Dans un pays et, qui plus est, une ville comme Paris dans lesquels opposer une vision élitiste d’un patrimoine qui serait intouchable et architecture contemporaine évidemment destructrice relève du sport national, le projet Richelieu et ses architectes font preuve d’irrédentisme. La phase 1 de ce grand projet a été dévoilée en très grande pompe en début d’année 2016 devant un parterre de journalistes, avec ses forces et ses faiblesses. Visite.
Au début des années 2000, le carré Richelieu ne répondait plus à ses fonctions tant en termes de technique que d’architecture ou de sécurité. Une vaste opération de réhabilitation fut donc confiée à l’atelier Bruno Gaudin architectes, pour guérir ce vaste îlot emblématique de ses maux chroniques depuis 1950. Le chantier en site occupé relevait de l’opération à cœur ouvert : risquée pour la vieille maison de Mazarin, critiquable pour les observateurs chafouins, longue pour les usagers.
Il faut dire que le patient avait des antécédents. Une grande lignée d’architectes pour ancêtres, de Robert de Cotte à Roux-Spitz, en passant par Gabriel, Pascal et Labrouste. La complexité du sujet était à mesure de la richesse patrimoniale que chacun de ses pères avait bien voulu lui laisser. Dans ce labyrinthe de presque 70 000 m², les étudiants et les chercheurs portaient même le secret espoir de voir débarquer Harry Potter au tournant d’un lambris.
Pour Laurence Engel, actuelle présidente de la BNF, les ambitions du projet étaient de trois ordres. En premier lieu, une ambition «architecturale et urbaine puisqu’il fallait réinscrire le bâtiment au sein du quartier du palais royal et réécrire le quadrilatère avec la volonté de l’ouvrir». Puis une ambition liée à la recherche, une de ses missions originelles puisque dès Labrouste, la BN était ouverte à un public moins savant et était également un lieu de stockage du savoir national. «La BN abrite dorénavant également l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et l’Ecole Nationale des Chartres et devient ainsi un véritable campus de recherches», poursuit-elle. Enfin, la dernière ambition du projet était culturelle puisque cette vaste opération possède tous les attributs du grand projet : 250 millions d’euros de travaux alloués sur deux phases sur pas loin de 20 ans, par pas moins de deux ministères. La grand-mère des bibliothèques parisienne a été choyée !
Si le succès du Quadrilatère Richelieu depuis Mazarin n’est plus à faire, il le doit en particulier à ses architectes qui ont toujours su répondre aux évolutions tant du quartier que des attentes de ses usagers. L’agence Bruno Gaudin Architectes s’est inscrite dans cette tradition du lieu. Ainsi, les architectes ne livrent aujourd’hui pas seulement une simple opération de réhabilitation patrimoniale mais un projet contemporain plus global et indissociable de l’œuvre globale historique.
La salle Labrouste est évidemment rendue à son état primitif par Jean-François Laigneau, architecte en chef des monuments historiques du fait de son statut d’espace protégé. En revanche, ce n’était pas le cas du magasin central conçu à la fin du XIXe siècle par Labrouste et complété par Roux-Spitz en 1936 puis en 1953. «Le choix de conserver les grandes particularités du magasin s’est finalement imposé en raison de son importance historique car s’était la première fois qu’on créait un lieu de stockage pour les livres dissocié de la salle de lecture, abandonnant ainsi le format galerie des bibliothèques XIXe», explique Bruno Gaudin.
L’espace de stockage avait subi quelques ajouts de monte-charge et autres étagères qui furent enlevés. Le vaste espace de cinq niveaux était à l’origine conçu en métal sous une verrière qui avait pour mission d’éclairer jusqu’aux entrailles du bâtiment. A l’heure où la lumière (électrique) n’existait pas encore et où les becs de gaz étaient proscrits au regard de la préciosité des objets conservés, la lumière naturelle descendait via des planchers en caillebotis qui assuraient la transparence. La lumière zénithale originelle a donc ici été retrouvée grâce à un plafond luminescence et des planchers débarrassés.
Si les niveaux inférieurs ajoutés par Roux-Spitz en 1936 et conçus en béton dans une exemplaire reprise en sous-oeuvre ont été conservés, il est peut-être regrettable que certains niveaux qu’il avait construits en surélévation et en acier, et qui expliquaient l’utilisation du béton tant en sous-sol que dans ses ajouts structurels dans le magasin, ne puissent être eux restaurés. Les poteaux béton de 1936 continuent néanmoins de raconter l’histoire de ce lieu devenu au fil des décennies une histoire de l’architecture contemporaine, surtout que Bruno Gaudin et Virginie Brégal continuent de conserver le lien avec la salle de lecture au travers de la vaste baie vitrée qui les ouvre l’un vers l’autre.
Désormais autorisé en partie aux lecteurs, le magasin a aussi posé quelques questions techniques et sécuritaires. Depuis Labrouste, il n’offrait aucune stabilité au feu. C’est peut-être ici que s’exprime le mieux le parti architectural du projet de l’atelier Bruno Gaudin : «le ‘tissage’ entre architecture technique et histoire est ce moment où la remise aux normes devient un outil d’architecture à mettre en œuvre dans des espaces à haute valeur patrimoniale», dit-il.
«En réalité, c’est partout dans le Quadrilatère qu’il a fallu négocier avec les pompiers, se jouer intelligemment des normes et démontrer que si toutes les pièces n’étaient pas toujours sécuritaires, elles pouvaient cependant ne pas être dénaturées par les normes actuelles», souligne-t-il. Ici, «la meilleure façon de répondre aux normes n’est pas forcément de s’inscrire dans la normalisation actuelle, bien qu’il ait fallu réaliser des pesées pour calculer les charges, notamment aux niveaux des caillebotis», dit-il.
Un système de désenfumage en bandes a ainsi été installé car il permet une plus grande réactivité en cas de départ de feu dans les rayonnages. «Si la technique se voit, c’est qu’elle fait partie intégrante du projet», témoigne l’architecte. «Il ne s’agit pas seulement d’un projet de restauration mais autant de réinterprétation d’un lieu emblématique. Il fallait savoir lire le texte qui nous précédait et rester dans sa constante évolution». De fait, le Quadrilatère Richelieu fait preuve de résilience et d’adaptabilité aux nouvelles contraintes.
Le projet visait également autant à dédensifier l’espace qu’à le rationaliser, afin de l’ouvrir à la rue comme à de nouveaux publics. Une galerie de verre, contemporaine, surplombe par exemple la cour d’honneur et longe la salle Labrouste, donnant à voir les façades historiques. Cette galerie, dont la forme est sujette à critiques, est en réalité une référence à un des projets de Labrouste qui en avait projeté une en bois. «Produire du sens dans une vision attentive et bienveillante sur le patrimoine mais aussi sur la fonction des espaces, est possible, sans s’interdire de travailler avec nos outils. La galerie de verre était une nécessité», martèle l’architecte. De la complexité d’amener de la contemporanéité dans un lieu patrimonial !
«La citadelle silencieuse», comme aimait l’appeler Alain Resnais, se mue en musée, présentant les collections à un public moins élitiste que celui des salles de lecture, et se lisant en plus comme un livre ouvert.
Pour conclure, ce projet ne met pas en opposition témoignages patrimoniaux et architecture contemporaine, tant il s’inscrit dans la dialectique du lieu entre permanence et changement. Un parti pris assumé dans des interventions au demeurant subtiles.
Léa Muller