Tiens, un architecte français exposé à Chicago ! Début 2016, une exposition remarquée des dessins de Marc Dilet était présentée à l’‘Audible Gallery Experimental Sound Studio’, l’occasion pour lui de revenir là où l’histoire a commencé. Marc Dilet est par ailleurs un fin connaisseur des métropoles asiatiques dont Shanghai, Canton, Tokyo. Peut-être est-ce pourquoi son architecture est à chercher dans un dessin à l’encre. Portrait.
Il avait trouvé «incomplètes» ses études d’architecture à Paris-Val de Seine (ex UP1 Paris Villemin), école dont il sort DPLG, sous la direction d’Aymeric Zublena, en 1978. «On nous appauvrissait à faire de la trame. On ne nous donnait pas une culture architecturale très riche», dit-il. Il se requinque aux cours de Candilis aux Beaux- Arts, de Françoise Choay à Vincennes et au séminaire de Roland Barthes sur le neutre.
«J’avais une fascination pour les Etats-Unis», raconte-il dans sa petite agence du IIIe arrondissement de Paris. Un espace étonnamment traversant en ce sens que, composé de deux entités, dont un appartement, il y a donc une entrée sur deux paliers différents. A tel point que Marc Dilet attendait son visiteur d’un côté, ce dernier arrivant de l’autre. «Parfait pour s’enfuir», s’amuse l’homme de l’art. S’il y a un architecte si peu rompu à la communication, c’est bien Marc Dilet !
Bref, à peine diplômé, il veut aller aux USA, sur la côte Est, sauf «qu’à Yale et Harvard», il ne connaissait personne. Il est retenu à l’Illinois Institute of Technologie (IIT) de Chicago, l’école de Mies van der Rohe. Il obtient une bourse de dix huit mois, il restera finalement cinq ans à Chicago. Le temps d’abord d’un Master of Architecture obtenu en 1980 sous la direction de Thomas H. Beeby l’un des refondateurs de l’architecture à Chicago et auteur notamment de la Harold Washington Library. Par ailleurs, Marc Dilet avait réalisé une étude sur les monastères cisterciens, dont plus de 700 ont été construits sur le même modèle. Il lui est demandé de faire une conférence à ce sujet. Il avait à peine fini qu’il obtient son premier job : un monastère bénédictin dans le Michigan.
Hasard ? Pas tout à fait. Originaire de Saintonge, en terre pieuse, sa grand-mère l’emmenait visiter églises, châteaux, Brouage ou la Roche-sur-Yon en Vendée quand le Puy du fou n’existait pas encore. Plus tard, au cœur d’un institut technologique, il partage avec Thomas Beeby une communauté de pensée. «Beeby et moi-même étions habités par la dimension spirituelle de l’architecture», se souvient-il. Des cours de Mircea Eliade, un historien des religions reconnu (mort à Chicago en 1986), il retient encore que la configuration de l’espace naît dans la mythologie : «Quels sont dans l’espace les points communs à toutes les cultures ? La centralité, la symétrie / la dissymétrie ?».
Adolescent, il dessinait beaucoup, Il voulait être styliste. Ses parents, inquiets, l’ont donc inscrit dans un collège technique, où il apprit le dessin au rotring. Une révélation. Plus tard il découvre dans une revue le travail de Franck Lloyd Wright. Un déclic. «L’architecture est devenue un rêve», dit-il. Pour lui, elle le demeure. «L’architecture, ce ne sont pas que des faits rationnels, elle est constituée d’une part importante de l’imaginaire».
IIT est une école multiculturelle. Après les Etats-Unis, avec son (ex)épouse japonaise, direction le Japon dont il parle aujourd’hui la langue. Il est pendant trois ans chercheur Monbushô à l’Université de Tokyo, sous la direction de Fumihiko Maki. Durant cette période, 1987 – 1990, il construit à Sendaï un grand bâtiment de logements qui «réagit bien aux tremblements de terre». Il découvre la peinture, la céramique et le bâti japonais, trois domaines qu’il pratique. Tandis que s’élargit son horizon, les questions de la légèreté et de la transparence s’affirment dans ses dessins. «Les villes ne se dessinent pas toutes de la même façon», dit-il aujourd’hui. A chacune sa calligraphie.
L’enseignement – Nancy, Lyon, Strasbourg, Tokyo, Chicago, Munich – lui permet de poursuivre ses explorations. Il est aujourd’hui titulaire à Paris – Val de Seine. «Je suis plus un architecte de conception que de réalisation», dit-il. De fait il construit très peu mais, depuis la création de son agence, en 1991, il a toujours construit. L’un des premiers chantiers importants lui est tombé dessus un peu par hasard : la conception de la crèche de l’Hôtel de Ville à Paris, 700 m² livrés en 2003 dans les anciens appartements de Jacques Chirac, maire de la ville plus de 18 ans. «Quelle échelle pour les enfants dans des pièces de 5m de hauteur sous plafond ?»
Depuis cette date, il livre régulièrement un ou deux projets par an, des crèches évidemment, des mairies, un restaurant scolaire, des logements collectifs dont une vingtaine récemment livrés près de Reims. «Un bâtiment, de la commande à la livraison, c’est magique même si c’est un combat tout le long», dit-il. L’influence japonaise se manifeste parfois dans des projets en bois au temps de chantier très court – «c’est magique de ce point de vue aussi», dit-il. Il termine une épicerie solidaire pour la Semapa, où il va à l’essentiel, des espaces pour l’association Agoraé, un espace ouvert, fluide avec des cloisons coulissantes en polycarbonate et métal.
Parlant des villes qu’il dessine en rouge, il dit : «Une ville, même si ça a l’air très stable, est un magma, un univers en gestation, en mutation, qui bouge et se transforme en permanence». Ses dessins en capturent l’immanence. Et quand il dessine les tours de La Rochelle, c’est aussi une réflexion sur la question des seuils, celle de la spatialité, de l’au-delà, de l’horizon proche et lointain, du haut et du bas. Le dessin est selon lui un mode exploratoire de l’architecture. «Je suis un architecte qui dessine», dit-il.
Ce sont donc ces dessins qui furent exposés à Chicago, non seulement à l’‘Audible Gallery Experimental Sound Studio’ mais également, un an plus tôt à Tokyo, une autre exposition intitulée «SKETCHES OF WORLD CITIES». Son architecture, quant à elle, n’est pas un geste ou un manifeste, elle n’interpelle pas ni ne s’impose. Elle n’en est pas pour autant discrète ou modeste. Elle est surtout la somme de toutes ses influences, de l’austérité de Mies à la chaleur de Wright, des Charentes au Japon en passant par l’Amérique. L’adage dit que l’important n’est pas la destination mais le voyage. Pour Marc Dilet, l’architecture rêvée fut son ticket pour le voyage de sa propre vie.
Christophe Leray