Comment instaurer un dialogue architectural entre deux bâtiments côte à côte mais séparés par 2500 ans d’histoire ? C’était le défi et l’enjeu du projet réalisé à Nîmes par Elizabeth de Portzamparc. Enveloppé dans une façade de verre translucide, l’ouvrage en lévitation fait face à la verticalité des arcs et à la masse imposante des arènes solidement ancrée dans le sol. Poids des ans ? Visite.
A Nîmes (Gard), ce défi est sans cesse renouvelé. En témoigne notamment le Carré d’Art Jean Bousquet conçu par Norman Foster, regroupant déjà bibliothèques, médiathèque et musée d’art contemporain. Qualifié de «temple contemporain face au temple antique», ses proportions sont celles du temple romain tandis que l’espace entre les deux bâtiments, aménagé en place, rappelle symboliquement le forum antique.
Le Colisée des Japonais Kisho Kurokawa et Mieko Inoue, un ensemble de bureaux, commerces et logements construit en 1991, s’inspire également sans détour de l’amphithéâtre romain. Même Jean Nouvel, tentant en 1987 de redéfinir le logement social, intitulait son projet ‘Nemausus’, en latin. Le poids écrasant de l’histoire est donc partout présent à Nîmes, encore plus sur les épaules des architectes les meilleurs.
Sachant que ce sont justement l’Amphithéâtre, la Maison Carrée, la Tour Magne et les vestiges du rempart qui font l’identité de la ville, comment donc faire un musée intitulé ‘de la romanité’ qui puisse s’absoudre d’une inspiration convenue sans pour autant nier le contexte ?
D’autant qu’il s’agit encore avec ce bâtiment de compléter un aménagement urbain qui, sur ce site, en plein centre-ville, en sus des arènes, voit le palais de justice, ouvrage néoclassique livré en 1846 par l’architecte Gaston Bourdon, rappeler à jamais le fantasme à fronton des dogmes patrimoniaux.
Elizabeth de Portzamparc, lauréate du concours (septembre 2011 / avril 2012), s’est appuyée pour son projet sur la raison même de la naissance de ce musée de 9 200 m².
En 2006 et 2007, avant les travaux de transformation des allées Jaurès à Nîmes, sur le site d’une domus (maison romaine), des fouilles mettent au jour deux mosaïques remarquables et parfaitement conservées de 50 et 35m², œuvres dites d’Achille et Penthée.
Un trésor inestimable selon les spécialistes. «Les plus belles pièces après celles de Pompéi», disent-ils. Le fait est que ce chantier d’archéologie préventive était d’envergure puisqu’il a mobilisé pas moins d’une trentaine d’archéologues pendant dix mois. Ce sont donc ces mosaïques remarquables qui ont remis à l’ordre du jour le projet d’un musée contemporain pour présenter les richesses des collections.
Certes, dans la région, pour trouver des artefacts romains, il suffit de se pencher et de creuser un peu. Les lampes à huile se comptent par milliers et les conservateurs ne savent plus quoi en faire. En octobre 2016 par exemple, c’est une autre mosaïque de 60 m², dans un exceptionnel état de conservation, avec des décors de style hellénistique, qui est découverte à Uzès, à 24 km de Nîmes. La mairie d’Uzès s’est engagée, après études et restauration, à faire revenir en ville cette mosaïque. Un nouveau musée en perspective ?
A Nîmes, l’objet du musée de la romanité est de permettre au visiteur, à travers un parcours du VIIe siècle av. JC jusqu’au Moyen Âge, d’appréhender le processus de «romanisation» de la société, avant et après l’occupation romaine.
Nonobstant le fait qu’une façade légère s’imposait pour un bâtiment lourd car devant soutenir de très fortes charges dans sa muséographie – la moindre borne minière fait trois tonnes, les pierres du fronton antique en pèsent 26 – et que la légèreté s’imposait en regard de la puissance et de la force des arènes adjacentes, dans le projet d’Elizabeth de Portzamparc, c’est donc une céramique stylisée composée de petits carrés de verre sérigraphié qui emporte le projet.
Ce n’est pas tant ce concept puisé dans la grande et petite histoire qui fait la contemporanéité de l’ouvrage mais les techniques et savoir-faire actuels qui sont mis en oeuvre et qui permettent ces ondulations de façade, contemporanéité renforcée justement du fait de la simplicité du matériau et de l’abstraction de la composition ; face à la masse des pierres, une architecture diaphane dont le dessin ne dénature pas par des annonces tapageuses ce qui est à découvrir dans le musée.
Sans compter que cette façade permet de maîtriser la lumière plutôt que de la subir.
«Selon les différents moments de la journée, la façade offre des effets cinétiques, des variations subtiles de reflets en fonction de l’angle, des inclinaisons, des creux et bombés, qui accentuent son mouvement et la métamorphosent sans cesse au fil des heures et des saisons, créant un dialogue avec la ville en reflétant les couleurs, la lumière et la vie environnante», indique l’architecte. «Cette structure a aussi permis de réaliser des économies de matières premières et de coût de fabrication», souligne-t-elle également, en regard d’un budget tenu selon les promesses de toutes les parties.
