
L’été est là ! Direction la plage pour profiter de la mer et du ciel, se détendre, nager, jouer et peut-être même se faire de nouveaux amis. Et si vous êtes accro à la vie urbaine ? Pas de problème : beaucoup de villes ont des plages avec lesquelles elles entretiennent une relation symbiotique depuis des siècles, tandis que d’autres sont des signes avant-coureurs de l’avenir. Chronique d’Outre-Manche.
Londres possède une belle plage de sable naturelle, en plein centre, à St Gabriel’s Wharf, avec vue sur la cathédrale Saint-Paul. Elle n’est jamais très fréquentée et n’est visible qu’à marée basse. Sinon, divers rectangles de sable sont présentés comme des plages urbaines, mais ce ne sont en réalité que des bacs à sable agrandis où faire du sport ou regarder un écran géant. Si seulement Londres avait quelque chose comme Paris-Plages, qui attire quatre millions de visiteurs par an (et qui a une thématique brésilienne cette année)…
Sur la côte sud de l’Angleterre, Eastbourne* et Brighton étaient des villages côtiers qui devinrent soudainement à la mode lors de la visite des enfants du « Roi Fou George » dans les années 1780. Bien sûr, la bourgeoisie qui leur succéda recherchait la vue sur la mer, et les promoteurs s’approprièrent le front de mer pour la leur offrir. D’élégantes terrasses résidentielles blanches, reprenant toutes le même style, s’étendaient le long du front de mer. La classe ouvrière industrielle anglaise traditionnelle, elle aussi, recherchait la vue sur la mer lors de ses quelques jours de vacances annuels. Le chemin de fer les amenait en masse vers les stations balnéaires. Blackpool était une destination prisée, à proximité des centres industriels et miniers du Lancashire. Elle disposait de trois jetées, de lieux de divertissement dignes de Londres et, surtout, d’innombrables sensations fortes à petit prix.

En été, la plage de Blackpool était une véritable marée de visiteurs de la classe ouvrière. C’était incroyable ! Jusque dans les années 1970, hommes en veste, foulard sur la tête, et femmes en jupes longues étaient assis sur des transats, brûlant au soleil, si serrés les uns contre les autres que les ânes ne pouvaient pas passer. Ce qui a fait la réputation de Blackpool n’était pas sa vie balnéaire mais son extraordinaire architecture. La tour de Blackpool, haute de 158 m, inspirée de la tour Eiffel et conçue par les architectes locaux Maxwell et Tuke, fut inaugurée en 1894 et devint une icône nationale.
Brighton a tenté d’exploiter cet effet de tour emblématique en bord de mer en 2016, avec l’i360, haute de 162 m, conçue par Marks Barfield. Une plateforme d’observation futuriste en forme d’anneau s’élève sur une simple colonne de béton et offre une vue imprenable sur la ville, la plage, la campagne vallonnée du Sussex et le parc éolien offshore Rampion, d’une capacité de 400 MW et composé de 116 éoliennes en mer, dont les pales atteignent la hauteur de la plateforme. De nombreux habitants détestent i360, qui a récemment fait faillite, mais qui est de retour cette année.

À partir des années 1960, les forfaits vacances économiques avec vols et hôtel en Méditerranée ont commencé à drainer les vacanciers d’Europe du Nord, comme la marée descendant sur le sable. Pedro Zaragoza, maire d’un village de pêcheurs espagnol appelé Benidorm, a été un catalyseur de ce nouveau type de tourisme de masse. En 1953, il a autorisé les bikinis sur la plage. Menacé d’excommunication par l’Église catholique, Zaragoza s’est rendu à Madrid en Vespa pour obtenir le soutien personnel du général Franco. Il a ensuite construit des avenues et sécurisé l’approvisionnement en eau, et le village est devenu une ville.
Au fil des générations, les terres étaient divisées en bandes s’étendant vers l’intérieur des terres, chacune divisée à son tour au sein des familles. Les femmes obtenaient des parcelles côtières, les hommes des parcelles plus propices à l’agriculture. Mais ces femmes ont eu le dessus avec l’arrivée du tourisme, car leurs parcelles offraient une vue sur la mer. Les promoteurs ont construit des hôtels qui superposaient les étages pour les exploiter. En 1969, un immeuble d’appartements conçu par Juan Guardiola Gaya a été le premier à dépasser les 30 étages. Le littoral étant presque entièrement comblé, l’expansion a dû se poursuivre vers l’intérieur des terres, et les bâtiments ont dû être encore plus hauts pour profiter de la vue. À 350 m de la plage, le Gran Hotel Bali, conçu par Antonio Escario et culminant à 186 m, est devenu le deuxième plus haut hôtel d’Europe en 2002. Benidorm ne compte que 70 000 habitants permanents, mais son urbanisation verticale paraît presque aussi dense que celle de Hong Kong. C’est un modèle pour les villes commerciales orientées vers la plage dans le monde entier.

Les citadins sophistiqués peuvent se moquer de stations balnéaires comme Benidorm, réputée sa rue de la soif où les jeunes Britanniques presque nus s’ébattent sur de la musique trash et où les personnes âgées se baladent en fauteuil roulant sur l’esplanade. Mais Benidorm évolue : elle exploite ses atouts historiques et culturels locaux, promeut des activités comme la randonnée et le vélo, et privilégie désormais le développement durable. Elle a protégé les forêts naturelles et la biodiversité marine, réduit l’effet d’îlot de chaleur grâce à des plantations d’arbres, atteint 36 % de recyclage des eaux usées, créé 135 km de pistes cyclables, et bien plus encore. Espérons que Benidorm redevienne un modèle pour les villes balnéaires du monde entier, cette fois grâce au tourisme soutenable.
Ce qui est sensationnel avec des villes comme Blackpool ou Benidorm est qu’elles accueillent tout le monde, à l’inverse des complexes hôteliers exclusifs, en plein essor, construits pour attirer les riches. Aussi écologique que soit l’architecture des complexes hôteliers de luxe, leur clientèle a beaucoup à se reprocher en matière de développement durable. Une étude publiée le 7 mai 2025 dans Nature Climate Change** estime qu’entre 1990 et 2020, les 10 % les plus riches de la planète ont contribué aux deux tiers du réchauffement climatique. Quant à la durabilité sociale, elle était menacée bien avant que Trump ne promulgue son imposant transfert de richesses des jeunes, des personnes vulnérables et des travailleurs américains vers les milliardaires, certains déterminés à pervertir l’humanité avec une IA avide d’énergies non durables.
N’oublions pas que l’inclusion favorise l’harmonie sociale, la vie civique et l’activité économique. C’est une chose à laquelle les architectes devraient réfléchir lorsqu’ils se prélassent au soleil sur le sable.
Herbert Wright
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* Lire la chronique À Eastbourne, Dieu peut attendre
** https://www.nature.com/articles/s41558-025-02325-x