En 2019, le cinéma nous avait donné le film « Les Misérables », tourné dans le quartier du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois. En 2022, il fait « Les Promesses » et y retourne. Dans les deux cas, le quartier emblématique du 9-3 n’est qu’un décor. Si le cinéma français aime s’encanailler dans les « no go zones », il offre rarement un happy end aux habitants.
Maire d’une ville du 93, Clémence Colombet livre avec Yazid, son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins, une cité minée par l’insalubrité et les « marchands de sommeil ».
Voilà donc le synopsis du film Les Promesses, réalisé par le cinéaste Thomas Kruithof, qui met en scène Isabelle Huppert en maire et Réda Kateb en directeur de cabinet humanistes. L’histoire se déroule en petite couronne, dans la troisième ville du département. La ville n’est jamais citée. Le spectateur avisé pourrait imaginer que l’action se déroule à Aubervilliers, troisième plus grande ville de Seine-Saint-Denis en termes d’habitants.
Il s’agit pour Madame le Maire de sauver une Cité, plutôt un quartier, Les Bernardins, dont l’état s’est délabré au fils des décennies. Le scénario a le bon ton de ne pas mettre sur le dos de violences ou de trafics divers l’insalubrité générale et le péril de vivre en ces murs.
A Aubervilliers, même non citée, il existe un certain nombre de cités ou de quartiers qui en plus de répondre aux ambitions du casting, s’avéreraient fortement photogéniques, comme la cité Émile Dubois-La Maladrerie* construite par Raymond Lopez dans les années 50, ou encore la Cité Lénine qui émergea en 1970 du travail de Jacques Kalisz et Jean Perrottet, membres de l’Atelier d’Urbanisme et d’Architecture. Il y en a bien d’autres.
Pourtant, le film montre une barre d’habitation reconnaissable entre mille, et pas vraiment albertivillarienne. En effet, les Promesses a été tourné dans le quartier du Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois**. Ce quartier est composé de deux copropriétés : le Chêne Pointu et l’Etoile du Chêne Pointu, soit 1 520 logements construits dans les années 60 par Bernard Zehrfuss, architecte grand prix de Rome. Un lieu tristement célèbre pour être devenu depuis vingt ans une des copropriétés les plus endettées de France.
IL faut dire que le sujet du mal logement, le maire clichois, Olivier Klein, le connaît malheureusement que trop bien. Dans cette ville de Seine-Saint-Denis de près de 30 000 habitants, « toutes les copropriétés sont sous surveillance avec des dispositifs de l’Anah (Agence nationale de l’aménagement de l’habitat) et l’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine), c’est la problématique principale à Clichy ». D’ailleurs la municipalité estime être « au summum de l’intervention, il nous est même arrivé d’assurer la saison de chauffe du Chêne Pointu », insiste l’élu.
Ce n’est pas la première fois que le quartier clichois prête sa façade. Déjà pour Les Misérables***, opus tourné en 2019, Ladj ly avait fait passer la barre de logement pour celle des Bosquets avant sa rénovation. Le Chêne Pointu est donc devenu un symbole de la banlieue est, chaude et délabrée, puisque seule son ombre sert désormais à matérialiser la réalité.
De facto, ce sont les personnages qui sont filmés, non pas les Bernardins pour laquelle le Maire et son directeur de Cabinet se battent pour obtenir quelques 63 M€ de subventions publiques de la part du Grand Paris. Car le destin des habitants, qui ne sont qu’ombres sans parole, est entre les mains des technocrates parisiens qui ne savent même pas suivre un GPS pour arriver dans ces banlieues qu’ils ne connaissent que depuis les dorures intramuros.
La scène dans laquelle un politicien raconte comment il s’est perdu à l’embranchement des autoroutes sur ce qui semble être le pont de Bondy, entre Aubervilliers et Clichy-sous-Bois donc, est d’une grande tristesse. Car si l’élue locale lui sourit, c’est qu’elle sait toute la condescendance qu’éprouve l’édile à l’égard de son combat et de ses administrés.
Ironie du sort, Aubervilliers, Clichy-sous-Bois, Bondy… toutes ses villes sont aujourd’hui tributaires des velléités d’aménagement du territoire du Grand Paris, entre ambitions personnelles et nationales des élus locaux. Sur ces territoires du Grand Paris ou d’Est-Ensemble, où il faudrait déjà résoudre la question des copropriétés dégradées, des marchands de sommeil et de l’insalubrité des logements, ce sont des centaines de milliers de mètres carrés de fonciers qui sortent de terre, autour des futures gares. Mais Clichy-sous-Bois n’est ni Montreuil, ni Pantin.
Paris est bien plus loin, la mixité sociale, vantée comme une arlésienne n’existe pas dans des villes où plus de 43 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et dans lesquelles le revenu moyen par habitant peine à atteindre les 15 000 euros / an. Comment ces ménages modestes, à qui a été vendue la propriété immobilière possible grâce à des taux d’emprunt historiquement bas, pourront dans 10 ou 15 ans assumer les travaux d’entretien réguliers et les ravalements trop vite nécessaires de nos constructions actuelles de bien plus mauvaise facture que celle de Zehrfuss, Kalisz ou Lopez ?
C’est un des rares regrets que suscite le film. Dans le décor, où sont les familles ? Où sont les habitants ? Dans cette mise en scène si peu empathique, le spectateur n’entre jamais dans l’intimité des administrés, il ne partage pas leur vie, ou si peu. Le film pourrait se poser en témoin des délabrements et de l’insalubrité omniprésents. Le cinéphile ne les verra pas, si ce n’est une fuite d’eau digne d’une canalisation municipale.
Malgré une belle réflexion sur le pouvoir et sur le fait d’être au service de l’autre, le quartier n’est qu’un décor, du carton-pâte, un prétexte à faire un film politique. Ce qui est dommage. Le duo maire / dir.cab est politiquement correct. Le film ne prend pas position. Les Promesses ne se fait pas dénonciateur, il est juste réaliste, objectif et dissèque avec précision ce qu’est le monde de la politique aujourd’hui, d’une manière presque documentaire.
D’ailleurs, le réalisateur n’a pas orienté le point de vue en désignant des partis politiques. Ni de droite, ni de gauche, le sujet du logement insalubre devient universel. Rappelons à ce propos que l’étude d’impact de la loi ELAN estimait à 420 000 logements indignes ou dégradés le parc de logements alors que près de 52 % de ces logements appartiennent à des propriétaires bailleurs privés.
Les Promesses a été sélectionné à la Mostra de Venise alors que Les Misérables est allé aux Oscars. Le cinéma aime les récompenses. Peut-être alors braquer plus souvent les projecteurs sur ces sujets essentiels de société au-delà de la première.
Les Promesses est sorti le 26 janvier 2022.
Alice Delaleu
*Lire notre article A Aubervillliers, la Maladrerie : miracle architectural en péril
** Lire notre article Au Chêne Pointu, un projet en mode gestion de l’attente
*** Lire notre article Les Misérables aux Oscars ou la favela made in France