Maud Caubet a fondé son agence en 2006. Lauréate lors des deux éditions des concours «Inventons la métropole du Grand Paris», elle aimerait que l’architecture et les architectes abolissent leurs cloisons. Rencontre.
Chroniques : Qu’est-ce qui vous a mené vers l’architecture ?
Maud Caubet – Au début, je voulais faire de l’architecture d’intérieur. Quand j’étais plus jeune, j’avais ce complexe de croire que pour être architecte, il fallait être ingénieure, très bon en maths. Alors, je me suis inscrite aux Beaux-arts, un site exceptionnel, mais je me suis heurtée à cette culture de la pensée unique où tu dois vivre avec des architectes, sortir avec des architectes, charretée avec des architectes, etc. Cela m’a vraiment étouffé, même si j’y ai appris beaucoup de choses. Au bout de deux ans, j’ai dit «stop» et je me suis inscrite à la Villette. C’est une école beaucoup plus généraliste, plus ouverte, vous êtes un peu un électron libre. Il y avait des workshops avec architectes venant d’Asie, et là, je me suis éclatée. J’ai appris à me forger mes propres références. C’est ce qui marque mon parcours : se construire son propre caractère, sa propre ambition.
C’est pour cela que vous êtes partie en Norvège, pour construire vos références ?
J’ai toujours eu une attirance pour les pays nordiques car ils décloisonnent les limites entre l’intérieur et l’extérieur. Ce sont des pays qui utilisent la contrainte d’un climat rude au quotidien : le manque de lumière, le froid, les saisons très courtes, et ils ont eu cette capacité à faire de cette contrainte un avantage pour inventer un habitat d’exception. L’art de vivre à l’intérieur est incroyable, le design est fait sur-mesure, tout est pensé avec beaucoup d’élégance. Le rapport à la nature est une évidence. L’architecture est minimaliste, le design aussi, et il n’y a pas de limite entre l’intérieur et l’extérieur. Ils captent la lumière le maximum du temps. Depuis petite, cette lumière, à travers les photos vues dans des revues, m’attirait.
De plus, l’école d’architecture en France est un système assez étouffant. La structure en atelier est un peu sectaire. Alors en 3ème année, je me suis précipitée sur ERASMUS, et sur Stockholm. Durant un an, j’ai vécu en campus, avec des professeurs extraordinaires, des workshops en Estonie, en Norvège, en Finlande, et cela a été un véritable coup de foudre.
Dans les pays scandinaves, le professeur est à côté de vous, il ne vous juge pas, il est vraiment dans l’explication, la transmission, Alors que les cours d’architecture en France sont très martiaux. C’est ce qui fait peut-être la richesse de notre culture française et artistique mais nous aurions pas mal de choses à apprendre des pays nordiques.
En parallèle, j’aime beaucoup les films scandinaves des années 90, ils se battaient un peu contre les superproductions américaines. Ils faisaient des films avec une caméra – un peu ce qui est fait avec un iPhone aujourd’hui – et ils arrivaient à capter cette lumière blanche, un peu onirique, quelque chose que nous n’avons pas en France. Ce rapport à la lumière est incroyable, il m’a marquée dans mon approche.
En 2003, mon diplôme en poche, je suis rentrée en tant qu’indépendante chez un designer, Jean-Marie Massaud, parce que j’avais envie de poursuivre cette expérience sur le design, dans une agence où l’on est à la fois designer et architecte.
Une autre chose que je ne comprends pas : pourquoi en France, il y a deux architectures, l’architecture et l’architecture d’intérieur ? En plus, quand vous êtes une femme en France, vous êtes automatiquement cataloguée comme designer ou architecte d’intérieur. J’y suis restée trois ans. Pendant trois ans, j’ai appris beaucoup de choses qui m’ont permis de créer mon agence avec l’envie et la formation de faire les deux, en tant qu’architecte DPLG de pouvoir faire aussi du design et vice-versa. Il y a beaucoup de designers qui font de l’architecture d’intérieur, voire de l’architecture, mais il n’y a pas beaucoup d’architectes qui font du design, seuls quelques-uns vont faire un meuble sympa…
Quand j’ai créé mon agence (Maud Coubet Architects), je suis tombée sur des sujets de rénovation d’immeuble mais tout le monde pensait que j’étais architecte d’intérieur. J’avais beau dire qu’il fallait arrêter de prendre un architecte d’intérieur, puis un architecte puis un paysagiste… A chaque fois, cela s’accumule et, à chaque fois, on est confronté à un vocabulaire différent. Et, souvent, l’architecte d’intérieur est en confrontation avec l’architecte, il y a un problème d’ego assez exceptionnel qui va à l’encontre du bon sens.
