
Fiona Meadows est architecte DPLG depuis plus de trois décennies et enseigne depuis 28 ans à l’ENSA Paris-La Villette. L’enseignante alerte sur la situation préoccupante des ambitions pédagogiques des ENSA au regard des enjeux auxquels seront confrontés les futurs professionnels. Lettre ouverte.
Je suis architecte DPLG depuis 1990, lauréate de plusieurs prix et concours, ‘senior curator’ dans une grande institution publique nationale dédiée à l’architecture depuis sa préfiguration en 1999, fondatrice du concours Mini Maousse. J’enseigne à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris la Villette (ENSA Paris La Villette) depuis 28 ans. J’ai dirigé plus de 15 ans un master d’architecture et l’année de fin d’études et j’ai mené de nombreuses expériences pédagogiques dans des établissements prestigieux internationaux.
Je souhaite par cette lettre ouverte faire part de ma rentrée en tant que contractuelle au sein de cette école. Ce témoignage vise à éclaircir une situation fort préoccupante au sein de l’établissement.
Comme pour de nombreuses institutions publiques françaises, la situation ENSA Paris La Villette s’est en tout point fortement dégradée (manque de moyens, manque de personnel…). Les ENSA ne sont pas à la hauteur dans un monde aux enjeux prioritaires : la transition climatique, la lutte contre la spéculation immobilière effrénée, l’artificialisation des sols, le manque de logements et le mal logement.
L’architecture et la formation des architectes doivent jouer un rôle majeur dans la reconstruction de ce monde en péril. Forte de cette conviction que je porte depuis de longues années, je témoigne aujourd’hui de mon désarroi.
Deux mouvements d’actualité m’avaient déjà alertée ces derniers mois : les protestations et critiques des étudiants lors de la remise de leur diplôme (par exemple ceux de l’ENSA Paris Malaquais) et les revendications financières et statutaires des contractuels, qui demandent à travail égal salaire égal. Ces démarches nationales expriment un malaise profond qui atteint tout le système de transmission et de formation des architectes de demain.
En juin, après plus de 28 ans d’enseignement en Master et en diplôme, l’école me demande d’enseigner en première année. Je me plie à l’exercice car on me propose de travailler avec Félix Mulle, un jeune architecte talentueux qui s’intéresse aux usages, qui travaille en Seine-Saint-Denis.
Je suis enthousiaste à l’idée de cet enseignement partagé, qui devait apporter du dynamisme à la licence. En septembre, Félix Mulle démissionne. Je me retrouve sans binôme. J’alerte l’école qui me dit mettre une ouverture de poste de MCF (maître de conférences) associé pour recruter un enseignant associé.
Comme il y avait urgence, pour maintenir le haut niveau d’enseignement, j’ai moi-même sollicité des jeunes architectes reconnus. L’école m’a bien sûr autorisée à le faire car l’appel était ouvert.
Parmi les personnes que j’ai réussi à convaincre de postuler, il y avait deux filles, deux garçons, des architectes, dix ans plus jeunes que moi, une personne issue de la diversité et une autre avec une expérience professionnelle en Chine. Deux d’entre elles étaient des anciens diplômés de l’école elle-même. Parmi elles, Julien Choppin, fondateur de l’Agence Encore Heureux, architecte emblématique autour des questions écologiques.
Pour arriver à convaincre ces quatre personnes, j’ai passé énormément d’heures et il me semblait important de le faire pour l’école et les étudiants.
Le jury a écouté cinq candidats. Parmi ceux que j’avais pressentis, seul l’un d’entre eux, Julien Choppin, a été admis à se présenter à l’oral. Pour préparer la seconde étape, nous avons longuement travaillé tous les deux. Nous avons contacté Félix Mulle et l’une des responsables pédagogiques de la licence afin qu’elle nous explique les étapes du projet pédagogique. La note pédagogique jointe au dossier de candidature répondait aux exigences du poste.
Finalement, le jury a nommé un enseignant qui donne déjà des enseignements en tant que contractuel en licence. Ce choix a des conséquences que je tiens ici à relever.
