Un bâtiment construit pour de mauvaises raisons avec un programme lourd de sous-entendus est-il voué à l’autodestruction ? De quoi le Parlement européen de Bruxelles est-il le symptôme ? L’ouvrage, vieux d’à peine plus de 20 ans et construit on ne sait trop comment, devrait être bientôt détruit, ne serait-ce que pour éviter des coûts de rénovation prohibitifs. Un ticket à un demi-milliard d’euros !
En 2012, le bâtiment Paul-Henri Spaak construit en 1993, qui accueille le Parlement européen à Bruxelles, avait connu un incident d’importance avec l’effondrement partiel du plafond de la chambre plénière, un désordre causé par des fissures dans le toit de l’immeuble. Heureusement pour la démocratie européenne, l’incident s’est produit au mois d’août ; les députés européens tous absents, les travaux de réparation ont été réalisés avant leur retour.
Mais l’alerte avait été chaude et, en 2015, le budget européen prévoit des provisions pour rénover entièrement le bâtiment. Que ce bâtiment, plus de 20 ans plus tard, fasse l’objet d’un coup de jeune et d’une mise à jour de l’aménagement et de la décoration n’a rien de scandaleux en soi. Que les travaux coûtent un peu non plus. A charge pour l’administration européenne de produire un rapport de synthèse de deux rapports indépendants, l’un allemand, l’autre français, commandés par la commission afin d’évaluer les budgets selon les différentes options et hypothèses de rénovation*.
C’est ce rapport qu’a dévoilé le 12 juin 2017 le site Politico**. Et là, surprise !, le haut fonctionnaire en charge du dossier ne propose rien moins que de raser le bâtiment et d’en construire un neuf. Démolir un bâtiment d’à peine 24 ans – le Parlement européen rien moins -, bonjour le symbole auprès du contribuable !
Il faut pourtant se rendre à l’évidence. Le rapport pointe un nombre impressionnant de dysfonctionnements. Non seulement le bâtiment ne respecte pas ou plus les normes de l’Eurocode, dont celles de sécurité – ce qui est gênant pour une administration dont l’une des fonctions principales est la production de normes européennes -, mais il souffre surtout de nombre de désordres, qu’il s’agisse «de la ventilation, des conduites d’eau, de gaz et d’électricité, de soucis d’isolation et d’infiltration d’eau».
«Il y a un problème de fondations : ce bâtiment est très peu stable, il a été mal conçu», affirme Alain Hutchinson, commissaire en charge des Relations avec les institutions européennes, cité par L’Écho, le quotidien belge de ‘l’économie et de la finance’. Conclusion du rapport, il coûtera moins cher de reconstruire en neuf – à 500 M€ le ticket quand même – que d’essayer de réparer ce bateau ivre. C’est dire si le bâtiment est en triste état.
De quoi donner du grain à moudre aux députés qui souhaitent ne plus faire la navette entre Strasbourg et Bruxelles. Dès le 8 octobre 2015, un groupe de députés européens estimait, «dans l’hypothèse où des travaux de rénovation de grande ampleur devaient être engagés à Bruxelles au cours des prochaines années», qu’il était salutaire de transférer l’ensemble des activités plénières à Strasbourg, «afin d’optimiser l’utilisation des locaux existants en supprimant les sessions additionnelles à Bruxelles et en rétablissant la journée de session du vendredi à Strasbourg». Taquins, ces représentants de plusieurs nations ajoutaient que les «frais de rénovation du bâtiment de Bruxelles en seraient d’autant allégés». Que ne savaient-ils alors…
De fait, construire deux parlements, voilà sans doute une idée propre à faire réaliser des économies au contribuable. Lubie de la commission européenne ? Voire. Dans les régions nouvellement recomposées ici en France, selon la répartition des administrations au sein des anciennes capitales régionales, des centaines de fonctionnaires font des navettes d’une ‘capitale’ à l’autre ; il y a ceux qui, en Occitanie par exemple, partent le matin de Montpellier pour Toulouse, à 240 bornes de là, pour y revenir le soir, leurs confrères de Toulouse faisant le même jour les deux trajets dans l’autre sens. Comme quoi, l’administration, qu’elle fut française ou européenne, ne laisse jamais d’étonner.
Pour en revenir au Parlement de Bruxelles, les journalistes spécialisés font remarquer que dans les années ‘80, lorsque les députés ont voulu la construction d’un nouvel hémicycle dans la capitale belge, François Mitterrand, président à l’époque, aurait été réticent au projet, obligeant l’Etat belge à se débrouiller seul pour financer son parlement. Selon les sources, la Belgique aurait fait appel aux banques ou s’en serait remise à une société générale de construction.
Wikipédia précise que L’Espace Léopold, dont le bâtiment Paul-Henri Spaak fait partie, a été construit par l’association «Atelier Espace Léopold» constituée de l’Atelier d’Architecture de Genval, un bureau d’architectes belge qui fut le pionnier de l’architecture postmoderne en Belgique, du Centre d’Etudes et de Recherches d’Architecture et d’Urbanisme (CERAU), une agence fondée à Bruxelles en 1968, et du Group T (inconnu au bataillon). Wikipédia ne mentionne pas Alain Radelet, administrateur délégué de la Société Espace Léopold et ancien directeur d’Eiffage. Ceci expliquant sans doute le flou des sources.
Bref, ce bâtiment issu de bisbilles politiciennes et de volontés politiques divergentes et dont l’usage n’est pas issu d’un besoin indiscutable, était mal né. Faut-il dès lors s’étonner que 20 ans plus tard il soit déjà bon pour la casse ?
Cette histoire, parce qu’elle concerne justement le Parlement européen volontiers redresseur de tort, démontre s’il le faut encore que l’architecture, nonobstant sans doute la bonne volonté des architectes, ne peut pas résoudre des problèmes de gouvernance. En revanche, qu’elle soit de qualité ou non, l’architecture est toujours représentative de son temps. Il est donc symbolique que, à l’instar de ce bâtiment, 20 ans plus tard, beaucoup semblent à reconstruire dans l’union européenne.
Alors faut-il, pour faire des économies, tout raser ou rénover l’existant ? Il demeure : quand un bâtiment est mal né, il finit toujours par coûter bonbon.
Christophe Leray
*Ces deux expertises furent conduites par le bureau d’études allemand TÜV Süd et par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) en France. Les deux prônent la destruction du bâtiment.
** Parliament looks to build new Brussels home, Politico, par Florian Eder et publié le 12 juin 2016. En anglais.