Le jeudi 5 octobre 2023, sur le site de l’ancienne caserne Sully à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), la première pierre du futur Musée du Grand Siècle, projet confié en 2022 à l’architecte Rudy Ricciotti, a été posée devant un aréopage départemental enthousiaste. Un musée à 100 M€ quand les collectivités crient misère ? Par la volonté d’un seul homme ? D’un homme seul ?
En proche banlieue parisienne, le projet* consiste en résumé en la restructuration en un musée du Grand Siècle de l’ancienne caserne Sully, composée de deux bâtiments patrimoniaux et implantée dans le bas du parc de Saint-Cloud, pour ceux qui connaissent le festival Rock en Seine. Le Grand Siècle ?
Dès les premiers mots du premier discours, et tout au long des interventions des orateurs suivants, l’ombre de feu Patrick Devedjan plane sur la cérémonie. À tel point de comprendre bientôt, à l’évocation répétée et soutenue de l’ancien président des Hauts-de-Seine, emporté par le Covid en 2020, que ce musée était pour lui, comme l’ont bien expliqué ses amis, « le dessein d’une vie ! ». Pas un projet de mandature donc comme le souligne Georges Siffredi (LR), son successeur à la tête du Conseil départemental maître d’ouvrage.
Passion singulière ?
D’apprendre en effet, puisque l’on parle décidément beaucoup de lui en cette occasion, que Patrick Devedjan, homme « de grande culture » et « collectionneur », affectionnait particulièrement ce Grand Siècle, dont les dates imprécises donnent lieu à débat mais disons la période allant de 1610 à 1723, autour du long règne de Louis XIV.
Patrick Devedjan avait le contenant : l’ancienne caserne Sully à l’orée du parc de Saint-Cloud achetée par le département à l’État en 2016 et inoccupée depuis cette date. Il avait le contenu puisque le département avait reçu en donation la collection de Pierre Rosenberg, académicien et ancien président-directeur du Louvre, composée de 694 tableaux et près de 3 500 dessins d’artistes du XVIe siècle au milieu du XXe siècle, ainsi que 50 000 ouvrages. Enfin, l’ancien ministre avait le nerf de la guerre puisque le Département investit plus de 100 M€ pour l’ensemble de l’opération. Un exploit quand les collectivités n’ont d’habitude plus d’argent pour la culture !
Bref, ce musée original est (était) le projet d’un homme, que les Clodoaldiens et Clodoaldiennes et le monde entier seront heureux de partager. Rudy Ricciotti, durant son discours, pouvait féliciter Georges Siffredi, qui a repris le flambeau qui l’attendait sur son bureau de président du Conseil départemental à son arrivée, « d’avoir résisté aux oppositions acariâtres ».
De fait, il était prévu dans un premier temps que la parcelle, coincée entre giratoire routier, autoroute et quais de Seine dédiés à la voiture, serait destinée à du logement, dont manque cruellement Saint-Cloud. Bonne nouvelle : aucune opposition apparente à cette première pierre symbolique puisque les logements en question seront bien construits, mais ailleurs sur la commune. Et l’architecte d’expliquer que, « redonner un sens politique à la culture, c’est fabriquer de la cohésion sociale », surtout quand, dit-il, il crée ici « un musée à 3 000€ / m² quand un confrère américain le ferait pour 30 000€ / m² ! ».
Dans le projet, rien d’origine ne restera à part les murs, et même eux auraient pu ne pas être conservés. Le paradoxe est que quand Rudy Ricciotti en aura terminé des travaux, avec Christophe Batard, Architecte en Chef des Monuments Historiques associé (2BDM) qui va s’occuper des façades, voilà une ancienne caserne décatie qui pourrait bien finir en monument historique, l’architecture militaire redevenue royale. Si la République n’est pas bonne mère… « Ce lieu incarne l’avant-garde ou comment recréer un lieu avec l’héritage culturel », se félicite Rudy Ricciotti.