Ce choix n’amène aucun renouveau pour l’école : si le fait d’être déjà enseignant en licence dans l’école était décisif ou prioritaire, il eût fallu le spécifier. Les critères de sélections et de choix de jury doivent être plus objectifs et plus transparents (bâtiments réalisés, articles de recherche, enseignements, …).
Ce choix montre que la question climatique, pourtant au cœur de nos vies actuelles, suite à l’été ravageur que nous avons tous vécu, n’est pas jugée suffisamment pertinente pour recruter un des architectes référents sur ces questions à l’échelle nationale (Julien Choppin a réalisé de nombreux projets d’architecture avec le réemploi de matériaux, l’architecture éco-conçue et le low tech, mais surtout a fait trois expositions majeures sur ces questions avec des catalogues de recherche conséquents : « Matière grise », « Lieux infinis » et « Énergies désespoirs ». Il a réalisé le village de la COP 21 et le pavillon de la France de Venise pour la Biennale d’architecture).
Je ne vais pas remettre en cause la décision d’un jury qui, comme me l’a dit la directrice de l’école, est souverain. Et je ne me permettrai pas de juger l’enseignant choisi qui, comme la directrice le dit « connaît bien cet enseignement et devient donc le responsable de votre groupe d’enseignement ».
Je tiens plutôt à interroger plus globalement ce que cette histoire raconte sur l’enseignement en binôme dans des écoles d’architecture. Dans cet enseignement en binôme, il y a un enseignant principal et un second enseignant. L’enseignant principal a plus d’heures d’encadrement. Mais quel est le rôle de l’enseignant secondaire ? Est-on toujours dans l’esprit de ENSA Paris La Villette, c’est-à-dire dans l’élaboration d’une pédagogie collaborative qui s’invente collectivement, avec les savoir-faire et compétences des deux enseignants ? Ou s’agit-il d’un retour à l’époque de l’atelier et du maître d’atelier ?
Dans cette procédure, j’ai le sentiment d’avoir été exclue d’un processus qui me concerne pourtant au premier chef puisque dans tous les documents administratifs de la rentrée, ce poste est associé à mon nom. Or, je n’ai pas été impliquée dans le jury, ni même entendue par le jury, je n’ai pas participé au processus de sélection des candidats. Être ainsi reléguée au rôle de potiche, n’est-ce pas la conséquence directe de mon statut de contractuelle ? Si oui, pourquoi travailler 28 ans dans une institution sans reconnaissance aucune des compétences et savoirs des contractuels ?
Pour finir : le clou de l’histoire, qui en devient par là même tout aussi comique que pathétique. Probablement gênée par son procédé, l’école propose un poste de vacataire (au salaire bien plus dérisoire qu’un contractuel et avec des droits au travail précaires comme chacun le sait) au candidat rejeté et lui demande de devenir l’assistant d’un autre enseignant en licence. Cette proposition découle du fait qu’en embauchant pour travailler avec moi l’enseignant interne à l’école, son ancien enseignement devient vacant !
Julien Choppin a bien sûr décliné cette offre. Il était intéressé par notre travail commun, dans les conditions d’enseignant associé. La proposition d’un poste de vacataire pour un professionnel de ce niveau me paraît extrêmement honteuse.
Cette expérience révèle également le mode de recrutement des enseignants associés : des jurys fermés et opaques, du clientéliste au profit des enseignants en place, l’absence de renouveau et de sang neuf dans les parcours professionnels choisis, le refus de nommer des professionnels innovants et créatifs, sans parler de la féminisation dérisoire des enseignant.e.s au niveau Master et Diplôme.
Par ce témoignage personnel, je souhaite alerter sur le niveau et les conditions de l’enseignement de l’architecture en France, indignes des objectifs et des exigences d’un enseignement supérieur public et de la réputation de certains de nos architectes.
Fiona Meadows
Architecte DPLG
Saint-Denis, 27 septembre 2022