La problématique de l’eau est omniprésente à Nîmes. De fait les réserves du musée sont conçues dans un cuvelage étanche. Comme quoi, même un cuvelage ramène à l’histoire. Le site est celui d’un ancien temple païen dédié à l’eau, remplacé plus tard par un temple romain. Il accueille aujourd’hui un splendide fragment subsistant du fronton du sanctuaire de la source, au pied de la tour Magne.
Cette relique est devenue un élément majeur du projet d’Elizabeth de Portzamparc qui eut l’intuition d’une rue traversant le musée, de la place des arènes vers un jardin archéologique de 3 400m², lieu public lui-même relié à l’arrière du quartier. «A Nîmes, les habitants et les visiteurs voient le patrimoine dans ses dimensions réelles, cette rue monumentale s’inscrit donc dans l’échelle de la ville», souligne l’architecte.
Flouter les frontières entre espaces publics et privés, sinon les abolir, suscite des interactions. Cette rue intérieure suit le tracé de l’ancien rempart augustéen et passe donc sous le fronton du sanctuaire, l’occasion d’ouvrir le musée au quartier autant que de permettre à tout un chacun de découvrir et traverser le rez-de-chaussée du musée entièrement vitré et ouvert sur le parvis, un traitement au sol prolongeant l’intérieur vers l’extérieur et vice-versa.
Par cette imbrication dans la ville, le musée dépasse la simple fonction d’exposition pour devenir, quasi littéralement, une porte à plusieurs entrées vers la ville contemporaine et historique. Le raccourci pour rejoindre la gare à travers le jardin archéologique en étant sans doute la meilleure démonstration puisque le site était autrefois la limite entre la ville moyenâgeuse et la ville moderne.
«Concevoir une architecture légère, rendue possible par la technologie actuelle, m’a semblé une évidence, ainsi que d’exprimer les différences entre ces deux architectures à travers un dialogue basé sur leur complémentarité. D’un côté un volume rond, entouré par les verticales des arcs romains en pierre et bien ancré au sol, de l’autre un grand volume carré, en lévitation et entièrement drapé d’une toge de verre plissé», résume Elizabeth de Portzamparc.
Même si, comme ses prédécesseurs, l’architecte a dû intégrer dans sa réflexion le poids des pierres, pour autant elle ne singe pas l’histoire. Son bâtiment ne lutte pas avec les arènes, n’établit pas de rapport de force, sans pour autant s’inscrire dans un rapport de sujétion.
A l’intérieur, le musée offre une entrée monumentale, des escaliers ‘Chambord’ organisant les circulations. Ici, l’architecte a créé à l’entrée des salles d’exposition permanentes ce qu’elle appelle des «boîtes du savoir» qui sont destinées à la pédagogie et qui introduisent les séquences, donnant des clés pour mieux appréhender le contenu présenté dans le reste du parcours. Un dispositif qui laisse ensuite la possibilité de «rêver» devant des œuvres soulagées de gadgets encombrants.
Si un parcours cohérent et chronologique courant sur vingt siècles est proposé, échappées et «coupe-circuit» abondent. Même les ‘boîtes du savoir’ ne sont pas des passages obligés. L’architecte propose ainsi une voie médiane entre une visite contrainte à la pédagogie envahissante et une visite totalement libre parfois source (ou symptôme ?) de désorientation intellectuelle. Quel que soit le parcours, les ouvertures de la façade mettent en scène les arènes monumentales proches à toucher.
Tous les espaces ou presque sont réversibles, c’est-à-dire que les œuvres pourront tourner et le musée se réinventer constamment au gré des conservateurs et des acquisitions. Une volonté exprimée dans la surcharge d’exploitation qui anticipe le déplacement d’objets pesants. Cette réversibilité et adaptabilité des espaces répondent à des problématiques tout à fait actuelles et c’est à ce titre aussi que ce musée est bien de son temps, malgré le poids de l’histoire dedans, dehors et tout autour.
Voire au-dessus. En effet le musée intègre un belvédère accueillant et généreux situé sur la vaste toiture-terrasse qui offre au visiteur une vision panoramique sur toute la ville avec en premier plan les Arènes et un peu plus loin la tour Magne. Il y aura là aussi un restaurant. L’accès à cette terrasse est public, ce qui participe encore de la volonté de l’architecte de flouter les frontières public/privé. Saluer ici la volonté de la ville de créer des lieux traversants, au sens propre.
Le musée propose également un auditorium vitré de 180 places ouvert sur le jardin archéologique, des salles dédiées aux ateliers pédagogiques et un centre de documentation. Ouverture prévue en juin 2018. Il aura coûté environ 60M€ (coût de l’opération totale), la ville de Nîmes finançant le musée à hauteur de 36M€. Le coût des travaux s’élève à 37M€.
«Le Musée de la Romanité s’inscrit parfaitement dans la philosophie de la candidature de Nîmes au patrimoine mondial de l’Unesco sur le thème de ‘L’Antiquité au présent’», a indiqué Jean-Paul Fournier, sénateur du Gard et maire de Nîmes, lors de la livraison du bâtiment en juillet 2017.
Un bâtiment contemporain et pas encore livré déjà au patrimoine de l’humanité, c’est de bon augure comme diraient les Romains.
Christophe Leray