de soif ou de faim) – étaient réunis et pris en compte de façon globale, cohérente et pérenne. Les sauvages ne le savaient pas mais eux donnaient à la politique un sens noble.
Ici, les politiciens qui redécouvrent l’eau tiède exigent désormais de « tenir compte du vent et du soleil » ; c’est écrit avec arrogance dans les programmes des concours, avec plein d’alinéas et pleins de sous-entendus et plein de calculs débiles qui n’enrichissent que les vendeurs de calculateurs.
L’architecte alors de se retrouver face à un maître d’ouvrage, public ou privé, qui vient de lire un article dans Usine nouvelle expliquant le vent, le soleil et la gravité interplanétaire. Heureusement que l’homme ou la femme de l’art a fait cinq ans d’études et encore cinq ans de formation dans des agences et compte pourquoi pas 25 ans d’expérience sinon l’autre risque de lui demander d’éteindre la lumière en sortant.
Face à des problématiques complexes, ce qui est désespérant au fond est cette arrogance des pouvoirs en place à y répondre en voulant normer la société, de A à G, pour son bien évidemment et à coups de matraque si nécessaire – Paris, Home of the BRAV comme à Téhéran. Normer un pays commence évidemment avec le bâtiment et l’architecture. Les architectes le savent : sous prétexte de sécurité et de principe de précaution, c’est finalement toute la population ou presque qui se retrouve normée, fichée, classée, mal logée mais financiarisée comme le tableau Excel d’un promoteur et bientôt dronée à tout va !
Certes la société a besoin de règles, la démocratie étant le moins pire des systèmes pour paraphraser Winston Churchill. Dans ce cadre raisonnable, ce sont justement les libertés que garantissent ces règles qui ont fait la richesse des démocraties. Pour résumer, plus un pays s’enfonce en religion autoritaire, fut-elle ultralibérale et jupitérienne, et plus le pays dans son ensemble s’appauvrit. Ce n’est pas difficile à vérifier, quelle que soit l’obédience de chacun.
Ce ne sont donc pas tant les normes en tant que telles qui sont gênantes mais la NORMALISATION générale qu’elles finissent par engendrer. Voilà où nous en sommes – tous normalisés de crainte de la cinquième colonne des écoterroristes ! Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’architecture. Les entrées de villes minables avec leurs chaînes de magasins dans des lieux sans âme ont été remplacées par des entrées de ville minables, avec des logements tous pareils dans des ZAC toutes pareilles pour des lieux sans âme. Et ça vaut de l’avenue de France à Paris à la ZAC Ovalie à Montpellier.
Face aux dérèglements climatiques, un plan d’ensemble pour le pays, global, utile, compréhensible par tous tout en étant ouvert à l’imagination, à la diversité et à la créativité locales, n’est donc pas pour demain. Il suffit de penser aux réalisations de nos ancêtres qui n’avaient même pas de téléphone portable pour constater que nous ne sommes même plus capables de les singer. Exemple parmi d’autres à propos de l’eau, du vent et du soleil, ces méga bassines que le gouvernement s’emploie violemment à promouvoir et qui ne témoignent que de l’indifférence crasse de fonctionnaires de l’Etat au service de quelques seigneurs du coin ayant leurs entrées à la préfecture.
Christophe Leray
PS. Pourquoi les orangs-outangs ? En référence, dans le roman original de Pierre Boulle La planète des singes, à la caste minoritaire des orangs-outangs, sombres imbéciles imbus d’eux-mêmes, évidemment conservateurs et n’ayant d’autre souci que de préserver leur position.
* Lire Atelier Perraudin envoie des pierres dans la mare
** Lire Chronique pastorale d’été : d’une montagne l’autre…