À Montceaux-lès-Meaux (Seine-et-Marne), une propriété de famille du XIXe siècle, à deux étages avec toit en ardoise, déjà plusieurs fois remaniée au cours du temps : ajout de colonnes dans le salon et d’une loggia donnant sur un parc arboré, censées conférer au lieu un air (lointain) de palazzo italien. Puis Metek (Sarah Bitter, Christophe Demankte) pour une réhabilitation subtile et juste livrée en 2024. Communiqué.
Sarah Bitter, cofondatrice de l’agence Metek, lorsqu’elle a visité la première fois cette maison avec pour mission de la rénover n’avait aucune idée préconçue. Au premier abord, la façade couverte de lierre, l’architecture au style disparate, la présence d’éléments en toc (une porte à faux double ventaux, une fausse fenêtre murée) masquaient et brouillaient un peu tout.
Une approche globale, coordonnée, proche de celle d’une ensemblière
Pour y voir elle-même plus clair, Sarah Bitter a commencé par faire entrer la lumière – percement de fenêtres (retrouvant par la même occasion une ouverture indiquée par une autre fausse fenêtre), création d’un nouveau point de vue de la cuisine sur la loggia et le jardin. Mise aux normes d’une électricité vétuste, en privilégiant, dans cette maison intégralement moulurée, des gestes discrets. Simultanément, elle a procédé, à tous les étages, où une multitude de chambres étaient encombrées de bibelots, meubles dépareillés et de souvenirs, à un inventaire scrupuleux. Avec l’intuition que ces meubles fondus dans ce décor chabrolien, que personne ne regardait plus, ne savait ni démonter ni remonter, que personne n’osait mettre au rebut ou vendre, étaient en réalité l’âme du lieu, et constituaient un gisement. Une mine d’idées.
Ainsi Sarah Bitter a-t-elle choisi de ne pas dissocier les interventions nécessaires à la structure, les indispensables mises aux normes (électriques et thermiques), du choix des revêtements et des aménagements. Optant pour une approche globale, mais coordonnée, proche à vrai dire de celle d’une ensemblière. Où architectures d’intérieur et d’extérieur, traitement de la structure et des surfaces, s’articulent étroitement. Où squelette et peau du bâtiment doivent être organiquement liés.
Dès le début du chantier, Metek se trouvait déjà au coeur de son projet : rénover l’existant tout en inventant des manières de redonner une seconde vie à un héritage.
Un jeu habile de transferts et de réemplois
On le sait, le réemploi des matériaux demande beaucoup de temps et de délicatesse : décoller un par un au burin des carreaux artisanaux de faïence bleu de Sèvres années 50 pour recomposer un nouveau décor dans la cuisine, déplacer un vitrail fragile d’une fenêtre à une autre. Il faut savoir convaincre un menuisier de démonter une armoire ancienne pour en réutiliser seulement les portes et les encastrer à même un mur destiné à accueillir une placard. Ou d’assembler deux tables, l’une ronde l’autre rectangulaire, associant des bois d’essences différentes (du pin et du chêne) pour une créer une nouvelle table hybride.
Associer une planche en bois massif et un fond d’armoire. Changer l’axe d’une porte, la transformer en banc à dossier ajouré. Fixer les plateaux marquetés à des pieds en métal à roulettes. Imaginer des tables isolées, pensées pour les repas pris dans la cuisine, mais qui, mises bout à bout, pourront accueillir des banquets dans le salon ou dans la galerie ouverte. Les rencontres entre les teintes, les brillances et le mat des bois assemblés sont belles. Le menuisier lui-même d’abord sceptique, rechignant à transformer un montant d’armoire en desserte, avoue être « très heureux » du résultat. Le client aussi.
Bien plus qu’un relooking
Déposes. Reposes. Réassemblages, détournements d’usages et recouvrements partiels. Par exemple : le cuir de Cordoue découvert en cours de chantier sous la tapisserie qui revêtait les murs du salon n’a été ni lissé ni restauré, mais peint en noir mat pour laisser affleurer de beaux motifs floraux estampés. Dans une démarche aux antipodes de la tabula rasa (tout vider et tout remeubler avec des grands standards du design) ou d’une rénovation façon Jacques Grange dans un mélange (aujourd’hui un peu convenu) de classicisme et de modernité, Sarah Bitter et Christophe Demankte ont fait le choix, qui est bien plus qu’un relooking, d’une marqueterie : « ensemble fait de parties disparates » (selon Montaigne). Cette pratique née à Florence à la Renaissance est ici appliquée à l’échelle micro et macroscopique. Avec patience, attention aux matériaux et écoute de l’histoire, toutes les histoires – domestiques, stylistiques, sédimentées, visibles et invisibles – du lieu.
Afin de rendre mobile ce qui ne l’était manifestement plus (le mobilier, des éléments de décor). Le geste notamment, d’assembler un élément issu d’un meuble ancien et un profilé métallique industriel, cette greffe de l’artisanal sur des éléments standards, est loin d’être banale, et vient même bousculer un certain nombre d’idées reçues sur les matériaux.
Avec cette approche palimpseste, qui procède autant de l’architecture que du design, Metek accomplit l’exploit de recycler des pans entiers d’un patrimoine mobilier et immobilier, grâce à un projet d’une fraîcheur totale et d’une élégance non tapageuse, qui en cela se démarque de l’esthétique du recyclage affiché, prétendument éthique et souvent indigent. Inventant, par la même occasion, une nouvelle grammaire de formes qui révise complètement la manière de penser l’existant. Et rouvre le chantier de la mémoire.
Célia Houdart
juin 2024