Le réflexe de penser entre la petite et la grande échelle fait qu’ici la grande échelle est valorisée. Cependant, à force de dire aux investisseurs, aux promoteurs, aux maîtres d’ouvrage qu’il faut décloisonner, ils ont compris qu’il y avait peut-être un avantage à confier à une même personne le projet.
Ce décloisonnement est important pour vous et pour votre agence ?
Le décloisonnement, c’est aussi le rapport à la nature, au végétal. Très tôt, j’ai travaillé le végétal. J’aimerais à terme ouvrir une section de paysage à l’agence pour avoir la maîtrise de ce sujet. Souvent nous faisons des partenariats avec des paysagistes mais il y a une sorte de frustration. Ils ont leur vision, et une sorte de conflit peut naître, or il faut que l’architecture dialogue avec le paysage. Cette ouverture m’intéresse beaucoup.
Vous restez critique envers votre profession ?
La Villette est une super école, c’est une école très ouverte. Il y a des éléments qu’il faut faire valoir. Mais le système de l’HMO est dommageable. Les écoles d’architecture devraient inciter les architectes et les élèves à être plus revendicatifs, plus affirmés dans leurs idées. Le métier est en train de se perdre de plus en plus.
Les architectes entre eux ne sont pas confraternels. La concurrence ne nous aide pas. C’est un combat au quotidien pour trouver des clients, respecter le budget, respecter le projet, si en plus il faut faire valoir le métier, c’est une autre énergie. Il faudrait que notre profession revendique aussi. Sur la délivrance du permis, la profession aurait dû se bouger, et descendre dans la rue. Notre génération, celle de la quarantaine, va devoir faire bouger les choses parce qu’il y a sinon un risque d’explosion. L’architecture est profondément égoïste, voire un peu hypocrite. Se faire valoir de manière un peu plus politique, défendre notre métier, prendre la parole, c’est un objectif en soi.
Par exemple, l’expérience des concours de type «Inventons la métropole du Grand Paris» sont de très belles expériences entre architectes. La transition du star-system vers un autre système est amorcée, il faut que le travail soit plus collaboratif et, en eux-mêmes, les appels à projets innovants sont ouverts à ces collaborations. Cela nous a plu car le travail était collectif et non côte à côte. Les masques tombaient, chacun proposait son projet et était ouvert à la critique, afin de remporter le concours. A l’école, je souffrais lorsque les projets étaient exposés ; cela ne me pose pas de problème de dire qu’un projet est génial mais, en général, les gens ne le disent pas, il y a une forme d’aigreur, de manque de spontanéité. C’est révélateur.
Les concours innovants ont fait émerger de nouveaux talents et ont décloisonné les agences. Les scénarii d’usages et de construction émergeaient en même temps.
Par ailleurs, il y a un vrai manque de connaissance de l’architecture de la part des maires. Pour les appels à projets, mieux vaut choisir les maires les plus éclairés car s’il faut se battre en plus contre le pastiche… Les maires n’ont pas la culture, alors qu’ils ont un pouvoir. Quand vous postulez à un appel d’offres, en général, il faut cinq références sur la typologie sur les cinq dernières années, c’est complètement dingue. Un cuisinier sait parfaitement faire un menu complet, ce n’est pas parce qu’il fait des macarons qu’il ne doit faire que ça ? Pour les architectes c’est la même chose, ce n’est pas parce que l’on fait des écoles que la commande doit cloisonner une agence à construire des écoles.
L’intérêt des concours innovants était de changer ce paradigme. Cela a fait bouger les promoteurs, les architectes ont pu s’exprimer. C’est à double tranchant. La profession doit se remettre en question. Il faut le faire de manière heureuse et souriante, c’est un état d’esprit. Si je devais être engagée, ce serait avec le sourire. Poser les questions avec un sourire, sans complexe, avec de l’humour, ne doit pas être un drame. On n’arrivera pas à faire changer les gens par la contrainte mais en leur faisant découvrir l’architecture et leur en donnant l’envie.
Propos recueillis par Julie Roland