La pénurie de matières premières pousse à ouvrir des mines ou à forer des puits dans des conditions toujours plus inquiétantes. Pourquoi aller toujours plus loin alors que les villes offrent d’excellents gisements et se présentent comme des mines bien sous-exploitées ?
Mines urbaines. C’est le nom d’une chaire créée en 2014 sous l’égide conjointe d’écoles d’ingénieurs et d’Ecosystem. Voilà un concept intéressant, bien en phase avec le principe d’intensité, faire plus avec moins, rendre plus de services avec moins de matières premières. Le facteur 4, deux fois plus de bien-être en prélevant deux fois moins de ressources, est en marche.
L’économie circulaire est en pratique fondée sur l’idée que les rejets des uns sont les matières premières des autres. Une forme de métabolisme à organiser. Les déchets contiennent quantité de matières bonnes à utiliser, les chiffonniers ne me contrediront pas. Il n’y a plus de décharges dans notre pays (en principe), mais il n’en est pas de même dans beaucoup d’autres, où elles sont devenues des lieux de vie, malgré tous les risques qui y proliférèrent.
A l’origine, Ecosystem et ParisTech se sont posé la question : « Comment exploiter un type de « mines » innovantes, disponibles et répandues dans toutes les couches de notre société ? ». En effet, selon un rapport de la Global e-Sustainability Initiative (GeSI) et de l’université des Nations-Unies, « les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) issus de toutes les activités humaines sont ainsi de véritables « mines urbaines », qui contiennent de nombreuses matières recyclables. Ces mines urbaines peuvent parfois renfermer des « gisements » de métaux précieux 40 à 50 fois plus riches que ceux extraits du sol ».
« Ces mines urbaines, véritables sources de matériaux rares et aux caractéristiques mal connues, doivent être exploitées dans le respect des principes du développement durable. Leur exploitation bénéficiera à tous : les citoyens et les industriels producteurs de nouveaux produits manufacturés (électriques ou non) ainsi que les opérateurs du recyclage ».
Le concept de « mines urbaines » permet de mettre de l’ordre dans la recherche des ressources présentes dans les nombreux « résidus urbains »., au-delà des collectes sélectives. Il n’y a pas que les ordures ménagères. Les calories des eaux usées peuvent être récupérées selon plusieurs techniques, à l’échelle de l’immeuble ou du quartier. La matière organique donne lieu à récupération, avec les boues des stations d’épuration, les déchets verts, y compris ceux compostés au pied d’immeuble. Les eaux usées elles-mêmes pourraient être recyclées pour différents usages, urbains ou agricoles.
L’aménagement du sous-sol provoque de plus en plus d’excavations. Une multiplication par 10 à chaque siècle. Ce sont des millions de tonnes de terre qui sont extraites, et ce n’est pas fini : rien que le chantier du Grand Paris Express produira 45 millions de tonnes sur dix ans. Des terres au statut incertain, selon leur nature, leur pollution éventuelle, leur localisation. Le statut de déchet leur est souvent donné, avec les contingences qui vont avec.
Le défi est de transformer ce « déchet » en ressource, et compte tenu des volumes, le jeu en vaut la chandelle. Exploiter cette valeur n’est pas une affaire simple. C’est toute la chaîne, de l’excavation à la réinstallation qui est concernée, pour conserver leur qualité aux « terres urbaines », appellation d’une autre chaire, animée par l’école des ingénieurs de la Ville de Paris et l’entreprise ECT. C’est aussi le titre de leur dernier ouvrage sur le sujet.*
La « ville durable » maximise l’usage de ses ressources propres et de celles qu’elle importe. Réemploi, recyclage, valorisation de déchets de toute nature, la ville s’y prête bien, du fait de sa diversité et du rapprochement des acteurs intéressés.
La ville est une mine.
Dominique Bidou
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* Terres urbaines, sous la direction de Youssef Diab, responsable de la chaire « Valorisation des terres urbaines », aux éditions Eyrolles, 2023