Il faisait beau lors de la cérémonie. Heureusement car la cour enchâssée entre les bâtiments et un énorme mur de soutènement de l’autoroute était remplie de déblais, qui en ruisselant auraient sans doute gâché la fête un jour de pluie. Cette terre est issue notamment des fouilles archéologiques qui ont permis de faire remonter l’histoire du site jusqu’à 20 000 ans avant notre ère, bien avant que le petit-fils de Clovis en fasse un lieu de villégiature.
Ce tas de terre était de fait le rappel, aussi subtil qu’involontaire, que toute la complexité du projet proposé par Rudy Ricciotti est invisible et le demeurera une fois livré. En effet, pour préserver les espaces muséaux à l’air libre en somme, c’est le sous-sol qui sera exploité – parking, circulations, réserves, auditorium de 120 places, d’importants espaces logistiques, des espaces immersifs et la salle des expositions temporaires, etc. – sous-sol qu’il va donc falloir creuser jusque sous l’existant dans un site contraint. « On en bave dans le sous-sol », raconte Ricciotti décrivant le défi technique, l’assistance hilare peinant à comprendre le sérieux du propos de l’homme de l’art.
Sera visible cependant le Belvédère, dont « l’architecture est l’expression de sa structure », seule construction neuve et indubitablement signée de « l’architecte provençal » comme on dit dans les pince-fesses des Hauts-de-Seine.
« Comprendre le parti classique requiert une attention, un apprentissage du regard. En cela, dans cette suggestion d’initiation progressive, il y a le Grand Siècle par opposition à notre époque qui suggèrerait plutôt une réponse immédiate. La vertu profonde de la réponse architecturale est qu’elle propose un héritage historique non pas au sens d’une affirmation révélée mais d’un questionnement fertile au travers d’un cheminement. C’est peut-être la seule possibilité éthique, la seule honnêteté intellectuelle dans une époque qui se déprend de toute considération pour ce que l’on nomme la sagesse », explique l’architecte.
La sagesse d’un prince départemental éclairé par exemple ? Ou est-ce caprice d’un baronnet qui mélange passion intime et intérêt général ? En tout cas, un musée, c’est mieux que deux tu l’auras…
Pour finir, quelques notes impromptues sont venues perturber – oh, à peine – le concert bien ordonnancé des louanges réciproques. Éric Berdoati, le maire (DVD) de Saint-Cloud a dans son discours préliminaire particulièrement loué le Mémorial de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), œuvre de l’architecte Rudy Ricciotti qui l’a « le plus ému ». Rudy Ricciotti le patriote s’est permis quelques instants plus tard de rappeler à l’attention de cette assistance très bien mise un moment d’histoire.
Dans ce camp furent déportés plus de 7 500 personnes, hommes, femmes et enfants. « Les listes furent établies par les services français de la préfecture, puis ce sont des gendarmes français qui ont arrêté tout le monde puis des cheminots français qui les ont exportés dans des wagons à bestiaux fermés de l’extérieur », a-t-il relaté. Un gros ange est alors passé, faisant frémir les plantes vertes.
Pour le coup, l’architecte a pu à son tour évoquer Patrick Devedjan, fils d’un immigré fuyant le génocide arménien, relevant que lui ne se serait sans doute pas contenté d’un silence gêné en regard des évènements actuels en Arménie. « Sa voix nous manque », a dit quelqu’un dans l’assistance. Sans doute, sans doute… Du coup un autre ange est passé à travers les plantes vertes.
Puis, la première pierre dûment posée, c’était l’heure du buffet.
Livraison prévue : 2026.
Christophe Leray
* Pour en savoir plus, lire le communiqué du maître d’ouvrage : À Saint-Cloud, le musée du Grand Siècle, signé Rudy Ricciotti
Découvrir le futur Musée du Grand Siècle en vidéo.